L'inconnu, l'aventure du jouer, c'est ce que chante LEONARD COHEN (repris par GRAEME ALLWRIGHT ). Le jeu, recherche d'un inconnu inaccessible, fait du joueur un Etranger; c'est aussi le sujet du film de R Altman. JOHN MC CABE qui reprend les chansons
" C'est vrai que tous les hommes que tu as connus étaient des joueurs
Qui disaient qu'ils renonçaient
Au jeu chaque fois que tu leur offrais ton refuge
Je connais ce genre d'hommes
C'est difficile de retenir la main de ceux
Qui essaient d'atteindre le ciel pour se livrer
Puis ramassant les jokers qu'il
A oubliés derrière lui, tu trouves qu'il ne t'a pas laissé
Grand chose pas même son rire
Comme tout joueur il attendait la carte
Qui est si haute et démente
Qu'il n'aura jamais plus besoin de s'en distribuer une autre "
" Un journaliste du Nichinichi lui rendait justement visite aussi. Le tournoi, racontait-il, se révélait très populaire. Chaque samedi, les lecteurs étaient invités à donner leur avis sur la façon dont la partie devrait évoluer en certains points délicats.
- Noir 91 ?" Le visage du Maître prit la même expression que s'il contemplait le damier.
Tout en parlant, il s'était redressé, mis à genoux, jambes rapprochées, tête droite. C'était sa posture devant la table de jeu, une posture empreinte d'une dignité sévère. Pendant un moment, on eût dit que, face au vide, il avait perdu toute conscience de son identité.
Il ne donnait pas l'impression, pas plus ce jour-là que celui de la partie par équipe, que ce fût uniquement par ferveur pour son art qu'il jouait chaque coup avec tant de sérieux, ni qu'il s'exagérât son rôle de Maître de Go. Il semblait plutôt que les choses suivaient leur cours normal.
Nous nous étions réunis le soir qui précéda la deuxième séance de Hakoné. " Le Maître nous étonnera toujours, dit Sunada, journaliste du Nichinichi qui leur servait en quelque sorte de factotum. Pendant chacune de ces quatre journées de repos, si l'on peut dire, il est venu me chercher dès son lever pour jouer au billard. Et chaque jour, sans exception, nous avons joué toute la journée puis tard le soir. C'est peut-être un génie, mais c'est certainement un être inhumain. "
" Nous habitions le quartier de Kogai, à Azabu ; la maison n'était pas trop vaste, et il jouait ou s'entraînait dans une pièce de dix tatamis. L'ennui, c'était que la pièce voisine, une pièce de huit tatamis, servait de salon. Nous recevions parfois des invités bruyants qui riaient fort. Un jour qu'il disputait une partie avec je ne sais plus qui, l'une de mes jeunes sœurs est venue me montrer le dernier de ses bébés. Vous savez ce que sont les bébés : celui-là n'a pas cessé de crier. J'en devenais folle, je ne souhaitais plus que leur départ. Mais je n'avais pas vu ma sœur depuis très longtemps, elle venait pour une raison précise, je ne pouvais pas lui demander de partir. Quand elle a fini par prendre congé, je suis allée m'excuser pour tout ce bruit. Eh bien, savez-vous qu'il ne s'était rendu compte de rien ! Ni de la visite, ni des cris du bébé ! " Elle ajouta : " Ogishi disait autrefois qu'il désirait devenir semblable au Maître dès que possible. Le soir, avant de dormir, il s'asseyait sur sa couche pour méditer. Il existait une école de méditation d'Okada, vous savez, dans ce temps-là. ".
En second lieu, suite à l'incertitude, jouer serait une forme de " duplicité " selon Henriot, entendant par là une attitude de l'ordre du " je sais bien mais quand même " double conscience ou double pensée" où le joueur sait qu'il joue mais en même temps oublie qu'il joue le temps d'une partie. " La " distanciation " parce qu'elle est une façon de se rendre étranger au monde et à soi - même ( Verfremdung ) se double d'une déréalisation qui, sans aller jusqu'à prendre une forme pathologique, traduit par une sorte d'état second ou de lévitation mentale une certaine perte de contact avec le réel. "
Dès le moment où je cherchai à jouer contre moi-même, je me mis inconsciemment au défi. Le noir que j'étais rivalisait avec le blanc que j'étais aussi, et chacun d'eux devenait avide et impatient en voulant gagner. La pensée de ce que je ferais en jouant avec les blancs me donnait la fièvre quand je jouais avec les noirs.
Entrer dans le jeu, enfin, c'est entrer dans l'illusion, du " comme si en acceptant les conventions, un genre de " contrat ludique " qui pose le jeu et le rend possible .(c'est le sens des interminables conventions verbales des enfants : " on dirait...on ferait.. ! " C'est ainsi ecrit encore J.Henriot que se distribuent les rôles d'un jeu symbolique. Mais peut-être faut-il dire que tout jeu, quel qu'il soit, se trouve défini par un système de conventions préalables, et avant tout par cette convention fondamentale qui le pose comme jeu : jouer, c'est d'abord poser que l'on joue. Telle est la convention première, celle qui fonde le jeu comme tel. Même si elle n'est pas explicitement formulée, elle est implicitement comprise et admise . "
. Le cadre fictionnel constitué par le jeu (ou le rituel) met en place une forme de réalité à la fois
" Développé, l'énoncé " ceci est un jeu " donne à peu près ceci : " Les actions auxquelles nous nous livrons maintenant ne désignent pas la même chose que désigneraient les actions dont elles sont des valant pour. "
Interrogeons-nous maintenant sur cette expression en italique. Nous disons que le mot " chat " vaut pour n'importe quel membre d'une certaine classe. C'est dire que l'expression " valoir pour " est synonyme de " dénoter ". Si donc maintenant, dans la définition développée du jeu, nous remplaçons " valoir pour " par " dénoter ", nous aurons : " Ces actions auxquelles nous nous livrons maintenant ne dénotent pas la même chose que ce que dénoteraient les actions qu'elles dénotent. " Le mordillage ludique dénote la morsure sans pour autant dénoter ce que dénoterait une morsure.
Il s'ensuit que le jeu est un phénomène où les actions du "jeu" sont liées à (ou dénotent) d'autres actions, de "non-jeu ". Avec le jeu, nous sommes donc en présence d'un cas où Blés signaux valent pour d'autres événements, et il semble donc que l'évolution du jeu ait pu être une étape importante dans l'évolution de la communication.
7. La parade et la tromperie sont également des exemples d'une manifestation primitive de la différenciation carte-territoire. Il est de l'ordre de l'évidence que les oiseaux dramatisent : un choucas peut imiter ses propres signes indicatifs d'humeur (Lorenz) ; la tromperie est repérable chez les singes hurleurs (Carpente5).
8. On pourrait croire que la menace, le jeu et la parade sont trois comportements indépendants, Mais ceci semble être faux, du moins pour ce qui est de la communication.- Une brève analyse du comportement de l'enfant prouve que des combinaisons telles que : jeu théâtral, bluff, menace ludique, jeu taquin comme réponse à la menace, ou menace simulée, forment un seul et unique complexe de phénomènes. Certains comportements adultes tels que le jeu, ou le risque, prennent racine dans la combinaison du jeu et de la menace. Il est évident que non seulement la menace, mais aussi son complément - le comportement de celui qui est menacé -, font partie de cet ensemble. De même que nous devrions probablement inclure dans ce champ non seulement la simulation théâtrale, mais également le voyeurisme du spectateur; il est censé de mentionner aussi l'apitoiement sur soi.
9. En allant encore plus loin en ce sens, nous arrivons à inclure le rituel dans ce champ de généralités où une distinction est établie - quoique incomplètement - entre l'action dénotative et ce qui est à dénoter. Les études anthropologiques sur les cérémonies de pacification, pour ne prendre qu'un seul exemple, étaient cette conclusion.
Aux îles Andaman, la paix est conclue après que chaque partie a laissé à l'autre la liberté cérémoniale de lui porter un coup. Cet exemple illustre d'ailleurs la nature instable de la structure donnée par " Ceci est un jeu ", ou " Ceci est un rituel " : la distinction entre la carte et le territoire est toujours susceptible de s'effondrer, et les coups rituels de pacification sont toujours susceptibles d'être pris pour des vrais coups de combat. La cérémonie de pacification devient alors une bagarre (Radcliffe-Brown ' ) Gregory Bateson Vers Une Ecologie De L'esprit. Points
Pour Jacques Henriot , dans son ouvrage " Sous Couleur De Jouer " dont le sous titre est la " métaphore ludique ", le jeu est métaphore, entendu comme processus de transposition : En tant que transposition, le procès métaphorique implique l'existence d'une aire intermédiaire éphémère mais réelle au sein de laquelle existe le jeu. " Et il en énonce la une définition
: " On appelle jeu tout procès métaphorique résultant de la décision prise et maintenue de mettre en œuvre un ensemble plus ou moins coordonné de schèmes consciemment perçus comme aléatoires pour la réalisation d'un thème délibérément posé comme arbitraire. " ...
" La comparaison n'est que le plus bas degré de la métaphore. Il s'agit réellement d'une métaphore, c'est-à-dire d'une transposition qui est par essence réversible. La métaphore opère dans les deux sens. En un premier temps, on présente le jeu comme une manière d'agir qui mime ou simule quelque chose de " réel " ; puis l'on en vient à penser que le réel lui-même doit se comprendre à partir de l'idée que l'on se fait de ce que c'est que jouer . "
La notion d'aire intermédiaire ou de cadre fictionnel qui sera développé par Winnicott (espace potentiel) et qu'on rencontrera par la suite, a inspiré les ethnologues : Ainsi Albert Piette : " Pour Une Anthropologie Comparée Des Rituels Contemporains ", " Dans le même sens selon lequel il n'y a pas de morsure dans le jeu des animaux, , Jésus n'est pas réellement présent (au sens dur, factuel du terme) à la messe, comme le reconnaîtraient la plupart des chrétiens et, de la même façon, l'opposition entre les deux villes n'est pas réelle dans le match de football qui les oppose. Dans ces deux exemples, il y a extraction de deux types différents de données, une situation historique qui a eu lieu (la Cène) et l'opposition, en tout cas la différence entre deux cités (deux pays) ; ensuite recontextualisation de ces données sous un cadre ludique. Terrain, 29, 1997
Un autre exemple reste le livre de ROBERTE HAMAYON : " JOUER ", où elle étudie le NAADAM, fête national des Bouriates(voisins des mongols) ,objet de nombreux jeux comme le tir à l'arc ou la lutte. Or ce n'est pas tant ces jeux qui intéressent l'anthropologue que les pratiques dont elles sont le résidu, telles que " la fête des Fiancées " ou les séances chamaniques préparatoire à la chasse, toute activité que les Bouriates qualifient en employant le mot jouer. La gestuelle du chamane se voulait imitative des animaux, lors de leurs parades amoureuses- repousser le rival et approcher la femelle, le chamane cherchant à séduire et à épouser un esprit animal /femelle pour qu'elle procure abondance et fécondité aux chasseurs. L'auteure profite de l'occasion pour situer le jeu par rapport au rituel qui en serait l'inversion. Ce qui se passe dans le jeu, relèverait de l' vraiment à un autre niveau, celui du monde des invisibles, dans lequel elles ne sont nullement exemptées des suites qui en sont attendues. Elles sont au contraire supposées avoir des répercussions, d'un autre ordre cette fois, sur la vie ordinaire, réelle de la communauté : imitation, alors que ce qui se passe dans le rite chamanique, relèverait de la simulation si les joueurs imitent certaines attitudes tout en étant exemptés des suites que les actions imitées impliquent dans la vie réelle, dans le rite, il en irait autrement. Les acteurs simulent dans le cadre fictionnel des actions censées se passer
" Alors que le lutteur donnait des coups de tête à son rival dans un cadre impliquant qu'il ne combattait pas, le chamane fait l'inverse : il donne des coups de tête en l'air et le cadre rituel impose de comprendre qu'il se bat vraiment, et cela contre un rival invisible dans le monde des invisibles. "
" Pour aborder cette modalité de l'action, c'est d'une définition par la négative que je partirai dans ce troisième chapitre, car le " jouer " se présente avant tout comme n'étant pas un véritable " faire " mais - la suite le montrera - comme pouvant néanmoins constituer " une sorte de " faire. La dimension corporelle en émerge, immédiate, dont l'examen clôt la première partie. De prime abord, elle consiste en mouvements vifs et répétés dans un espace limité ; mais elle se révèle aussitôt porteuse de tout autre chose que ces simples mouvements. Ceux-ci, inspirés de mouvements animaux, forment un cadre fictionnel lorsqu'ils sont accomplis par des humains, qui dotent ce cadre fictionnel d'une valeur de réalité dans un autre registre que celui de la réalité empirique
Lors des anciens rituels chamaniques, le chamane devait faire " jouer " les participants de plusieurs manières, accomplir lui-même divers " jeux ", dont un " jeu d'encornement " où il mimait des coups de tête de grand ruminant. Or le même verbe jouer se disait aussi bien de l'oiseau en parade ou du pianiste que du joueur de cartes ou de l'acteur sur scène. Et les équivalents donnés dans les langues de traduction étaient invariablement, et sans hésitation, " jouer " (anglais play, russe igrat'). Il est vite apparu que parler à ce propos de polysémie ne menait à rien. Sous le nom de Jeux qui désigne la fête, la lutte reste la lutte, et la course, la course. Les autres peuples autochtones de Sibérie organisent également autour de pratiques similaires leurs fêtes collectives identitaires, et font dans ce cadre un large appel au vocabulaire du jouer. Ils incitent leurs enfants à s'entraîner à ces pratiques qui, chez eux, sont aussi fondées sur une gestuelle imitée de conduites animales tout en étant ressenties comme porteuses des valeurs viriles idéales. Invoquer la proximité culturelle n'expliquerait rien non plus. De toute évidence encore, il y a d'un peuple à l'autre, sous la diversité terminologique, une telle similitude des conduites et des valeurs associées qu'elle suggère la présence sous-jacente d'une même notion, qui n'est pas forcément nommée ou ne l'est pas de façon homogène mais dont " jouer " semble spontanément un équivalent commode. " Roberte Hamayon. Jouer.Une Etude Anthropologique. La Découverte.
Il y a enfin le matériel de jeu, à l'instar par exemple du plateau et des pièces des échecs qui permettent l'application des règles ; on tend à confondre les deux , par exemple ,sous l'appellation jeu d'échecs et la distinction semblerait inutile ;mais c'est à encore au prix d'une certaine confusion : Il est possible de jouer aux échecs sans matériel comme c'est le cas pour les grands joueurs, pour qui suffit une représentation interne, abstraite du jeu, capables de jouer à l'aveugle ou de s'accommoder d'un matériel de substitution).
Ainsi, dans un film de SATYAJIT RAY, Shatranj Ke Khilari (LES JOUEURS D'ECHECS, 1977), la jeune et belle épouse délaissée de l'un des joueurs, excédée par cette passion du jeu qui touche à l'obsession, dérobe les pièces en ivoire afin d'empêcher les adversaires de jouer. Or, les deux protagonistes, décident de remplacer les tours par des piments, les cavaliers par des citrons, les pions par des noisettes, et ainsi de suite.
On peut, à l'inverse, utiliser le matériel de jeu pour autre chose que le jeu ; un jeu d'échecs est souvent objet de décoration, une pièce peut avoir d'autres usages (presse papier). Il n'est donc pas superflu de prendre en compte le matériel, pour mieux souligner l'indépendance du sens par rapport au premier sens.Il est bon de rappeler encore l'usage métaphorique et symbolique hors du contexte ludique de ce matériel : l'importance qu'il a eu et possède encore dans les pratique divinatoires : dés, osselets, et bien sur les cartes comme les tarots. C'est ainsi que les quatre enseignes du tarot (denier, coupe, épée, bâton), renvoient aux quatre éléments ou encore aux quatre évangélistes. ; d'où, entre autres, l'embarras des historiens et archéologues face à certains vestiges matériels.
Le " matériel "ludique n'est donc pas insignifiant et renvoie à l'histoire(les noms des cartes) et aux mythes. On pourrait citer les comptines et les chants qui scandent certains jeux de l'enfant, comme les jeux de balle ou de cordes et dont les contenus historiques ont été évidemment oubliées pour devenir simple structure rythmique. Tels " le palais royal est un beau palais ou charlemagne roi d'Espagne... ". JEAN MARIE L'HOTE DANS LE " SYMBOLISME DES JEUX " donne de nombreux exemples.il cite ainsi la marelle et le tir à l'arc .La disposition spatiale d'un jeu , horizontal ou verticale ne serait pas ,non plus, dénuée de sens :
La règle fondamentale du jeu de marelle exige de ne point s'arrêter sur une ligne, de n'y point poser le pied par inadvertance. Chacun est familier du réflexe qui nous fait éviter de marcher sur des lignes apparentes d'un trottoir ou d'une rue. Nous ralentissons ou accélérons le pas, de manière à poser le pied nettement à l'intérieur d'une dalle, à nous trouver, selon la vieille expression : " franc du carreau ". Ce terme désigne le jeu consistant à envoyer un palet à l'intérieur d'une figure géométrique simple, de telle sorte que ce palet ne touche aucune ligne d'enceinte, aucune ligne intérieure.
Le joueur de marelle doit aussi respecter cette règle. Sans pousser l'analyse de ce réflexe il faut observer qu'il correspond au besoin de ne pas se trouver " entre deux chaises ", en équilibre sur une frontière, au besoin de savoir où l'on est, de savoir se nommer, à l'abri de l'incertitude et du chaos. L'itinéraire proposé vers le Paradis est fait d'étapes franches. L'hésitation, les repentirs et surtout les situations fausses ou ambiguës sont sévèrement sanctionnés.
-Outre la signification générale de la figure, et l'importance des lignes de séparation, une troisième observation s'impose : le jeu se pratique à cloche-pied. L'homme qui parcourt ainsi l'itinéraire est un véritable boiteux; or voici ce que dit, à propos du boiteux, le Dictionnaire des Symboles : " Boiter est un signe de faiblesse [...]. Si le pied est un symbole de l'âme, un défaut dans le pied ou dans la marche, révèle une faiblesse de l'âme. C'est d'ailleurs ce qui ressort de tous les exemples mythologiques et légendaires où se retrouvent des boiteux. Si Achille, sans être boiteux, est vulnérable au talon, c'est en raison de sa propension à la violence et à la colère, qui sont faiblesses de l'âme. ( que dire d'Œdipe, " pied enflé " qui est donc boiteux !)
" Inutile de s'appesantir sur l'importance de l'arc dans la mythologie : Apollon lance au loin ses flèches comme le soleil ses rayons, Hercule fait de l'arc l'une de ses armes privilégiées et, bien entendu, Cupidon, aveugle comme nos garçons des Ardennes cités par Van Gennep, est évidemment le plus célèbre des dieux-archers. Ceci se retrouvant dans d'autres domaines que la mythologie grecque et en particulier aux Indes, avec parfois un élément s'ajoutant à la précision et à la vitesse, celui de la force nécessaire pour bander l'arc. Dans tous ces cas, l'arc dégage un symbolisme puissant né de la conjonction de la flèche et du but, de l'arc et de la cible dont on ne sait trop si le projectile se trouve propulsé par la corde détendue ou littéralement aspiré par la cible solaire. "
L'un des premiers exemples de tir à la cible semble bien être celui que décrit Virgile dans L'Enéide : Achille, au lendemain des funérailles de Patrocle, fait dresser un mât de navire. À la cime, une colombe attachée par les pattes sert de cible. Voilà qui préfigure le célèbre jeu de Papegay fort en honneur au Moyen Âge ". Jean-Marie L'hôte.Le Symbolisme Des Jeux .Berg International
En matière de conclusion provisoire et comme un écho du symbolisme de la marelle, je citerai la démonstration fascinante à laquelle se livre MICHEL SERRES dans le séminaire de Levi Strauss Sur L'IDENTITE. Travaillant sur les invariants qu'on trouve dans les récitsromanesques,( il prend l'exemple de la série des Rougon-Macquart d'E.Zola-- mais on trouverait la même chose dans les séries télévisée ou dans les cycles de science-fiction, comme dans certains jeux video).Là se combinent les éléments d'un même ensemble, le pont, le puits, le labyrinthe ,la prison et la mort. Et c'est là que l'auteur rencontre les éléments et la structure du Jeu De L'oie, comme espace fictionnel , matérialité horizontale et graphique et ensemble de règles .Son texte regroupe tout ce qu'on peut développer sur les éléments du jeu et permet un rapprochement avec la littérature comme jeu. Le Jeu de l'oie,le labyrinthe comme la série des romans de Zola tracent ainsi le cycle du destin.
Une précision : outre la pierre de Phaistos déjà mentionnée : l'origine précise du Jeu De L'oie est assez obscure. Mais l'Italie du XVIe siècle en est le berceau le plus probable. Vers 1600, les héritiers de Benoît Rigaud, à Lyon, impriment " Le Jeu de l'oye ", à ce jour le plus ancien exemplaire français connu. À la différence des jeux italiens, allemands, flamands ou espagnols, où le labyrinthe (case 42) renvoie à la case 39 (ou indique qu'il faut reculer de trois "pas "), le jeu lyonnais fait reculer le joueur à la case 30 (" Qui ira au nombre 42, où est un labyrinthe, paie le prix convenu et retourne au nombre 30 ").Cette originalité du seul jeu français provient d'une erreur de traduction de l'italien.
" L'intérêt, tout à coup, rebondit quand on s'avise que lesdits contenus résiduels, mobilisés sur le graphe du Jeu de l'Oie, sont, en fait, des reproductions, parfaitement reconnaissables, de constellations mythiques courantes. Reprises du discours gréco-latin, ou judéo-chrétien, voire issues d'une aire plus large, comme le cycle du festin, isolé autrefois par Georges Dumézil. Exemple : la Gervaise de l'Assommoir est boiteuse. Voici la figure de la tare héréditaire, le mot tare signifiant d'abord écart à l'équilibre. Mais, d'autre part, tombé du toit, son mari, couvreur, va boiter comme elle. Gervaise est tombée : aux basses classes, au bidonville de la Goutte d'or. Elle est l'amie du forgeron, la Gueule d'or; elle est la mère de Nana, la Mouche d'or, qui débute dans la carrière en jouant la blonde Vénus dans un théâtre parisien. Voici qu'en suivant à la trace la légende dorée, vous reconstituez toute l'affaire de Vulcain, dont l'antre, justement, est reconstitué sur les tréteaux. Gervaise boite par la tare, elle se déhanche par la chute. Le savoir fait, d'un coup, silence, la mythologie parle.....
Le pont est un chemin qui connecte deux berges, ou qui rend une discontinuité continue. Ou qui franchit une fracture. Ou qui recoud une fêlure. L'espace du parcours est lézardé par la rivière, il n'est pas un espace de transport. Dès lors, il n'y a plus un espace, il y a deux variétés sans bords communs. Si différentes qu'il est besoin d'un opérateur difficile, ou dangereux, pour connecter leurs bords. Difficile puisqu'il faut un pontife, au moins, dangereux puisque, le plus souvent, quelque diable le garde, ou que les ennemis d'Horatius Codés l'y assaillent. La communication était coupée, le pont la rétablit, vertigineusement. Le puits est un trou dans l'espace, une déchirure locale dans une variété. Il peut déconnecter un parcours qui y passe, et le voyageur tombe, la chute du vecteur, mais il peut connecter des variétés qui se trouveraient empilées. Des feuilles, des feuillets, des formations géologiques. Le pont est paradoxal, il connecte le déconnecté. Le puits l'est plus encore, il déconnecte le déconnecté, mais il connecte aussi le déconnecté
Je puis recommencer, le long de la série. Démontrer cette affaire stable sur la prison, enceinte close, ou sur l'hôtellerie, seuil, relais ou relance, et sur le labyrinthe enfin qui est la somme des emblèmes. Dédale de connexion et de non-connexion, fermé tout autant qu'ouvert, où le transport est un voyage autant qu'une immobilité. Tous opérateurs paradoxaux de l'espace, signalant qu'on en a trop vite fini avec l'espace, qu'on n'en finit jamais avec les espaces, opérateurs au travail à la fois aux mythes fabuleux de la Crète, aux récits de ce que nous nommons littérature, et dans la théorie ou topologie des graphes, des jeux et réseaux de transport. Il y a deux siècles, assez exactement, Kant commençait à philosopher en observant une propriété paradoxale de l'espace. Sur une asymétrie non dite ou non dicible, il projetait une esthétique. Or, sa faute était double : il ne repérait qu'un espace, alors qu'on peut en définir de variés, de nombreux, et en nombre croissant; il tentait d'autre part le sot projet d'une fondation dans le sujet transcendantal, alors que nous pouvons tout recevoir dans le langage et les pratiques. " Michel Serres .Discours et Parcours dans l'Identité.CL.levi.Straus.Quadrige .PUF.