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Peut-on voyager dans le temps ?

Publié le 19 juin 2008 par Dr_goulu @goulu

C’était la question abordée dans une conférence donnée au CERN récemment par Etienne Klein, et à laquelle il a répondu NON, trop vite à mon goût. Il faut dire qu’Etienne Klein est physicien et philosophe, et que sa conférence mêlait un peu les deux aspects de la question. De plus, le titre de son livre “Le facteur temps ne sonne jamais deux fois” [9] ne laissait que peu de doute sur son opinion sur le sujet. (Je me suis permis d’illustrer cet article avec l’image de la couverture, que je trouve excellente)

Voyage vers le futur

Klein a commencé par introduire deux conceptions philosophiques opposées du temps en physique [1]:

  1. le “présentisme”, qui correspond à l’intuition selon laquelle seul l’instant présent “existe” alors que le passé n’existe plus et le futur pas encore.
  2. l’ “éternalisme”, ou théorie de l’ “Univers-bloc”, qui considère que tout ce qui existe est déterminé dans un espace comportant le temps comme une 4ème dimension donc que le passé et le futur existent au même titre que le présent, qui n’est que la “tranche” (cônique) d’Univers que nous percevons [2].

J’ai rapidement compris que j’étais éternaliste, et suspecté que Klein était présentiste dès qu’il a mis en garde ceux qui voudraient “se téléporter vers le futur, car peut-être qu’il n’existe pas encore”.

Dans son avertissement, c’est surtout le mot “téléporter” qui m’a dérangé : pourquoi le voyage dans le temps supposerait-il une discontinuité, un saut “instantané” qui est par ailleurs interdit dans les déplacements spatiaux ? D’ailleurs même la première “Machine à  Explorer le Temps” imaginée il y a plus d’un siècle par H.G. Wells ne “saute” pas : son passager parcourt le temps en accéléré, en avant ou en arrière.

Or il existe au moins 4 moyens physiquement envisageables pour voyager de manière continue vers le futur:

  1. attendre ! En fait, le plus difficile est de ne PAS avancer dans le temps à la vitesse d’une seconde par seconde
    ;-)
  2. L’attente “accélérée” en orbite autour d’une grande masse. Le temps propre (donc le “vieillissement”) d’un voyageur tournant autour d’un astre très massif est ralenti très légèrement, voir beaucoup à proximité d’un trou noir par exemple. C’est prouvé par les satellites GPS entre autres [3].
  3. le voyage à vitesse relativiste est d’une difficulté technique certaine, mais on sait déjà que ça marcherait : les horloges atomiques des GPS le prouvent aussi [3].
  4. l’hibernation. Bon, on ne sait pas (encore) le faire sur des humains, mais des êtres vivants plus simples peuvent sauter un hiver, une saison sèche ou même de nombreuses années pratiquement sans vieillir.

Le problème du voyage dans le temps est donc essentiellement celui du …

Voyage vers le passé

A priori, un “voyage vers le passé” déclencherait toute une série de violations de principes physiques :

  1. La conservation de la masse ou de l’énergie : en retournant hier, il y aurait 2 copies de moi, le voyage ajouterait 100 kg à l’Univers…
  2. la conservation de l’information : je vais 1h dans le futur lire la fin de cet article sur le web [Ctrl-C] et je reviens le copier là [Ctrl-V] : qui l’a écrit, finalement ? [4]
  3. Mais surtout, la violation de la sacro-sainte Causalité, qui introduit tous les paradoxes soulevés dans la science-fiction de bas de gamme : le voyageur de temps qui tue accidentellement sa grand-mère etc.

Etienne Klein place la Causalité en principe absolu de la Physique et de la Logique philosophique. Dès lors, le voyage dans le temps est impossible car l’Univers ne permet pas son viol (celui de la Causalité … ) .

Pourtant, l’éternalisme permet de contourner cette difficulté de plusieurs manières, et je regrette que Klein ne les ait pas abordées dans sa conférence:

  1. La “boucle de genre temps“. Géométriquement du moins, on peut dessiner des courbes fermées dans l’espace de Minkowski à 4 dimensions, et conformes à la relativité d’Einstein. Kurt Gödel, le plus extraordinaire mathématicien du XXème siècle a même réussi à faire douter Einstein de la relativité en proposant son “Univers de Gödel“, à la fois relativiste et permettant le voyage dans le temps. Ce sujet est tellement intéressant que je vais lui consacrer un article spécifique, mais à ce stade ce qu’il suffit de savoir c’est qu’une particule qui tournerait en rond sur “boucle de genre temps” ne violerait pas la causalité, tout simplement en n’interagissant pas avec le reste de l’Univers.
  2. L’abandon du libre arbitre. Si on admet que l’Univers est un bloc dans lequel le futur existe au même titre que le présent et ne peut pas plus être altéré que le passé, alors le problème ne se pose pas car ni le voyageur, ni aucun être humain ne peut réellement influer sur l’avenir, à plus forte raison modifier le passé. C’est certainement ce qui me dérange le plus dans l’Univers-bloc (mais l’être humain à une tendance naturelle à l’anthropocentrisme, donc à se croire doté de facultés spécifiques comme le libre-arbitre, peut-être qu’un peu de modestie lui ferait du bien). Deux de mes histoires de voyage dans le temps préférées sont liées à cette question:
    1. dans le génialissime film “l’armée des douze singes” (ne lisez pas la suite si vous ne l’avez pas vu…) un voyageur temporel est en fait la cause du problème qu’il était censé résoudre.
    2. une très courte nouvelle lue il y a longtemps et dont je recherche la référence. En deux mots, l’humanité fabrique à grands frais une machine à voyager dans le temps. Un voyageur soigneusement sélectionné est envoyé 1 siècle dans le futur. A son retour (instantané) on lui demande comment c’était. Il dit “je ne sais plus!” On lui demande comment ça se fait. Il dit “je me rappelle qu’on m’a bien accueilli, tout montré et expliqué, et qu’au moment de rentrer on m’a proposé de m’effacer la mémoire…et j’ai dit oui !”

Trous de vers

Comme Klein, je pensais les voyages dans le temps absolument impossibles jusqu’à lecture de “How to build a time machine” de Paul Davies désormais disponible en français [6]. Maintenant je pense qu’ils sont seulement impossibles en pratique, mais que le fait qu’ils ne soient pas absiolument formellement impossibles pour des petites particules dans des conditions très spéciales est intéressant à étudier du point de vue théorique.

C’est pourquoi j’ai été très déçu d’entendre Klein ranger la machine de Paul Davies, basée sur la création puis l’agrandissement d’un “trou de ver” permettant une boucle de genre temps, au rang de machine à générer des ventes pour Science & Vie, alors qu’il a quand même publié dans Pour la Science (Scientific American) !

De plus, cette “machine” répond bien à une objection souvent entendue au sujet du voyage dans le temps et reprise par Etienne Klein : si c’était possible, il devrait y avoir des visiteurs du futur parmi nous, descendant de machines assez spectaculaires pour qu’on les remarque. En fait, les “machines” basées sur les boucles de genre temps dans un univers bloc ne permettent pas de remonter avant leur construction, et même pas de choisir facilement la date d’arrivée. L’idée est que le trou de ver mettrait en “contact” deux points de l’espace, puis l’une des extrémités du trou “vieillirait moins vite” que l’autre grâce à des effets relativistes, disons d’un facteur 100. Ainsi, après la création de la machine, il faudrait attendre 100 ans pour pouvoir revenir de 99 ans vers le passé, un an après la création du trou de ver. Pour voyager vers le futur, la date d’arrivée dépendrait exactement de la date de départ : en partant 2 ans après la construction, on arriverait 200 ans dans le futur, 3 ans - 300 ans etc.

Donc en résumé, j’aurais bien aimé une réponse de scientifique du genre “Non, sauf éventuellement peut-être si …” pour préserver le rêve, alors que le “Non” définitif du philosophe l’a brisé.

Références :

  1. Philosophie du temps : Eternalisme VS Présentisme sur nuance blog
  2. Michael Esfeld “La philosophie de la nature : La métaphysique de l’univers à quatre dimensions (ch. 13)”, Université de Lausanne
  3. De la relativité au GPS, Science.gouv.fr
  4. Claude Semay, “Peut-on voyager dans le temps ?“, conférence du 18 décembre 2002 à l’université de Mons-Hainaut (Belgique).
  5. Chronoscope
  6. Paul Davies, “Comment construire une machine à explorer le temps”? 2007, EDP Sciences, ISBN 9782759801855
  7. Le Temps en Physique” sur la Wikipedia
  8. “Le temps, entre réalité et Illusion“, Films tirés des conférences Cyclope du 12 et 19 juin 2006, INSTN de Saclay, dont “Le Temps existe-t-il ?” par Etienne Klein
  9. Klein, Etienne, “Le facteur temps ne sonne jamais deux fois”, 2007, Flammarion, Paris, ISBN 9782081205802

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