" Les erreurs judiciaires sont indignes d'une société civilisée. Passer des années en prison pour un crime que l'on n'a pas commis est une chose épouvantable, qui ne peut être compensée par une remise en liberté ou un dédommagement financier. Mais même une telle injustice n'est rien comparée à l'amère consolation que constitue une grâce posthume. Quand on pense à la terrible épreuve traversée par les personnes condamnées à tort, on ne peut qu'être soulagé que la peine de mort ne soit plus en vigueur [au Royaume-Uni]. Nous ne devons jamais perdre de vue le dommage irréparable qu'aurait subi le système de justice pénale si des innocents avaient été exécutés. " (Michael Howard, Ministre britannique de l'Intérieur, initialement favorable au rétablissement de la peine de mort, à Londres, à la Chambre des Communes, le 21 février 1994).
Le 27 avril 2015, un peloton d'exécution était sur le point d'exécuter dix condamnés à mort en Indonésie pour montrer la sévérité du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues. "Seulement" huit ont été tués deux jours plus tard. In extremis, deux condamnés à mort ont été retirés de la liste : le Français Serge Atlaoui dont j'ai déjà présenté la situation, et la Philippine Mary Jane Veloso.
Or, si la nouvelle "vague" d'exécutions, cette année (le 29 juillet 2016) n'a pas concerné des condamnés issus de certains pays ...on va dire "riches" et diplomatiquement influents, les autres condamnés étrangers n'ont pas eu cette chance. Mary Jane Veloso a évité de se retrouver parmi les condamnés exécutés récemment mais continue de se trouver en situation d'autant plus précaire que le Président indonésien a déclaré ce lundi 12 septembre 2016 que son homologue philippin lui aurait donné son accord pour l'exécution de sa ressortissante.
Revenons plus précisément sur l'histoire de Mary Jane Veloso. Les journalistes l'appellent souvent "domestique", ce qui n'est pas très évocateur de sa situation réelle.
Née le 10 janvier 1985 (elle a 31 ans), Mary Jane Veloso a été arrêtée en Indonésie en avril 2010 alors qu'elle avait dans ses bagages 2,6 kilogrammes d'héroïne. Elle nie jusqu'à maintenant être impliquée dans un trafic de drogues et assure qu'elle a été abusée d'une femme qui l'avais recrutée en Malaisie. C'est parce que cette femme a été arrêtée qu'elle a profité d'un sursis en avril 2015 quelques heures avant son exécution programmée.
Issue d'une famille très pauvre, mariée à 17 ans, puis séparée après avoir eu deux enfants, elle a travaillé à Dubaï pendant six mois en 2009 et a quitté son travail après une tentative de viol de son patron. C'est une femme qui est venue la recruter pour aller en Indonésie et avoir un emploi de femme de ménage alors qu'elle venait de perdre un autre travail en Malaisie. Le sort de Mary Jane a ému beaucoup de monde à la fois en Indonésie et aux Philippines.
Mary Jane Veloso a été condamnée à mort en octobre 2010 à une époque où l'Indonésie avait décidé de faire un moratoire sur les exécutions (par la volonté de l'ancien Président Susilo Bambang Yudhoyono). Mais son successeur, le nouveau Président de la République d'Indonésie, Joko Widodo (55 ans), élu le 9 juillet 2014 et en exercice depuis le 20 octobre 2014, a au contraire repris les exécutions depuis janvier 2015 pour montrer à sa population qu'il serait ferme contre les trafiquants de drogues.
Considéré comme un Président ouvert et moderne, voulant faire de l'Indonésie une puissance économique mondiale incontournable, Joko Widodo se retrouve avec une image internationale écornée par les trois "vagues" d'exécutions qu'il a ordonnées depuis le début de son mandat (18 personnes ont été exécutées). Il essaie, après les polémiques suscitées par la deuxième "vague" d'exécutions, de poursuivre ces "vagues" tout en ménageant les pays d'origine des condamnés à mort étrangers.
Or, selon "The Jakarta Post" du 12 septembre 2016, Joko Widodo, qui a rencontré le Président philippin Rodrigo Duterte la semaine précédente, a déclaré que ce dernier l'avait autorisé à exécuter Mary Jane Veloso : " J'ai expliqué le sursis à exécution l'autre jour [à son homologue philippin]. Le Président Duterte a alors dit : Je vous en prie, allez-y si vous voulez l'exécuter. ".
Notons que ce type de déclaration montre à quel point la justice de l'Indonésie est dépendante du pouvoir politique et qu'il ne s'agit pas ici de justice (Serge Atlaoui et Mary Jane Veloso ont certainement commis des fautes, mais sont probablement innocents de ce que la justice indonésienne les a accusés et condamnés), mais il s'agit avant tout de politique : montrer la fermeté du pouvoir face aux trafiquants de drogue qui, évidemment ( ce n'est pas le sujet), sont à l'origine de nombreuses morts.
Toutefois, aux Philippines, le même jour, on a démenti les propos prêtés. Dans le "Manila Bulletin", Manny Pinol, Ministre philippin de l'Agriculture depuis le 30 juin 2016, a au contraire rappelé que le Président Rodrigo Duterte demandait toujours la clémence pour Mary Jane. De son côté, Perfecto Yasay Jr., Ministre philippin des Affaires étrangères depuis le 30 juin 2016, a lui aussi démenti en disant que le Président n'avait que dit qu'il respecterait le système judiciaire indonésien et toute décision finale concernant Mary Jane Veloso.
Alors, Rodrigo Duterte a-t-il, oui ou non, donné son macabre " feu vert" (selon la presse anglophone) à Joko Widodo pour l'exécution de Mary Jane Veloso ? Je ne le sais pas, mais en tout cas, cela reste assez crédible.
Car qui est Rodrigo Duterte ? Un avocat de 71 ans qui vient d'être élu Président de la République des Philippines le 9 mai 2016, en exercice depuis le 30 juin 2016, ce qui est très récent. Il a succédé à Benigno Aquino Jr., du Parti libéral (qui ne s'est pas représenté), le fils de l'ancienne Présidente Corazon Aquino (du 25 février 1986 au 30 juin 1992) et du mari de celle-ci, principal opposant au dictateur Ferdinand Marcos, assassiné le 21 août 1983.
Il a remporté l'élection présidentielle à la majorité relative (il n'y a qu'un seul tour), avec 39,1% des voix contre Max Roxas, candidat du Parti libéral, qui n'a recueilli que 23,5% et qui est le petit-fils du premier Président des Philippines depuis l'indépendance (Manual Roxas, du 28 mai 1946 au 17 avril 1948).
Rodrigo Duterte est souvent comparé à Donald Trump pour son franc-parler très brut de décoffrage et son langage souvent grossier ou ordurier. Il a été le maire (ou parfois vice-maire) de Davao de 1986 à 2016, dominant la ville fortement marquée par la criminalité. Il a montré un esprit de vengeance et de justice très personnelle pour affronter les criminels. Il a même été accusé d'avoir participé à l'élimination physique de certains criminels, et lui-même reconnaissait en 2009 : " Si vous exercez une activité illégale dans ma ville, si vous êtes un criminel ou un syndicat qui s'en prend aux innocents, tant que je suis maire, vous êtes une cible légitime d'assassinat ! ". En 2016, durant sa campagne présidentielle, il a refait ce genre de menace : " Vous, les dealers, les braqueurs et les vauriens, vous feriez mieux de partir. Parce que je vais vous tuer ! ".
Comme son homologue indonésien, Rodrigo Duterte a engagé une lutte sans merci contre les trafiquants de drogues, mais avec une méthode très personnelle, en encourageant la population à les tuer elle-même. Pour lui, 100 000 personnes devraient être tuées pour "nettoyer" correctement le pays. 110 personnes impliquées dans les trafics de drogues auraient été tuées un mois après son élection, et au bout de trois mois, 3 000 personnes auraient été tuées de cette manière. En clair, la justice de Rodrigo Duterte est nettement plus expéditive que celle de l'Indonésie, plus attachée à l'État de droit.
On peut comprendre que la malheureuse Mary Jane, qui clame son innocence depuis six ans et demi, n'aura pas un soutien très appuyé de la part des autorités politiques de son pays, au contraire de Serge Atlaoui, soutenu en France par le Président François Hollande. Cela signifie qu'elle a besoin, encore plus, du soutien international de ceux qui, non seulement souhaitent éviter la condamnation d'innocents, mais luttent depuis toujours contre la peine de mort dans le monde.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 septembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La condamnation à mort d'innocents (1er novembre 1998).
Mary Jane Veloso.
Quatorze exécutions pour le 29 juillet 2016 ?
Un nouveau sursis pour Serge Atlaoui (13 juillet 2016).
La Turquie d'Erdogan.
Encore un espoir ?
Pierre Bas, le député de l'abolition de la peine de mort.
François Mitterrand, pas si abolitionniste que sa réputation...
Compte à rebours ?
L'insoutenable légèreté de son avenir.
Les droits de l'Homme.
Vers un moratoire en Indonésie ?
Le pape résolument contre la peine de mort.
Les valeurs de la République.
Le rejet du dernier recours de Serge Atlaoui.
Serge Atlaoui échappe de peu à l'exécution.
Encore la peine de mort.
Chaque vie humaine compte.
Rapport d'Amnesty International "Condamnation à mort et exécutions en 2014" (à télécharger).
Il n'y a pas d'effet dissuasif de la peine de mort (rapport à télécharger).
Peshawar, rajouter de l'horreur à l'horreur.
Hommage à George Stinney.
Pourquoi parler des Maldives ?
Maldives : la peine de mort pour les enfants de 7 ans.
Pour ou contre la peine de mort ?
La peine de mort selon François Mitterrand.
La peine de mort selon Barack Obama.
La peine de mort selon Kim III.
La peine de mort selon Ali le Chimique.
Troy Davis.
Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
Flou blues.
Pas seulement otage.
Pas seulement joggeuse.
Nouveau monde.
Le 11 septembre 2001.
Chaos vs complot.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160912-mary-jane-veloso.html
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/sauvons-la-vie-de-mary-jane-184594
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/09/14/34317729.html