Un juif pour l'exemple, un film de Jacob Berger

Par Francisrichard @francisrichard

Un juif pour l'exemple est un film... exemplaire. Certes il est inspiré du livre de Jacques Chessex, mais c'est une véritable oeuvre de création, où le réalisateur, Jacob Berger, dépeint subtilement ce qui peut apparaître comme le basculement d'une société reconnaissable, alors que c'est en fait le résultat furtif de glissements infimes.

L'histoire se passe à Payerne en 1942, en Pays de Vaud, en Suisse, c'est-à-dire au paradis. Une bande de jeunes hommes, admirateurs de Hitler, imaginent de faire un cadeau à leur chef nazi adulé, pour l'anniversaire de ses 53 ans, le 20 avril de cette année-là. Quel meilleur cadeau peuvent-ils lui offrir qu'un Juif mort?

Après avoir dressé une liste de candidats à ce rôle de bouc émissaire, ils jettent leur dévolu sur Arthur Bloch (Bruno Ganz), un riche maquignon, fin connaisseur des hommes et des bovins. Et c'est lors d'un jour de foire qu'ils vont l'attirer dans une étable isolée sous prétexte de lui vendre une bête intéressante et le tuer, sauvagement.

Comme souvent les chefs de bande font faire le sale boulot par ceux à qui ils commandent. Fernand Ischi (Aurélien Patouillard), le garagiste de Payerne, ne fait pas exception à cette règle. Il survient une fois le coup de grâce tiré par l'un de ses comparses, lequel coup de feu vient conclure des coups de barre de fer qui n'ont pas suffi.

Comme il n'est pas concevable d'envoyer le corps de ce Juif à Berlin, avec un emballage cadeau, Fernand Ischi ordonne à ses complices de ce crime organisé de le faire disparaître. Pour ce faire, le corps, suspendu à un crochet, est, à l'aide d'une scie, coupé en morceaux, qui sont mis d'abord dans de grandes boilles, puis immergés dans le lac.

Ischi est un personnage complexe. Bon père, il cocole sa fille Elizabeth; mauvais mari, il néglige sa femme et a une maîtresse avec laquelle il fait des choses. A l'instar d'Ischi, les autres personnages du film sont complexes, comme dans la vraie vie. Ainsi les comparses d'Ischi sont-ils des gens simples, attachés à leur terre. Mais, pour eux, leur victime n'est qu'un porc...

Arthur Bloch, homme de 60 ans, respire la bonté (il est en colère quand il voit des soldats tirer en l'air pour faire fuir des réfugiés). Il aime la Suisse et a été officier dans son armée. Il s'y croit en sécurité ou ne veut pas croire qu'il puisse y être en danger, même si sa femme Myria (Elina Löwensohn) émet des doutes. En même temps, il a le sens et le goût des affaires...

C'est un Jacques Chessex tourmenté qui apparaît dans ce film: en petit garçon de 8 ans  au moment des faits (Mathias Svimbersky), en fantôme, témoin de ces faits, qu'il rapporte sur un carnet, et en écrivain (dans ces deux derniers cas joué par André Wilms), qui meurt à 75 ans, invectivé pour son livre, par un médecin, dans une bibliothèque... 

Il est difficile de ne pas relever les anachronismes du film. Mais cela a-t-il vraiment de l'importance, puisqu'il n'a pas la prétention d'être historique ou de délivrer un message? L'essentiel n'est-il pas qu'il pose de vraies questions, qui sont d'une terrible actualité? Peut-être même ces anachronismes contribuent-ils à son intemporalité.

Francis Richard

NB

Ce film, en salles le 14 décembre 2016, est librement adapté d'Un juif pour l'exemple, de Jacques Chessex (Grasset, 2009)