« On » pourrait comprendre le livre comme un petit traité philosophique sur le rien, la mort, le temps, l’existence. On pourrait deviner l’entendre dit à l’aune des performances sonores que l’auteur nous a habitués à voir ponctuées de mouvements de mains.
Treize poèmes taillés dans la pierre, gravés par la force du silence, de la méditation, de la concentration. Il y a dans ce recueil une dimension apophatique de l’être : « on existe bien sûr encore un peu... mais ... très très peu » dans le poème numéro un, jusqu’au « on est ce rien » du poème 9, tout se joue dans le retrait (de la retraite « au cœur de l’immobile»). Poèmes mais aussi musique comme expression dépersonnalisée du poète qui ne dit plus « je » et qui cesse de vouloir dire, qui donne plutôt à entendre en même temps qu’il nous montre un décor fait d’angles et de parois, mais aussi au sol, de pelouse, de traces de mulots, d’insectes. Et les insectes savent qu’« on existe un peu moins quand on existe un peu trop », qu’il faut passer par l’oubli de soi pour comprendre et vivre pleinement « le sujet élargi » qui « ne connaît plus ses bords » (poème 10), en d’autres mots atteindre l’unité, faire un avec ce qu’on appelle « le grand tout », c’est-à-dire accéder à une dimension d’amour. Préciser que l’auteur est athée mais qu’il respecte les fois et les croyances.
« On » pourrait presque entendre dans les poèmes des échos, des accents de poètes contemporains tels Jacques Ancet ou Antoine Emaz, eux qui écoutent et se recueillent, se fondent et se diluent dans le silence et la conscience du presque rien . Ou bien encore James Sacré dans l’interrogation de ce qui fait poème : « on sait que peu de mots tombés dans un lieu silencieux fortement structuré font peut-être un poème » écrit Patrick Dubost au début du poème numéro 7.
Mais au-delà du contexte (espace du spirituel), au-delà des exigences graphiques qui se sont imposées comme des contraintes pour soutenir, telles contreforts, précise la 4ème de couverture, l’édifice langagier, on peut aussi relever la ressemblance de chaque triangle rectangle avec un A majuscule en italique « inversée », il penche sur la gauche. Donc treize poèmes « A » comme treize commencements. Cependant d’autres thématiques et peut-être involontaires, affleurent, dessinant une problématique soulevée au-delà du sens véhiculé, que ni Hegel, ni Jean-Luc Nancy, ni encore Bachelard n’ont évitées.
Ainsi pour Bachelard, la poésie représente, constitue, est l’union des moments métaphysiques, elle est acte de passage vers la transcendance et son expression artistique en est la preuve. L’instant poétique capturé par Patrick Dubost est bien une forme de dépassement du quotidien qui pénètre dans le métaphysique par la profondeur, la finesse des perceptions, de la méditation et de la disponibilité des sentiments.
Quant à Hegel, dans Esthétique : « ainsi la poésie détruit l’union de l’intériorité spirituelle et de l’extériorité réelle à un point tel qu’elle cesse d’être conforme au concept primitif de l’art et court le danger de se séparer totalement de la région du sensible pour se perdre définitivement dans le spirituel. » Jean-Luc Nancy (dans Les Muses et commentant Hegel) conclue ceci : « La poésie est donc la fin de l’art en tant que sa mise en danger. Et sa mise en danger met en danger une nécessité absolue de l’Idée, ou de la vérité, en tant que l’une et l’autre, l’une ou l’autre, doivent essentiellement apparaitre ou se faire sentir. » Poésie tension, poésie point de contact, poésie interface, poésie piste de lancement, Patrick Dubost est exactement à ce point de « danger », il prend ce risque de relier et de tenir ensemble ce qui doit essentiellement apparaitre ou se faire sentir. A savoir le monde idéal, une forme de liturgie, le réel du monde et ses créatures, l’absence et la présence, l’éveil mystique et le prosaïque pareillement baignés de lumière, lumière posée « au centre de toute chose » comme un parti pris de vivre un toujours premier jour.
Béatrice Machet
Patrick Dubost, 13 poèmes taillés dans la pierre, la Boucherie littéraire, collection la feuille et le fusil, 13 euros, (disponible en librairie sur commande)
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