Le film fait une entrée en matière absolument brutale. La succession de plans sanguinolents et visuellement repoussants montre sans fard les horreurs de la guerre. Ce traitement sert à justifier l'évolution future de Newton Knight. Ce que l'on peut regretter quand on a une introduction aussi dure, c'est que le film s'assagisse trop par la suite et nous laisse une impression de version aseptisée pour le reste du métrage. Comme pour pas mal de thématiques abordées, les intentions ne sont jamais réellement converties.
S'il y a une vertu qu'il faut reconnaître à Gary Ross, c'est une envie de bien faire sur ce sujet complexe. Il est visiblement extrêmement bien documenté (il aurait passé 10 ans sur l'écriture du scénario et la recherche). Il semble passionné par cette histoire au point de partager de sa propre initiative toutes les sources documentaires. Il fournit aussi toutes les libertés prises par le film à l'égard de la réalité historique sur un site web dédié à cette histoire : freestatesofjones.info. Bien sûr, toute la bonne volonté du monde n'est pas gage de qualités cinématographiques mais l'effort de transparence mérite d'être noté.
La qualité première de ce film reste avant tout son sujet. Un Blanc sudiste qui, pendant la Guerre de sécession, devient déserteur puis prend par les armes une partie du territoire afin de créer son idéal humaniste où tout le monde (blanc ou noir) est absolument égal, c'est quelque chose qui mérite d'être partagé. La pertinence de ce point de vue en ces temps de tensions raciales aux USA ne fait que montrer que le pays a toujours du mal à gérer son héritage.
Un personnage aussi atypique promettait un spectacle laissant la part belle à une interprétation riche par son acteur principal. Matthew McConaughey donne beaucoup et semble s'être investi dans le personnage, cependant on reste sur notre faim. Il nous sort un regard plein d'intensité et de détermination qui caractérisera cette performance habitée mais un peu plus de subtilité et d'empathie auraient pu aider à faire surgir un complément d'émotion. La source des réserves sur sa performance et celle du reste du cast proviennent sans doute de la volonté d'exhaustivité du métrage et sa plage temporelle trop large. Il y a beaucoup trop de choses à dire pour une période beaucoup trop vaste en beaucoup trop peu de temps. Le film traite non seulement de la Guerre de sécession, de la prise de quelques comtés par Knight et ses partisans mais aussi des suites du conflit et du mirage que constituait la libération des esclaves noirs. Cette accumulation de sujets fait que l'on a le sentiment d'assister à une énumération de faits dont la pertinence historique sert de seule béquille narrative. Les personnages sont au final un peu sacrifiés pour caser un maximum de choses dans le temps imparti. C'est d'autant plus frustrant que le film fait déjà 2h18. On a l'impression de rencontrer beaucoup de personnages qui ont énormément de potentiel mais la fragmentation du récit ne nous permet de les connaître qu'en surface. C'est d'ailleurs bien dommage car les seconds rôles sont excellents de Gugu Mbatha-Raw à Mahershala Ali en passant par la trop rare Keri Russell. Dans ce contexte, les efforts pour développer une romance sont un peu vains. Celle-ci n'apparaît qu'en pointillé et ne sert que pour appuyer une autre partie de l'histoire.
Cette autre partie est le point le plus paradoxal du film. On nous présente des faits se situant près de 100 ans plus tard, dans les années 1940. L'intérêt est indéniable puisque cela met en perspective tout le travail effectué par Knight et la situation dans laquelle se trouvaient les populations noires bien après l'abolition de l'esclavage. Le regret que l'on peut avoir, c'est que cette partie du récit tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, balancé à dose homéopathique tout au long du film. Non seulement, cela s'intègre mal au développement de l'histoire mais en plus, ça brise les moments où l'on commençait enfin à entrer dans le film.
Cette difficulté que j'ai ressentie à m'investir totalement dans le métrage ne vient en tout cas pas du montage. Pamela Martin et Juliette Welfling ont fait un magnifique travail. Contrairement au premier Hunger Games, précédent film de Gary Ross, tout en caméra à l'épaule et montage hystérique, ici, l'approche est à la lisibilité. Les prises sont longues, le montage a du sens et l'ensemble du film reste fluide. Même dans les quelques escarmouches ou scènes de guerre, la gestion de l'espace et pertinente. On n'est jamais perdu dans l'action contrairement à beaucoup de films actuellement qui confondent immersion et passage en machine à laver en mode essorage.
La photo est le point sur lequel j'ai le plus de réserve. Elle offre des plans somptueux occasionnellement mais a aussi un défaut majeur. Le traitement apporté à l'image en termes d'équilibre colorimétrique est douteux et, à mes yeux, n'avait pas de réelle cohérence. Le rendu des caméras au piqué impeccable donne malheureusement un aspect un peu trop numérique qui empêche l'investissement dans la fiction. La volonté d'un réalisme documentaire se confronte à la stylisation esthétique. Cela donne parfois l'impression de voir non pas un film mais des acteurs en costumes rejouant des batailles historique avec toute l'artificialité et la distanciation que ça implique.
Free State of Jones Les échos des spectateurs sur sont nettement moins