DIVINES, Houda Benyamina (2016) VICTORIA, Justine Triet (...

Par Quinquin @sionmettaitles1

DIVINES, Houda Benyamina (2016)

VICTORIA, Justine Triet (2016)

                

Afin d’écrire une chronique croisée acceptable et cohérente, encore faut-il dénicher ne serait-ce qu’une micro similitude entre deux œuvres qui dans la forme semblent a priori diamétralement opposées. Et, si l’enrobage ici paraît avoir un goût bien différent, la substance scénaristique elle utilise les mêmes épices puisque l’on parle dans les deux cas de Femmes, uniquement de Femmes ; des femmes charismatiques et qui en imposent, liées par le chaos existentiel, le doute, le dilemme et la remise en question. Justine Triet et Houda Benyamina, chacune à leur manière, évoquent le conflit intérieur, la compromission et la survivance. Victoria, considéré comme une « comédie hilarante » (il faudrait m’expliquer cet adjectif excessif) et bien que drôle, se fait beaucoup plus noir et âpre que ce que l’on nous présente tandis que Divines, pointé comme un drame urbain impulsif et coléreux, se pare de ponctuations comiques subtiles et d’une douce poésie sous-jacente, méritant autre chose que l’appellation d’origine protégée (par l’intelligentsia parisienne) « Film sur la banlieue ». Les cinéastes quoi qu’il en soit surprennent par leur audace, leur talent et leur engagement et, malgré quelques maladresses, livrent deux productions adroitement articulées et au caractère bien trempé.

En pleine tempête adolescente, Dounia (Oulaya Amamra) et son amie Maimouna (Déborah Lukumena) n’aspirent qu’à sortir de leur chrysalide et à prendre à bras-le-corps leur émancipation, ce qui rime parfois avec revers de fortune et mauvaises décisions. Entre un parcours scolaire inadapté et ennuyeux, un lieu de vie misérable et des rêves inaccessibles, ces deux inséparables tentent une nouvelle approche de la réussite sociale en trouvant refuge auprès de Rebecca (Jisca Kalvanda), dealeuse avertie et personnage respecté « qui en a » (du clitoris). Victoria (Virginie Efira) de son côté, avocate éparpillée et à l’existence en forme de terrain miné se voit contrainte de défendre un ami (Melvil Poupaud) accusé de tentative de meurtre tout en accueillant chez elle Sam (Vincent Lacoste), ex-dealer engagé comme jeune homme au pair. Tandis que Dounia découvre les bas-fonds de l’illégalité, l’argent facile et l’amour, Maimouna elle s’interroge sur le sens de la vie, s’ankylose de questions religieuses et existentielles tandis que quelques salles de cinéma plus loin Victoria perd pied et sombre dans une profonde dépression.

Récompensé par la Caméra d’or à Cannes, Houda Benyamina présente un film lumineusement et tendrement sauvage à l’approche scénaristique singulière qui fait la part belle à l’amitié, l’indécence de la pauvreté et l’éducation sentimentale, le tout enveloppé de musiques aux sonorités « morriconiennes », de chants religieux ou lyriques, dimension classique essorée au western qui donne de la profondeur et de l’intensité au film. Féministe dans ses actes, son obstination et ses obsessions, adolescente indomptable qui se découvre femme et joue au fantôme de l’opéra juchée sur les passerelles d’un théâtre afin d’observer les prestations d’un danseur énigmatique auprès duquel elle découvrira le goût des sentiments, la splendide et brillante Oulaya Amamra brûle les doigts et enflamme les ailes de son personnage avec un talent inné et une justesse incroyable. Justine Triet quant à elle use d’un comique grinçant savoureux et transfigure Virginie Efira,  working girl dépassée, mère aimante mais larguée, secondée par un Vincent Lacoste flegmatique, bourré d’humanité (bien qu’un peu fade) et Melvil Poupaud, parfait dans son rôle d’emmerdeur pathétiquement attachant, trio irrésistible et survolté qui tente de se consoler des coups durs et d’avancer tant bien que mal au milieu d’un capharnaüm aussi réjouissant qu’attristant. Dans ces deux longs-métrages les dialogues sont travaillés, aiguisés et, si dans Divines les scènes s’enchaînent merveilleusement, sans temps mort, comme une cavalcade émaillée de violences mais aussi de moments d’une délicatesse inouïe, chez Victoria la réalisation se fait un brin plus laborieuse, moins vive mais dans le fond qu’importe…

Houda Benyamina offre une plongée dans les affres de la paupérisation, pointe le besoin de reconnaissance, la société de consommation, la religion, la frustration et braque sa caméra sur cette forme d’intégrité absolue que l’on exige des moins nantis sur lesquels pèsent de lourdes exigences avec un regard d’une extrême tendresse et sans démagogie. Justine Triet elle maîtrise à merveille son sujet grâce à Virginie Efira aussi drôle que touchante, aussi belle que déstabilisante qui incarne subtilement et avec brio la trentenaire déboussolée. Si Houda Benyamina n’engage aucune morale elle n’en livre pas moins un épilogue qui laisse songeur quant aux conséquences de choix hasardeux pendant que Triet vole adroitement au-dessus de son nid de personnages affectueusement fous et follement attachants. Certains reprochent à Benyamina d’avoir voulu trop en dire et si elle semble avoir été effectivement un brin exaltée et paraît avoir voulu imbriquer beaucoup d’idées les unes dans les autres le ton est malgré tout juste, l’intention excellente, la mise en scène maîtrisée et le choix des actrices irréprochable.

Divines est un film magnifique et magique, Victoria une très belle surprise…