Louis Vuitton dévoile une ligne de parfums et de lumière

Publié le 19 septembre 2016 par Adamantium

Paris, le 5 juillet 2016. Nous sommes quelques privilégiés rassemblés sur l’une des plus belles terrasses privées de Paris, celle du siège de Louis Vuitton. Il fait un soleil magnifique et c’est en clignant des yeux que nous nous dirigeons vers la petit rotonde où nous attends l’un des grands parfumeurs français, devenu le « nez » maison du célèbre malletier.

Vue depuis la terrasse de Louis Vuitton, Paris

Jacques Cavallier-Belletrud arbore un large sourire. À l’issue de quatre années d’un travail patient où il a eu carte blanche, il est ici pour nous faire découvrir en avant-première la nouvelle ligne de parfums de Louis Vuitton. Presque quatre-vingt dix ans après sa première tentative dans ce domaine, le malletier restait la dernière grande marque de luxe française à ne pas avoir ses parfums. C’est donc peu dire que l’attente est forte.

Ce sont d’abord les flacons qui nous sont révélés et d’emblée, c’est une surprise. Là où on aurait pu s’attendre à une certaine emphase, à un luxe monogrammé, Jacques Cavallier nous présente un flacon d’un parfaite pureté. Loin d’une débauche de matériaux imposants, la forme imaginée par Marc Newson fait penser à une goutte de lumière colorée, suspendue dans l’air par une virgule de laque noire. Le nom même de la Maison, gravé dans le verre, reste discret, apparaissant en relief sous les doigts ou dans un rayon de lumière.

Au sommet du flacon, un superbe bouchage noir est visible en transparence, et lorsqu’on tire sur le capot frappé du logo de la Maison le vaporisateur apparaît. C’est une superbe pièce qui cache une innovation. Le flacon est en effet rechargeable sans qu’il soit nécessaire de démonter la pompe. Il suffit en effet de placer le flacon tête en bas dans un petit dispositif cylindrique pour qu’il se remplisse lentement. On nous explique que cette opération ne pourra être effectuée qu’en boutiques Vuitton, et se fera à l’abri des regards pendant le temps d’un café… ou d’un tour de boutique. C’est presque dommage, tant le parfum délicatement coloré qui monte lentement dans le flacon est fascinant à regarder…

Quant à l’emballage extérieur cylindrique blanc et or, il est lui aussi très épuré, tellement même qu’il en est presque décevant… On nous explique qu’il reprend la silhouette de « Je, tu, il », un des deux parfums initiaux lancés en 1928. Pour son flacon comme pour son étui, la Maison a pris le contrepied de ce qu’on aurait pu attendre d’elle.

Vient le moment de découvrir les fragrances. Nous passons dans une pièce toute blanche où, assis en demi-cercle, nous écoutons Jacques Cavallier nous parler de chacune de ses créations en faisant circuler des touches olfactives. La Maison n’a pas fait dans la demi-mesure. Il y a devant nous pas moins de sept flacons, chacun contenant un parfum d’une couleur différente, et leur créateur nous confie qu’il n’a eu aucune pression de temps ni de contrainte économique, bénéficiant du luxe rare d’une totale liberté créative.

Il est évident que Louis Vuitton n’a aucun besoin d’une ligne de parfums pour améliorer sa notoriété, son chiffre d’affaires ou sa marge nette. C’est sans doute pour cela que la ligne de parfums sera vendue uniquement dans les boutiques Vuitton. Une diffusion discrète, même si l’ampleur des moyens déployés autour de ce projet, à l’exemple du choix de Léa Seydoux comme égérie et de la création d’un lieu dédié à Grasse, laissent penser que la Maison n’en restera pas là.

Jacques Cavallier commence par nous parler de Rose des Vents. Un parfum qui, dit-il, doit « surprendre mais pas dérouter » et pour lequel il évoque la fluidité, le plaisir et la joie. Rose des Vents est construit autour de trois roses, dont bien entendu la Rose de Mai dont il a souhaité exprimer une autre facette. Pour cela, il a eu recours à une technique développée alors qu’il était chez Firmenich : l’extraction au CO2 super critique. Ce procédé ne nécessite pas de chaleur, permettant aux plantes baignées dans ce gaz à froid de révéler toute leur subtilité. Ainsi, la fameuse rose grassoise alliée à la rose Damascena de Bulgarie, à l’iris de Florence et à un « cèdre sans tête » s’exprime telle qu’elle est au moment de la cueillette. Le résultat est une composition aérienne et délicate qui trouve parfaitement sa place dans le flacon épuré de la ligne.

Turbulences est une création plus radicale, construite autour de la tubéreuse. Jacques Cavallier nous raconte que son père, parfumeur lui aussi, avait mille plants de tubéreuse dans son jardin et combien ce souvenir a marqué son enfance. Cette fleur superbe mais souvent délicate à manier en parfumerie est ici exprimée de façon douce, exempte par exemple de sa facette médicinale. L’absolu narcisse lui donne un côté vert et terreux, tandis que le jasmin sambac de Chine compos l’autre facette dominante de cette composition où l’on distingue aussi l’osmanthus et le magnolia. Des matières premières qui ne manqueront pas de parler à l’oreille de la clientèle asiatique, toujours très friande de la Marque…

C’est avec Dans la Peau que l’on s’approche – enfin – de l’univers du malletier, puisque ce parfum a été voulu comme un cuir moderne inspiré par le fameux VVN de Louis Vuitton. Jacques Cavallier nous raconte qu’en visitant les ateliers historiques d’Asnières, il a voulu savoir s’il serait possible de capturer l’odeur de ce cuir. Il aurait pu recourir au Head Space, mais au lieu de cela il a fait envoyer des chutes de cuir à son frère en lui demandant d’étudier la possibilité d’en extraire l’odeur. La recherche de la bonne technique a pris du temps, raconte-t-il, jusqu’à ce que l’idée vienne de recourir à la méthode ancienne de l’extraction par infusion. Le résultat est une note cuir aux facettes épicées et florales, alliée aux muscs et au jasmin de Grasse, lui aussi extrait au CO2.

Apogée vient ensuite. Jacques Cavallier nous raconte que cette fragrance a été créée sous le signe de la précision, inspirée par le Japon et son art traditionnel de la composition florale, l’ikebana. De fait, nous découvrons une fragrance verte et florale, composée autour de la note faussement simple du muguet, « une rose qui aurait rencontré le jasmin » selon la belle formule du créateur. Le fond de la note, quant à lui, est un beau bois de gaïac fumé allié au santal.

Contre Moi se révélera le plus original des sept parfums présentés ce jour. Jacques Cavallier le désigne d’une formule efficace et heureuse : « un oriental pas banal ». C’est une composition dont le fil conducteur est l’alliance des contrastes. Un exercice délicat mais passionnant, à l’instar de ce modèle d’alliance des opposés qu’est Pour un Homme de Caron que j’ai longtemps porté. Ce sont ici la plantureuse vanille de Madagascar et celle de Tahiti, très généreusement dosée, qui constituent la facette charnelle et charnue de ce parfum. Le contrepoint est apporté par la fleur d’oranger boostée par la Super Hédione. Contre Moi introduirait presque un genre nouveau dans la classification de la parfumerie, l’oriental transparent.

Matière Noire me séduit tout d’abord par son nom, si beau qu’on s’étonne qu’aucun parfumeur ne s’en soit emparé auparavant ! Imaginant cette substance mystérieuse qui constitue selon les astronomes l’essentiel de l’univers, Jacques Cavallier a travaillé une matière première aussi terrestre que céleste : le bois de oud, ici originaire du Laos. Alors que le oud symbolisait pour lui de l’obscurité, il lui a « ajouté des étoiles » sous la forme d’un absolu narcisse crépitant, du cassis et d’un effet floral aqueux dont il ne dira rien de plus mais dans lequel je pense avoir reconnu la rose Centifolia extraite au CO2 et le cyclamen.

Mille Feux, le dernier de la ligne, est une autre composition autour du cuir et la première envie que Jacques Cavaliler a eue en débutant ce projet pour Louis Vuitton. Le modèle de sac « Capucine » dans sa teinte framboise lui a donné l’idée d’allier la sensualité de la peau à la senteur de cette petite baie si difficile à travailler en parfumerie si l’on ne veut pas tomber dans la mièvrerie… Le résultat est un cuir fruité dont la rudesse est adoucie par le velouté de l’osmanthus de Chine. Le parfumeur nous explique que la fleur qu’il utilise pour ce parfum est extraite immédiatement après sa cueillette afin que sa fraîcheur soit préservée. Enfin, une touche de concrète d’iris se mêle au safran, apportant de la vitalité à cette création duale où des facettes apparemment contraires se fusionnent avec une belle harmonie.

Un peu plus de deux mois après cette avant-première et alors que la campagne de publicité sort dans la presse, je garde de cette ligne deux impressions fortes de lumière et de naturel.

À l’opposée de l’opulence cuirée que l’on aurait attendu, c’est au contraire à un retour vers les origines de la parfumerie que c’est livré Louis Vuitton, sans nostalgie mais avec une modernité mise au service de l’émotion. Au lieu d’apporter de la complexité, les techniques les plus en pointe de la parfumerie actuelle ont ici permis de faire ressortir la spontanéité et la fraîcheur des matières premières et de revenir à une parfumerie aux accents simples et immédiats. Les noms des fragrances, quant à eux, rappellent l’époque où les parfums se nommaient L’Heure BleueVoilà pourquoi j’aimais Rosine et bien entendu Heures d’Absence, le premier parfum créé par Louis Vuitton il y a presque quatre-vingt dix ans.

Au final, c’est une ligne presque humble que lance Louis Vuitton, déjouant tous les pronostics. On devine que la Maison a des ambitions dans la durée, car à l’instar d’Hermès dont la stratégie est une référence en la matière, Louis Vuitton n’a pas besoin des parfums pour exister. Cette ligne et ses futures déclinaisons ont donc comme vocation première d’enrichir l’univers de la Marque et d’apporter une nouvelle expression de son univers.

Il n’est pas certain que les clients traditionnels de la Maison française se retrouvent immédiatement dans cette proposition à l’élégante simplicité, mais à un prix de vente relativement « raisonnable » de 200 € par flacon de 100 ml, il est possible aussi que cette ligne délicate fasse venir vers elle de nouveaux clients. Nous sommes là au début d’une belle histoire au long cours, et comme on le sait ce sont les coureurs de fond qui vont le plus loin.

Hervé Mathieu

La ligne est disponible depuis le 1er septembre dans le réseau de magasins Louis Vuitton. 

Eau de Parfum 100 ml : 200 euros (recharge 125 euros), 200 ml : 300 euros (recharge 250 euros)
Flacon de Voyage 4 x 7,5 ml : 200 euros (recharges 110 euros)
Collection de Miniatures 7 x 10ml : 200 euros/
Flaconnier / 3 flacons de 100 ml au choix, quantité limitée : 4300 euros