"Il y a dix jours, sur Canal plus, Jean-Pierre Raffarin a donné son avis sur les diverses et récurrentes polémiques qui entourent Rachida Dati. Comme à son habitude, l'ancien Premier ministre français a louvoyé, oscillant entre soutien plus ou moins ferme et critiques implicites à l'adresse de la Garde des Sceaux.Mais ce qui m'a le plus interpellé, c'est l'une de ses phrases dont je vous cite de mémoire le contenu. « Rachida, a-t-il expliqué, est quelqu'un qui a de la personnalité et qui sait où elle va. » Vous noterez qu'il n'a pas dit « Madame Dati » ou tout simplement "Rachida Dati" Non, il l'a désignée par son prénom et il a fait cela de manière systématique durant tout l'entretien avec Laurence Ferrari.Ce qu'il y a d'intéressant dans l'affaire, c'est qu'il n'est pas le seul dans ce cas. La semaine dernière, un confrère parisien m'a ainsi téléphoné pour savoir ce que je « pensais du cas Rachida. » Je lui ai alors demandé pourquoi il l'appelait de la sorte. Blanc à l'autre bout de la ligne puis cette réponse embarrassée : « Bah, tout le monde l'appelle comme ça, non ? ». Et c'est bien le problème. Combien d'hommes politiques, de journalistes ou de personnalités du show-biz versent dans cette familiarité à l'égard des Beurs ? En son temps, déjà , Dominique de Villepin évoquait sa confiance en «Azzouz », alors secrétaire d'Etat à l'égalité des chances, et il suffit de tendre l'oreille pour entendre les uns et les autres parler de « Rama » ou de « Fadéla » comme on parle de bonnes copines ou d'adolescentes pour lesquelles on a cette affection qui excuse les petites bêtises. S'agit-il d'une forme de complicité qui serait la marque du monde politique ? Je ne le crois pas, n'ayant jamais ouï Raffarin parler de « Roselyne » ou de «Christine ». On m'objectera que les dirigeants socialistes, communistes ou verts ont tendance à s'appeler par leurs prénoms en public. C'est vrai, mais il s'agit-là d'une certaine forme d'égalitarisme forcé, une manière de se rappeler les uns aux autres qu'il n'y a pas, parmi eux, de tête qui dépasse. Si j'insiste sur cette histoire, c'est parce que je suis convaincu qu'évoquer Rachida Dati uniquement par son prénom est loin d'être innocent. Cela traduit ce paternalisme, parfois inconscient, que subissent souvent les enfants de l'immigration y compris (etsurtout) celles et ceux qui veulent que l'on oublie leurs origines pour ne retenir que leurs seules compétences. J'irai même plus loin : ne l'appeler que Rachida, c'est faire comme il n'y a pas si longtemps où l'on ne disait que Fatma et le titre de cette chronique aurait pu s'intituler « Ne l'appeler que Rachida, c'est penser Fatma ». Ne croyez pas que je cherche à défendre Rachida Dati : elle n'en n'a pas besoin et, de toutes les façons, elle est loin de constituer ce que j'appellerai une cause prioritaire. Il reste que cette tempête autour d'elle est un cas d'école dont devraient s'inspirer tous les enfants issus de l'immigration qui cherchent à s'en sortir. Cette histoire de prénom, tout comme le procès en obscurantisme qui lui est fait depuis la pathétique affaire du mariage annulé pour cause de mensonge à propos de la virginité, démontrent qu'ils ne pourront pas éviter de se trouver en face de personnes tentées de leur rappeler leurs origines qu'elles soient raciales ou sociales. Dans un pays qui a connu une révolution et plusieurs révoltes, la notion de classe, quoiqu'en disent quelques «socialistes » qui n'en finissent pas de se perdre, demeure incontournable. Appeler quelqu'un uniquement par son prénom, surtout dans un univers policé où chaque code compte, c'est, consciemment ou non, le rabaisser. C'est lui rappeler que l'on n'oublie pas d'où il vient et que, par conséquent, lui aussi n'a pas intérêt à le faire. Les déboires de Rachida Dati démontrent aussi l'importance de la manière dont l'élévation sociale est perçue. A tort ou à raison, de nombreux Français sont aujourd'hui convaincus que la ministre de la Justice ne doit sa position qu'à la volonté de Nicolas Sarkozy (vous voyez chère Lamia, je ne l'appelle plus « le mari de Carla », et c'est bien pour vous faire plaisir !).La mise en cause a beau se défendre, clamer qu'elle possède ses réseaux et les compétences requises, on voit bien que le message a du mal à passer et les polémiques au sujet de ses tenues, de son autoritarisme et de ses études n'arrangent pas les choses. En réalité, la compétence est la condition première pour la réussite des enfants d'immigrés. C'est elle qui forge la légitimité et force le respect. Sans elle, le soutien du plus puissant des réseaux ne sert à rien car, tôt ou tard, l'heure de vérité sonne avec violence. S'élever au-dessus de sa condition est un combat qui n'est jamais terminé et il ne suffit pas d'arriver pour se croire installé. Une fille ou un fils d'immigré peuvent être admis dans les cercles les plus fermés, il ne devront jamais baisser leur garde et quelle meilleure protection que leur compétence ? Ce qui signifie une chose : il faut, un jour ou l'autre, savoir dire non, et réfréner ses ambitions afin de ne pas franchir ce que l'on appelle communément son seuil d'incompétence. Un berrichon incompétent déclenchera certainement les critiques, mais un Beur ou une Beurette incompétents provoqueront des torrents de fiel surtout si leur comportement est jugé arrogant ou revanchard.Quoiqu'en dise ce bon vieil Edouard (je parle de Balladur, pas du fils de notaire), rien ne prouve vraiment que Dati soit « nulle » ou incompétente (mais inexpérimentée, pressée, brutale, c'est très possible). Le serait-elle qu'il ne faudrait tout de même pas oublier que dans l'actuel gouvernement, il y a des ministres qui sont de véritables branquignoles (des ˜bghoulas' pluriel de ˜bghel", si vous préférez) que l'on critique rarement, alors qu'il suffit de les écouter parler pour se rendre compte de leur vacuité. Comment expliquer cette différence de traitement ? Peut-être parce qu'ils ne s'appellent pas Rachida. Ou alors parce qu'ils ont compris que modestie et discrétion sont, que l'on soit compétent ou pas, mères de toutes les assurances..." Publié le: 12/06/2008 Ils ne l'appellent que Rachida - Par: Akram Belkaïd Copyright © 2007 Le Quotidien d'Oran- Tous droits réservés. *** "Au delà du cas de la ministre de la justice, nous avons plus ou moins tous été confrontés au problème récurrent du paternalisme ou de la familiarité quand ce n'est pas de la condescendance réservés aux personnes considérées comme mineures ou de condition inférieure. N'avez vous jamais été confrontés, sur le plan professionnel aux collègues ou supérieurs hiérarchiques qui ne supportent pas de vous voir au même niveau ou pire plus compétents qu'eux. Nous avons fait ce commentaire pour vous faire réagir.Le débat est ouvert." Sid-Ali
"Il y a dix jours, sur Canal plus, Jean-Pierre Raffarin a donné son avis sur les diverses et récurrentes polémiques qui entourent Rachida Dati. Comme à son habitude, l'ancien Premier ministre français a louvoyé, oscillant entre soutien plus ou moins ferme et critiques implicites à l'adresse de la Garde des Sceaux.Mais ce qui m'a le plus interpellé, c'est l'une de ses phrases dont je vous cite de mémoire le contenu. « Rachida, a-t-il expliqué, est quelqu'un qui a de la personnalité et qui sait où elle va. » Vous noterez qu'il n'a pas dit « Madame Dati » ou tout simplement "Rachida Dati" Non, il l'a désignée par son prénom et il a fait cela de manière systématique durant tout l'entretien avec Laurence Ferrari.Ce qu'il y a d'intéressant dans l'affaire, c'est qu'il n'est pas le seul dans ce cas. La semaine dernière, un confrère parisien m'a ainsi téléphoné pour savoir ce que je « pensais du cas Rachida. » Je lui ai alors demandé pourquoi il l'appelait de la sorte. Blanc à l'autre bout de la ligne puis cette réponse embarrassée : « Bah, tout le monde l'appelle comme ça, non ? ». Et c'est bien le problème. Combien d'hommes politiques, de journalistes ou de personnalités du show-biz versent dans cette familiarité à l'égard des Beurs ? En son temps, déjà , Dominique de Villepin évoquait sa confiance en «Azzouz », alors secrétaire d'Etat à l'égalité des chances, et il suffit de tendre l'oreille pour entendre les uns et les autres parler de « Rama » ou de « Fadéla » comme on parle de bonnes copines ou d'adolescentes pour lesquelles on a cette affection qui excuse les petites bêtises. S'agit-il d'une forme de complicité qui serait la marque du monde politique ? Je ne le crois pas, n'ayant jamais ouï Raffarin parler de « Roselyne » ou de «Christine ». On m'objectera que les dirigeants socialistes, communistes ou verts ont tendance à s'appeler par leurs prénoms en public. C'est vrai, mais il s'agit-là d'une certaine forme d'égalitarisme forcé, une manière de se rappeler les uns aux autres qu'il n'y a pas, parmi eux, de tête qui dépasse. Si j'insiste sur cette histoire, c'est parce que je suis convaincu qu'évoquer Rachida Dati uniquement par son prénom est loin d'être innocent. Cela traduit ce paternalisme, parfois inconscient, que subissent souvent les enfants de l'immigration y compris (etsurtout) celles et ceux qui veulent que l'on oublie leurs origines pour ne retenir que leurs seules compétences. J'irai même plus loin : ne l'appeler que Rachida, c'est faire comme il n'y a pas si longtemps où l'on ne disait que Fatma et le titre de cette chronique aurait pu s'intituler « Ne l'appeler que Rachida, c'est penser Fatma ». Ne croyez pas que je cherche à défendre Rachida Dati : elle n'en n'a pas besoin et, de toutes les façons, elle est loin de constituer ce que j'appellerai une cause prioritaire. Il reste que cette tempête autour d'elle est un cas d'école dont devraient s'inspirer tous les enfants issus de l'immigration qui cherchent à s'en sortir. Cette histoire de prénom, tout comme le procès en obscurantisme qui lui est fait depuis la pathétique affaire du mariage annulé pour cause de mensonge à propos de la virginité, démontrent qu'ils ne pourront pas éviter de se trouver en face de personnes tentées de leur rappeler leurs origines qu'elles soient raciales ou sociales. Dans un pays qui a connu une révolution et plusieurs révoltes, la notion de classe, quoiqu'en disent quelques «socialistes » qui n'en finissent pas de se perdre, demeure incontournable. Appeler quelqu'un uniquement par son prénom, surtout dans un univers policé où chaque code compte, c'est, consciemment ou non, le rabaisser. C'est lui rappeler que l'on n'oublie pas d'où il vient et que, par conséquent, lui aussi n'a pas intérêt à le faire. Les déboires de Rachida Dati démontrent aussi l'importance de la manière dont l'élévation sociale est perçue. A tort ou à raison, de nombreux Français sont aujourd'hui convaincus que la ministre de la Justice ne doit sa position qu'à la volonté de Nicolas Sarkozy (vous voyez chère Lamia, je ne l'appelle plus « le mari de Carla », et c'est bien pour vous faire plaisir !).La mise en cause a beau se défendre, clamer qu'elle possède ses réseaux et les compétences requises, on voit bien que le message a du mal à passer et les polémiques au sujet de ses tenues, de son autoritarisme et de ses études n'arrangent pas les choses. En réalité, la compétence est la condition première pour la réussite des enfants d'immigrés. C'est elle qui forge la légitimité et force le respect. Sans elle, le soutien du plus puissant des réseaux ne sert à rien car, tôt ou tard, l'heure de vérité sonne avec violence. S'élever au-dessus de sa condition est un combat qui n'est jamais terminé et il ne suffit pas d'arriver pour se croire installé. Une fille ou un fils d'immigré peuvent être admis dans les cercles les plus fermés, il ne devront jamais baisser leur garde et quelle meilleure protection que leur compétence ? Ce qui signifie une chose : il faut, un jour ou l'autre, savoir dire non, et réfréner ses ambitions afin de ne pas franchir ce que l'on appelle communément son seuil d'incompétence. Un berrichon incompétent déclenchera certainement les critiques, mais un Beur ou une Beurette incompétents provoqueront des torrents de fiel surtout si leur comportement est jugé arrogant ou revanchard.Quoiqu'en dise ce bon vieil Edouard (je parle de Balladur, pas du fils de notaire), rien ne prouve vraiment que Dati soit « nulle » ou incompétente (mais inexpérimentée, pressée, brutale, c'est très possible). Le serait-elle qu'il ne faudrait tout de même pas oublier que dans l'actuel gouvernement, il y a des ministres qui sont de véritables branquignoles (des ˜bghoulas' pluriel de ˜bghel", si vous préférez) que l'on critique rarement, alors qu'il suffit de les écouter parler pour se rendre compte de leur vacuité. Comment expliquer cette différence de traitement ? Peut-être parce qu'ils ne s'appellent pas Rachida. Ou alors parce qu'ils ont compris que modestie et discrétion sont, que l'on soit compétent ou pas, mères de toutes les assurances..." Publié le: 12/06/2008 Ils ne l'appellent que Rachida - Par: Akram Belkaïd Copyright © 2007 Le Quotidien d'Oran- Tous droits réservés. *** "Au delà du cas de la ministre de la justice, nous avons plus ou moins tous été confrontés au problème récurrent du paternalisme ou de la familiarité quand ce n'est pas de la condescendance réservés aux personnes considérées comme mineures ou de condition inférieure. N'avez vous jamais été confrontés, sur le plan professionnel aux collègues ou supérieurs hiérarchiques qui ne supportent pas de vous voir au même niveau ou pire plus compétents qu'eux. Nous avons fait ce commentaire pour vous faire réagir.Le débat est ouvert." Sid-Ali