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Quand la panique me gagnait, Patrick Modiano

Par Obadia

« Je n’allais que très rarement me baigner. En général, je passais mes journées dans le hall et les jardins du Windsor et finissais par me persuader que là, au moins, je ne risquais rien. Quand la panique me gagnait – une fleur qui ouvrait lentement ses pétales, un peu plus haut que le nombril – je regardais en face de moi, de l’autre côté du lac. Des jardins du Windsor, on apercevait un village. À peine cinq kilomètres, en ligne droite. On pouvait franchir cette distance à la nage. De nuit, avec une petite barque à moteur, cela prendrait une vingtaine de minutes. Mais oui. J’essayais de me calmer. Je chuchotais en articulant les syllabes : « De nuit, avec une petite barque à moteur… » Tout allait mieux, je reprenais la lecture de mon roman ou d’un magazine inoffensif (je m’étais interdit de lire les journaux et d’écouter les bulletins d’information à la radio. Chaque fois que j’allais au cinéma, je prenais soin d’arriver après les Actualités). Non, surtout, ne rien savoir du sort du monde. Ne pas aggraver cette peur, ce sentiment de catastrophe imminente. Ne s’intéresser qu’aux choses anodines : la mode, la littérature, le cinéma, le music-hall. S’allonger sur les grands « transats », fermer les yeux, se détendre, surtout se détendre. Oublier. Hein ? »

Patrick Modiano « Villa triste », Gallimard ed, coll Blanche, 1975, P.15


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