La ville de Bordeaux a beau se doter du surnom « La belle endormie », il subsiste de nombreux collectifs innovants et motivés qui dynamisent la ville. L’Orangeade, Microkosm, A l’eau ou bien Demain Kollectiv pour ne citer qu’eux, prennent peu à peu les commandes de la cité afin de proposer une nouvelle scène, que ce soit en club, dans des lieux insolites ou bien en mer parfois ! Les alternatives aux soirées traditionnelles se développent, grandissent et mûrissent à tel point que ces nombreuses associations élaborent implicitement la création d’un second agenda plus informel.
L’émergence de toutes ces associations se ressent depuis désormais deux ans, où moyens du bord et bouche à oreille sont de mise. Chacun son concept, ses projets, ses envies et sa personnalité, mais pour la plupart, le sentiment d’un manque à Bordeaux est le facteur majeur de la création du collectif. Comme le dit Hugo (membre de L’Orangeade): « L’Orangeade est née durant nos années d’études, on s’est rendu compte que l’on avait une passion commune pour la black musique et on avait envie de faire sortir les gens hors du carcan rock ou éléctro très pesant à Bordeaux ». Il en est de même pour Lily (Demain Kollectiv): « Quand on va en soirée, on vient voir l’artiste; mais entre la piste et le coin fumeur, il n’y a souvent rien d’autre à faire. C’est là que nous proposons tout un univers à explorer, imaginé autour du thème abordé, conçu pour tous les sens ».
En réponse à ce sentiment de lassitude, ces associations cherchent à proposer autre chose que des artistes coincés dans un club ou une salle de concert. La soirée elle-même devient un concept à part entière, surtout lorsque l’on se rend aux évènements Demain Kollectiv, explique Lily: « On cherche à créer un lien conducteur entre les différents artistes dans la même soirée, chacune possède un thème sous-jacent. Par exemple, pour notre soirée qui s’est déroulée dans un cinéma érotique, nous avons tenu à moduler les artistes afin de les insérer dans ce cadre si particulier, ainsi que de les coordonner pour mélanger les genres, proposer un spectacle complet ».
De même pour l’association Microkosm, ce collectif âgé de deux ans désormais, construit autour d’une bande d’amis lassés des mêmes soirées, s’est monté à l’aide d’artistes de tous genres (musique, danse, design, peinture, projection etc…). Après plusieurs mois de réflexion, le concept est né; sous la signature « La nature reprend ses droits sur la ville ». Ce groupe d’amis veut faire « émerger des artistes locaux bordelais, supprimer les barrières et cette glorification du Dj pour avoir une vraie interaction avec le public, et représenter toutes les formes d’art dans un même lieu: en somme, créer une effervescence particulière » précise Pierre (Microkosm). Le principal moyen de créer cette sensation passe pour la plupart de ces associations, par la recherche et l’appropriation d’un nouveau lieu, modulable et inconnu du grand public.
Malheureusement, même si l’envie y est, la réticence de la part des particuliers ou des institutions publiques se fait aussi sentir dans la location de son espace. C’est le problème principal: comment expliquer aux mairies et aux propriétaires que les évènements ne sont pas des raves parties mais bel et bien des concepts artistiques ? La peur de la musique Techno, voire électronique, demeure la première raison du refus. Malgré de nombreuses tentatives et toujours autant de motivation, Microkosm n’a toujours pas atteint sa finalité, son but premier, comme le précise Rémi: « Microkosm, c’est des évènements en journée le samedi ou le dimanche, autour d’un espace envahi par les plantes et la nature. Notre but c’est d’avoir notre lieu à nous, que l’on transformerait, dans lequel on puisse retransmettre notre sphère, particulièrement dans un open air de type hangar ou friche industrielle,un style qui rappellerait Détroit ou Berlin ».
Néanmoins, indéniablement, une démocratisation de la culture électronique apparaît depuis quelques temps. A partir d’une certaine animation provoquée par des acteurs formels (Iboat, Block ,Bootleg etc…) et informels (collectifs et associations), la ville de Bordeaux comprend progressivement l’intérêt d’accorder plus de liberté aux organisateurs. Loin de l’idée que les règles et contraintes ont disparu, mais Tristan (L’Orangeade) reconnaît qu’ « une certaine agitation s’opère dans les cerveaux et crée un élan qui permet d’effacer cette réputation de ville embourgeoisée où rien d’excitant ne s’y déroule ». Hugo (L’Orangeade) le soutient: « Je suis assez satisfait, lorsque je me rends compte que de plus en plus de gens se démènent et essayent de faire bouger les choses. Mais aussi, que la ville et les élus se dirigent dans ce sens là et souhaitent élargir le plus possible leur cadre d’action dans le secteur de la culture, en exploitant au mieux les ressources du territoire bordelais pour proposer des soirées différentes ».
En réalité, les deux partis y gagnent. Premièrement, les institutions publiques et privées donnent de la valeur à leur espace, en les impliquant dans un contexte particulier, leur permettant de ce fait d’augmenter leur influence et leur visibilité. Dans un deuxième temps, les associations ouvrent des portes closes, et voient le public s’agrandir au fil du temps. D’autant plus que les évènements proposés dans des lieux non-conçus pour, se font sans dégradation dans la plupart des cas. Pour un bon nombre de collectifs, l’organisation d’évènements réside aussi dans la construction d’infrastructures uniques et doit donc le prendre en compte, un point auquel Lily (Demain Kollectiv) tient énormément: « L’éco-responsable tient une place centrale dans ce que je veux proposer, toutes les scénographies sont éco-conçues, je tiens à n’avoir aucun impact négatif. La dégradation est intolérable. L’art est quelque chose qui se partage, se transmet et doit être accessible à tous ».
En effet, l’élément moteur de ces associations se situe dans la diversité des lieux de fête où l’esprit de partage et les vibes restent intactes. Particulièrement actif depuis quelques temps, le collectif A l’eau a fait de sa mobilité sa marque de fabrique. Partis d’une simple chaîne de musique, ce sont cinq jeunes bordelais qui proposent désormais des évènements dans tous les clubs, bars et lieux insolites de la ville. Ils disposent de plusieurs artistes (Whisley, The Tom tom’s, Guilty Arnot etc…) quasi-exclusivement nés de la scène bordelaise, avec lesquelles ils construisent une réelle identité. Leur but est de les aider à se produire et évoluer en leur proposant des dates continuellement. Cependant Alix tient à mettre au clair les ambitions du groupe: « nous ne sommes pas un label de musique, on ne produit pas de musique, ce qui nous permet de proposer un certain éclectisme au sein de notre collectif ». A l’eau se rapproche plus de l’évènementiel et ne pose donc ainsi, aucune contrainte à ses artistes. Ce sont même les premiers à pousser leurs artistes, notamment à l’aide de rencontres avec d’autres musiciens. Jouissant d’une importante notoriété aujourd’hui, le collectif emmène de nombreux artistes sous son aile et apparaît presque toutes les semaines sur l’agenda bordelais.
Ainsi, ce nouveau souffle insufflé par ces multiples collectifs n’apparaît que comme la transition évidente à la monotonie qui s’était installée depuis quelques années à Bordeaux. D’autre part, les budgets étroits de ces associations imposent une communication réduite, la seule arme demeure le bouche-à-oreille. Et pourtant, ce système n’a rien à envier lorsque les affluences concurrencent celles des lieux classiques (clubs et salles de concert). Cette communication au charme fou agit systématiquement et créer une osmose particulière. C’est aussi cette proximité entre spectateurs et organisateurs, introuvable en club, que le public recherche.
En somme, cette émergence de collectifs permet au public bordelais de redécouvrir leur ville en profondeur. Une façon de réinventer la fête, et d’enrichir son agenda culturel: tels sont les objectifs de ces associations florissantes. La ville de Bordeaux, en rattrapant son retard, efface peu à peu cette réputation qui lui colle à la peau. L’augmentation d’évènements et l’instauration d’un premier festival de musiques électroniques, le Hors-Bord, atteste l’ambition Bordelaise de promouvoir la culture électronique.