Même François Forestier, habitué des livres improbables dont il rend compte dans sa « boîte à bouquins » sur le site Internet Bibliobs, a failli s’y tromper : il pensait que le récit du premier voyage de l’Orient-Express écrit par Edmond About (1828-1885) n’avait pas été réédité depuis 1884. Alors que les Éditions Magellan lui avaient redonné existence il y a quelques années, mais sous un titre différent. Voici donc une nouvelle réédition, respectueuse au moins du titre original. (Et du texte aussi, y compris dans les quelques fantaisies orthographiques de l’auteur.)
Le 4 octobre 1883, l’Orient-Express part de la gare de l’Est à 19 heures 30, emportant vers Constantinople ou, comme le dit Edmond About, Stamboul, des passagers invités. Parmi eux, quelques journalistes et un écrivain sont particulièrement chargés de faire la promotion de l’événement. Deux d’entre eux au moins reviendront du voyage « avec un livre sous le bras », comme l’écrit Octave Uzanne dans Le Livre. Une manière d’exprimer de la reconnaissance envers Georges Nagelmackers, fondateur de la Compagnie internationale des wagons-lits, et qui était du voyage. Edmond About, écrivain alors célèbre et sur le point d’être élu à l’Académie française, rédige De Pontoise à Stamboul, qui occupe à peu près la moitié d’un volume de 300 pages complété par des textes plus brefs. Henri Opper de Blowitz, qui est à Paris le correspondant du Times, fait mieux encore avec Une course à Constantinople, plus de 350 pages. Les deux ouvrages, parus presque simultanément, poussent à puiser dans celui-là ce qui n’est pas dans celui-ci : le portrait d’Edmond About par Henri Opper de Blowitz qui fait le tour des « convives » au début du voyage.
À une autre table, un peu plus loin, M. Edmond About, qui cause avec la vivacité d’un Français curieux de connaître et sûr d’avance d’être écouté avec plaisir. La physionomie de M. Edmond About est une des plus connues parmi les physionomies parisiennes. Il est de belle apparence, et ses cheveux et sa barbe, trop tôt grisonnants, je crois, ne lui ont rien enlevé de ce qui constituait autrefois ses éléments de succès mondains.
Il a l’attaque vive, et supporte de bonne humeur les ripostes qu’il s’attire. Il est souvent le premier à rappeler le plus éclatant de ses échecs, et l’on retrouve facilement dans sa conversation la causticité qui marque ses écrits. Il est gouailleur, comme il convient à un normalien, et il se porte haut comme il sied à un homme de sa valeur ; mais il quitte facilement le ton léger pour montrer dans les conversations plus graves un esprit qui observe et une intelligence qui retient. M. Edmond About est un des hommes dont on a le plus médit dans Paris.
Quand on est parvenu à une certaine hauteur, ceux qu’on a laissés derrière soi, au bas de la montée, les camarades qui sont demeurés dans les obscurités lointaines de l’inconnu, vous accusent de les avoir lâchés. Mais n’est pas lâcheur qui veut, et M. Edmond About a pu se dire que la corporation des lâcheurs, qui compte Caïphe et saint Pierre parmi ses fondateurs, est d’assez vieille roche pour qu’on se console d’en faire partie.
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