« Au cours de la route mon compagnon B. me prône une décevante philosophie de l’immobilité, de l’indifférence et de l’échec ; il est intéressant et je le crois absolument sincère. Il prétend que j’ai des illusions, c’est bien le cas. J’en ai beaucoup qui n’attendent que moi pour les rendre réelles ; je crains pour lui qu’il n’ait renoncé aux siennes un peu trop tôt. Il prétend que la joie n’existe pas. Je lui accorde qu’elle est disparue quand on croit la tenir, mais comme la contrebasse d’un orchestre on la devine quand elle nous manque.» (Nicolas Bouvier, Il faudra repartir)1. 1 mai 2016.-. Averses incessantes, froideur indécente. Mai nous en veut (7 °C). Le fichier Parisien, Montherlant flottille autour des petites filles, caresse deux trois chats en passant et nous parle de son Paris à lui… Pour tout dire on s'ennuie un peu, mais il y a du style : « Et là, sur un banc, parmi les femmes de chambre allemandes déguisées en nurses anglaises, les enfants, les mutilés, les moineaux, les satyres à l’œil douloureux, les retraités promenant leur catarrhe de banc en banc, je tire mes feuillets et j’écris mes bêtises, tandis que tournent autour de moi les petites filles, pleines de poursuites et de cris comme des hirondelles de septembre. »2 mai 2016.- Sunny day, do not despair (19°C). Triste, on meurt beaucoup trop ces temps-ci. Cervicalgie, lombalgie, Walser, Cioran à dose homéopathique.3 mai 2016.- Clouds, yet (15°C) No reading. Not in the mood. Dernières acquisitions : Deux dames sérieuses — Jane Bowles, Le Merinos — Calet, La Musique et l'Ineffable - Jankelevitch, Un bon million — Nathanael West, Solomon Gursky — Mordecai Richler…5 mai 2016.- Journée splendide, tellement printanière qu'on aurait pu la croire estivale, c'est vous dire ! (23 °C). Profitant des conditions météorologiques ultras favorables, j'ai soigné mon petit extérieur. Taille des haies, arrachage des mauvaises herbes, arrosage attentionné de mes quelques fleurs et plantes. J'ai agrémenté mes activités un tantinet agrestes de quelques longues poses panthéistes sur ma chaise de jardin. L'une de ces poses s’est transformée en une profonde sieste et je me suis réveillé hébété avec quelques oisillons gazouillants tout autour de moi. À peu près réveillé et toujours sur la même chaise de jardin j'ai ensuite fini la lecture du Fichier parisien du vieux bouc Montherlant. La tiédeur me titillant la nuque délicieusement ne m'a pas empêché de trouver l'ami Henry un peu problématique. Oh n'y voyez aucun jugement moral de ma part, le Montherlant tournant autour des petits garçons est d'une autre époque et je ne suis pas là pour juger quiconque, non plus simplement Montherlant à beau beaucoup aimer la jeunesse dans le Fichier parisien (qui est pourtant un spicilège étalé sur plus de trente ans) il écrit comme un petit vieux qui n'ose pas vraiment assumer ses penchants. Cette naphtaline du non-dit que l'on ne sent jamais chez le charmant Larbaud qui lui tournait autour des petites filles avec une délicatesse bien rare.7 mai 2016.- Nombreux nuages « moutonnants », mais tenace « impression de beau temps » (23 °C). Hier : social life, drank too much, mon aujourd'hui fut donc un peu cotonneux. Retour dans L'homme qui a vu l'ours de Jean Rolin, je n'ai toujours pas fini ce formidable recueil d'écrits journalistiques, mais c'est en bonne voie. Aux alentours de la page 750 nous nous retrouvons téléportés en pleine guerre civile yougoslave. La purification ethnique est en marche, Dubrovnik est assiégée tandis que Bihac est cette drôle de poche qui ne demande qu'à être crevée (il y a quelques années j'ai pu voir les stigmates de tout ça, les maisons encore éventrées au milieu des champs, les trous d'obus, les minarets exotiques…). En dehors des guerres yougoslaves, un esturgeon géant danubien avale les petites filles et les petits garçons qu'il a la bonne chance de croiser. Bien plus à l'Est chinois et coréen guérissent leur impuissance en ingurgitant de la bile d'ours noir séchée, en somme le train-train. 8 mai 2016.- Belle matinée puis une armée de nuages patibulaires et un ciel finalement assez vite plombé (22 °C). (La bouche pleine de terre — Branimir Scepanovic) Malade et se sachant condamné un homme décide de mieux finir en s’assassinant lui-même. Il retourne sur ses terres d’origine, dans les montagnes du Monténégro, s'égare dans un bois, espère mourir tranquillement pendu à un arbre. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes tragiques si son entreprise suicidaire n’était pas contrariée par une troupe d'autochtones agacée par ce type solitaire errant là on se demande bien pourquoi? Commence alors une vague chasse à l'homme. Un parfum de pogrom flotte dans l'air, on assassinerait bien ce type tout en ne sachant pas qu'il voulait en finir… La parabole est cruelle, le type reprend presque goût à la vie, je ne raconterai pas la fin… (Deux monologues intérieurs et un récit où le poids de l'ontologie pèse finalement plus que l'allégorie sursignifiante).10 mai 2016.- Temps lourd et humide, un peu mekongais sur les bords (23 °C). Labeur semi nocturne, so tired. Notwithstanding still in Stendhal diary. Le 2 septembre 1811, l'ami Beyle prend « les deux culs » d'une fille d'auberge passable tout en entendant une clarinette et un violon qui ne le sont pas vraiment, mais qui cependant lui font plaisir. Le 3 septembre il entre dans Genève, une ville où tout est triste, âpre et brut, et où l'on aurait beaucoup de peine à trouver une fille d'auberge compatissante. 13 mai 2016.- Temps maussade, averses et bourrasques, un fond qui pourrait paraître vaguement tiède, mais qui ne l'est pas vraiment (17 °C). Lu quelques chroniques d'Alexandre Vialatte. Dans l'une d'elles, il évoque ce nez avec lequel Mauriac écrit plus qu'à son tour. Pour Vialatte Mauriac est un olfactif mené par l'odeur. Ses romans sentent la résine, la table de nuit mal aérée et les vieux papiers de notaires. Les chambres des veilles filles y trouillotent le moisi et le suicidé tandis que les paliers reniflent immanquablement la fuite de gaz : « … de temps en temps, il ouvre la fenêtre, et on voit ciel. »Pour le reste, fait mes valises, demain je m’envole pour le Monténégro, exiguë entité balkanique où la météo ne s'annonce pas aussi belle que je l’espérais. 22 mai 2016.- Fraîcheur et pluie légère (18°C). « Et les Bouches de Cattaro, où l’on n’en finit plus De suivre toujours la mer au milieu des montagnes Crénelées d’inaccessibles citadelles vénitiennes. O Cattaro, petite boîte, petite forteresse qu’on donnerait Pour les étrennes à un enfant (il n’y manque pas même Le poste des soldats verdâtres à la porte) ; Petite boîte de construction, mais toute pleine D’une odeur de rose venue on ne sait d’où » Retour du Monténégro contrée qui tient globalement ses promesses. Séjourné dans les bouches de Kotor, un fjord incongru en de telles latitudes, mais un fjord magnifique, des montagnes noires qui tombent dans une mer bleu vert, des cyprès et palais, des villages vénitiens oubliés (Perast magnifique), une curieuse appétence italo-scandinave. Nichée au fond du Fjord la ville de Kotor est très bien elle aussi, une étroite citée médiévale pas encore vraiment noyée par le flux touristique (ce qu'est devenue la Croate Dubrovnik, que j'ai revisité et qui frôle le pire). En quittant Kotor et en tant qu'amateur averti emprunté la « Serpentine» cette route tortueuse et périlleuse que Pierre Loti évoque dans son épatant Voyage de quatre officiers au Monténégro (Un livre qu'il faut lire et qui est mieux que le Guide du routard).Le reste du pays vaut également quelques coups d’œils. La façade Adriatique est pleine de charme balnéaire et l'on y sent d'ores et déjà roder les promoteurs immobiliers et « investisseurs » de tous poils (russes, azéris et tout ce que vous voulez). L’ arrière-pays a pour lui le charme désolé d'un grand tas de pierres enrobé de gros nuages noirâtre tandis que les rares autochtones y ont un air perpétuellement dubitatif. Cetinje est une capitale historique égaré dans une cuvette de moyenne montagne, la palais de l'ex-roi ressemble à une replète maison bourgeoise et un peu plus loin la tour en pierre où les habitants avaient l’ habitude d'accrocher la tête de leurs ennemis turcs somnole dans la brume. La nouvelle capitale Podgorica, est un havre de paix collectiviste décati, il y a une immense cathédrale orthodoxe construite au milieu de nulle part, et les mafieux s'y promènent en toute quiétude holster sous l’aisselle. À quinze kilomètres de là le Lac de Skadar est la plus grande réserve d'oiseaux d'Europe tout en étant le plus grand lac des Balkans. Belle et grande étendue sauvage, l'Albanie n'est pas loin. Par ailleurs, largement entamé Épépé de Ferenc Karinthy, c'est bien le grand livre annoncé. 2
« Au cours de la route mon compagnon B. me prône une décevante philosophie de l’immobilité, de l’indifférence et de l’échec ; il est intéressant et je le crois absolument sincère. Il prétend que j’ai des illusions, c’est bien le cas. J’en ai beaucoup qui n’attendent que moi pour les rendre réelles ; je crains pour lui qu’il n’ait renoncé aux siennes un peu trop tôt. Il prétend que la joie n’existe pas. Je lui accorde qu’elle est disparue quand on croit la tenir, mais comme la contrebasse d’un orchestre on la devine quand elle nous manque.» (Nicolas Bouvier, Il faudra repartir)1. 1 mai 2016.-. Averses incessantes, froideur indécente. Mai nous en veut (7 °C). Le fichier Parisien, Montherlant flottille autour des petites filles, caresse deux trois chats en passant et nous parle de son Paris à lui… Pour tout dire on s'ennuie un peu, mais il y a du style : « Et là, sur un banc, parmi les femmes de chambre allemandes déguisées en nurses anglaises, les enfants, les mutilés, les moineaux, les satyres à l’œil douloureux, les retraités promenant leur catarrhe de banc en banc, je tire mes feuillets et j’écris mes bêtises, tandis que tournent autour de moi les petites filles, pleines de poursuites et de cris comme des hirondelles de septembre. »2 mai 2016.- Sunny day, do not despair (19°C). Triste, on meurt beaucoup trop ces temps-ci. Cervicalgie, lombalgie, Walser, Cioran à dose homéopathique.3 mai 2016.- Clouds, yet (15°C) No reading. Not in the mood. Dernières acquisitions : Deux dames sérieuses — Jane Bowles, Le Merinos — Calet, La Musique et l'Ineffable - Jankelevitch, Un bon million — Nathanael West, Solomon Gursky — Mordecai Richler…5 mai 2016.- Journée splendide, tellement printanière qu'on aurait pu la croire estivale, c'est vous dire ! (23 °C). Profitant des conditions météorologiques ultras favorables, j'ai soigné mon petit extérieur. Taille des haies, arrachage des mauvaises herbes, arrosage attentionné de mes quelques fleurs et plantes. J'ai agrémenté mes activités un tantinet agrestes de quelques longues poses panthéistes sur ma chaise de jardin. L'une de ces poses s’est transformée en une profonde sieste et je me suis réveillé hébété avec quelques oisillons gazouillants tout autour de moi. À peu près réveillé et toujours sur la même chaise de jardin j'ai ensuite fini la lecture du Fichier parisien du vieux bouc Montherlant. La tiédeur me titillant la nuque délicieusement ne m'a pas empêché de trouver l'ami Henry un peu problématique. Oh n'y voyez aucun jugement moral de ma part, le Montherlant tournant autour des petits garçons est d'une autre époque et je ne suis pas là pour juger quiconque, non plus simplement Montherlant à beau beaucoup aimer la jeunesse dans le Fichier parisien (qui est pourtant un spicilège étalé sur plus de trente ans) il écrit comme un petit vieux qui n'ose pas vraiment assumer ses penchants. Cette naphtaline du non-dit que l'on ne sent jamais chez le charmant Larbaud qui lui tournait autour des petites filles avec une délicatesse bien rare.7 mai 2016.- Nombreux nuages « moutonnants », mais tenace « impression de beau temps » (23 °C). Hier : social life, drank too much, mon aujourd'hui fut donc un peu cotonneux. Retour dans L'homme qui a vu l'ours de Jean Rolin, je n'ai toujours pas fini ce formidable recueil d'écrits journalistiques, mais c'est en bonne voie. Aux alentours de la page 750 nous nous retrouvons téléportés en pleine guerre civile yougoslave. La purification ethnique est en marche, Dubrovnik est assiégée tandis que Bihac est cette drôle de poche qui ne demande qu'à être crevée (il y a quelques années j'ai pu voir les stigmates de tout ça, les maisons encore éventrées au milieu des champs, les trous d'obus, les minarets exotiques…). En dehors des guerres yougoslaves, un esturgeon géant danubien avale les petites filles et les petits garçons qu'il a la bonne chance de croiser. Bien plus à l'Est chinois et coréen guérissent leur impuissance en ingurgitant de la bile d'ours noir séchée, en somme le train-train. 8 mai 2016.- Belle matinée puis une armée de nuages patibulaires et un ciel finalement assez vite plombé (22 °C). (La bouche pleine de terre — Branimir Scepanovic) Malade et se sachant condamné un homme décide de mieux finir en s’assassinant lui-même. Il retourne sur ses terres d’origine, dans les montagnes du Monténégro, s'égare dans un bois, espère mourir tranquillement pendu à un arbre. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes tragiques si son entreprise suicidaire n’était pas contrariée par une troupe d'autochtones agacée par ce type solitaire errant là on se demande bien pourquoi? Commence alors une vague chasse à l'homme. Un parfum de pogrom flotte dans l'air, on assassinerait bien ce type tout en ne sachant pas qu'il voulait en finir… La parabole est cruelle, le type reprend presque goût à la vie, je ne raconterai pas la fin… (Deux monologues intérieurs et un récit où le poids de l'ontologie pèse finalement plus que l'allégorie sursignifiante).10 mai 2016.- Temps lourd et humide, un peu mekongais sur les bords (23 °C). Labeur semi nocturne, so tired. Notwithstanding still in Stendhal diary. Le 2 septembre 1811, l'ami Beyle prend « les deux culs » d'une fille d'auberge passable tout en entendant une clarinette et un violon qui ne le sont pas vraiment, mais qui cependant lui font plaisir. Le 3 septembre il entre dans Genève, une ville où tout est triste, âpre et brut, et où l'on aurait beaucoup de peine à trouver une fille d'auberge compatissante. 13 mai 2016.- Temps maussade, averses et bourrasques, un fond qui pourrait paraître vaguement tiède, mais qui ne l'est pas vraiment (17 °C). Lu quelques chroniques d'Alexandre Vialatte. Dans l'une d'elles, il évoque ce nez avec lequel Mauriac écrit plus qu'à son tour. Pour Vialatte Mauriac est un olfactif mené par l'odeur. Ses romans sentent la résine, la table de nuit mal aérée et les vieux papiers de notaires. Les chambres des veilles filles y trouillotent le moisi et le suicidé tandis que les paliers reniflent immanquablement la fuite de gaz : « … de temps en temps, il ouvre la fenêtre, et on voit ciel. »Pour le reste, fait mes valises, demain je m’envole pour le Monténégro, exiguë entité balkanique où la météo ne s'annonce pas aussi belle que je l’espérais. 22 mai 2016.- Fraîcheur et pluie légère (18°C). « Et les Bouches de Cattaro, où l’on n’en finit plus De suivre toujours la mer au milieu des montagnes Crénelées d’inaccessibles citadelles vénitiennes. O Cattaro, petite boîte, petite forteresse qu’on donnerait Pour les étrennes à un enfant (il n’y manque pas même Le poste des soldats verdâtres à la porte) ; Petite boîte de construction, mais toute pleine D’une odeur de rose venue on ne sait d’où » Retour du Monténégro contrée qui tient globalement ses promesses. Séjourné dans les bouches de Kotor, un fjord incongru en de telles latitudes, mais un fjord magnifique, des montagnes noires qui tombent dans une mer bleu vert, des cyprès et palais, des villages vénitiens oubliés (Perast magnifique), une curieuse appétence italo-scandinave. Nichée au fond du Fjord la ville de Kotor est très bien elle aussi, une étroite citée médiévale pas encore vraiment noyée par le flux touristique (ce qu'est devenue la Croate Dubrovnik, que j'ai revisité et qui frôle le pire). En quittant Kotor et en tant qu'amateur averti emprunté la « Serpentine» cette route tortueuse et périlleuse que Pierre Loti évoque dans son épatant Voyage de quatre officiers au Monténégro (Un livre qu'il faut lire et qui est mieux que le Guide du routard).Le reste du pays vaut également quelques coups d’œils. La façade Adriatique est pleine de charme balnéaire et l'on y sent d'ores et déjà roder les promoteurs immobiliers et « investisseurs » de tous poils (russes, azéris et tout ce que vous voulez). L’ arrière-pays a pour lui le charme désolé d'un grand tas de pierres enrobé de gros nuages noirâtre tandis que les rares autochtones y ont un air perpétuellement dubitatif. Cetinje est une capitale historique égaré dans une cuvette de moyenne montagne, la palais de l'ex-roi ressemble à une replète maison bourgeoise et un peu plus loin la tour en pierre où les habitants avaient l’ habitude d'accrocher la tête de leurs ennemis turcs somnole dans la brume. La nouvelle capitale Podgorica, est un havre de paix collectiviste décati, il y a une immense cathédrale orthodoxe construite au milieu de nulle part, et les mafieux s'y promènent en toute quiétude holster sous l’aisselle. À quinze kilomètres de là le Lac de Skadar est la plus grande réserve d'oiseaux d'Europe tout en étant le plus grand lac des Balkans. Belle et grande étendue sauvage, l'Albanie n'est pas loin. Par ailleurs, largement entamé Épépé de Ferenc Karinthy, c'est bien le grand livre annoncé. 2