C’est un livre ambitieux et complexe qu’offre Alexis Pelletier. Il a su regrouper les trois pans d’écriture qu’il propose sous un titre fédérateur qui coiffe bien la cohérence de sa poésie.
« De la lumière », d’abord, qui est le maître mot du recueil.
… j’ai l’impression malgré la lumière
d’avancer en aveugle ou d’être bien perdu
car de ma relation aux mots je ne sais rien…
pointant cette quête incessante de toute source d’expression. Une première partie en alexandrins, (les -e muets comptés), dont on ne se rend compte que tardivement à la lecture. Et l’interrogation toute banale, naïve et fondamentale de l’origine de la lumière. Alexis Pelletier déroule le fil de sa pensée comme un écheveau compliqué qui multiplie les relais que font dans sa tête les nombreuses références, qu’elles soient musicales surtout, picturales ou littéraires bien sûr. Ainsi, il n’hésite pas à chercher dans le dictionnaire « en direct » telle ou telle définition pour mieux asseoir le sens d’un mot. Cela pourrait paraître abscons ou savant, mais notre lecture se tresse à son écriture avec une même envie d’aller au bout du texte. Deux mots contrebalancent la toute puissance de la lumière : énergie et amour.
Seconde partie : « Astreinte ». Changement total, apparemment : on passe versant théâtre, avec un monologue entier d’un personnage, Gleb, ancien amoureux d’une femme dont le nom monosyllabique évolue doucement, dans une atmosphère étouffante d’interrogatoire totalitaire où les mots s’enchaînent à nouveau quasi automatiquement. Il suffit d’un premier mot pour que la pelote dévale infiniment. La lumière, cette fois, ce sera peut-être la sortie de la pièce. Ou bien encore, tout ce qui compose la voix, timbre ou spectre, face sonore de l’écriture et de la pensée, qui met à jour la lumière intérieure, celle de l’esprit.
…aimer la vie demandait d’abord de prendre conscience de son absence de sens.
Dernier volet : « Celui qui vient » avec les deux arguments précédents qui reviennent : le rapport à la voix qui est mis en jeu et l’origine de la lumière. Cette fois, on fait face carrément à une phrase ininterrompue :
c’est une gigantesque machine mise en marche avant le premier mot et qui ne s’arrête pas…
L’auteur ajoute en guise de résolution :
Il s’agit d’accrocher un ton et ne plus le lâcher…
Enfin il claironne avec juste raison :
la phrase passe d’un livre à l’autre c’est le personnage principal de l’épopée de notre siècle…
Il ne sera fait économie ni de souvenirs précis au jour près, ni de niveau de langue relâché, ni même de jeux de mots (spleen l’ancien).
De fait les trois entraînements participent du même processus, l’extirpation de la langue, avec la notion d’incipit qui précipite par accumulation, par énonciation, successivement des suites de vers, une parole solitaire, ou une longue phrase unique, bandelette indéchirable de la pensée, qui chaque fois tend le poète, le dramaturge ou l’écrivain vers le soleil de l’encre.
Jacques Morin
Alexis Pelletier, Trois entraînements à la lumière,2016, Tarabuste, 15 €. Rue du fort – 36170 Saint-Benoît-du-Sault.