"Le quai de Ouistreham" de Florence Aubenas

Par Lesalondeslettres @Salon_Lettres


La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler. Et pourtant, autour de nous les choses semblaient toujours à leur place. J'ai décidé de partir dans une ville française, où je n'ai aucune attache, pour chercher anonymement du travail... J'ai loué une chambre meublée. Je ne suis revenue chez moi que deux fois en coup de vent : j'avais trop à faire là-bas. J'ai conservé mon identité, mon nom, mes papiers et je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. Je suis devenue blonde. Je n'ai plus quitté mes lunettes. Je n'ai touché aucune allocation. Il était convenu que je m'arrêterais le jour où ma recherche aboutirait, c'est-à-dire celui om je décrocherai un CDI. Ce livre raconte ma quête qui a duré presque 6 mois.

J'ai choisi de lire ce livre pour deux raisons : parce que le journalisme m'intéresse mais aussi - et je dirai presque surtout - que comme Florence Aubenas j'ai exercé le métier d' agent d'entretien durant cet été. J'ai donc vécu la même "expérience" que Florence Aubenas, la seule différence entre elle et moi étant qu'elle est journaliste et que moi je souhaite le devenir. Pour autant, le métier d'agent d'entretien reste le même. C'est même amusant de voir que les sociétés de nettoyage - ou qu'elles soient - semblent adopter les mêmes codes : la lavette bleu pour nettoyer les miroir ou l'interdiction de toucher aux papiers sur les bureaux, etc. J'ai ainsi retrouvé beaucoup de choses vraies dans le récit, car je les ai moi-même vécues :

J'ai l'impression de passer mon temps à rouler, en pensant sans penser, la tête traversée par des combinaisons d'horaires, de trajets, de consignes. Se souvenir d'arrêter l'alarme en arrivant dans tel endroit, prendre la sortie sur la voie rapide pour aller dans tel autre, remettre les clés du local dans leur cachette, ne pas oublier de sortir la poubelle de la cafétéria.

Florence Aubenas a fait ce que j'appelle une "expérience" : journaliste de profession, elle est partie dans une ville où elle ne connaissait personne, Caen, afin d'y chercher un emploi. Elle s'est inventée une autre vie, en disant qu'elle n'avait jamais travaillée, afin de "partir de rien". Elle s'est donc bel et bien mis des bâtons dans les roues (sinon, cela aurait été trop facile). Elle nous parle donc des (nombreux) échecs, des candidatures qui n'aboutissent finalement pas, les recruteurs qu'elle rencontre sans jamais être rappelée... L'inconvénient du récit est qu'elle ne parle jamais de ce qu'elle disait. J'aurai aimé avoir aussi son point de vue lors des discussions et au final j'aurai aimé être une petite souris pour savoir quelle était son attitude face aux situations, si elle a baissé les bras, etc. Je me pose beaucoup de questions : pourquoi a-t-elle ressenti le besoin de faire cette "expérience" ? Avait-elle une réserve d'argent ou a-t-elle vécut uniquement avec ce qu'elle gagnait ? Pourquoi n'a-t-elle révélée la vérité qu'à deux personnes suite à cette expérience ? Peut-être que je pourrai les lui poser un jour...

Tout ce que raconte Florence Aubenas est tellement VRAI. Je pense que la phrase suivante le résume au mieux : "Du coup, on s'embrasse vigoureusement, en se demandant avec une chaleur subite ce que chacune est devenue. Pour l'une et l'autre, c'est pareil : tout et rien, on travaille tout le temps, sans avoir vraiment de travail, on gagne de l'argent sans vraiment gagner notre vie ." Mais contrairement à elle je suis tombée sur une société avec des personnes en règle avec le droit et éventuellement sympathiques. Ce livre a l'intérêt de nous montrer la difficulté de trouver du travail. Écrit en 2010, la journaliste a voulu faire l'expérience durant la crise mais cela n'est pas forcément si différent en temps normal : le nombre de chômeurs est certes plus important mais le métier d'agent d'entretien et ses conditions ne changent pas. Elle a connu la galère en passant de boulot en boulot et parfois on ne la rappelait pas : "Aucune raison n'est donnée, jamais, sur une embauche ni sur un congé."

Ce livre est loin d'être une lecture plaisante et il m'a effrayé à tout instant. Il rend compte de la réalité du marché de l'emploi et ce n'est pas gai. Les nombreuses personnes - et donc collègues que Florence Aubenas a rencontré - connaissent toutes d'énormes difficultés. Je me suis étonnée que personne ne l'ai reconnu, surtout qu'elle avait publié des ouvrages bien avant celui-ci, qu'elle préparait alors.

=> Une lecture qui fait froid dans le dos mais qui met face aux réalités de la société. Un récit plein de vie pour une situation compliquée : trouver un emploi et se faire respecter.

Genre : Récit, témoignage

Français

Un homme explique à un autre qu'on reçoit un repas quand on travaille chez certains ostréiculteurs. "Pas d'argent du tout ? demande l'autre.

- Non, juste le repas, mais chaud."