Avec Eye in the sky, qui sort directement en E-Cinéma, ce vendredi 9 septembre 2016, Gavin Hood réalise un quasi-remake de son précédent film La stratégie Ender. Il quitte la science-fiction et ce qu’elle a d’évocateur pour aborder les mêmes problématiques, notamment l’éthique de la guerre moderne, à travers un angle très réaliste, plus ambigu moralement mais bien plus angoissant.
Le capitaine Katherine Powell (Helen Mirren), officier du renseignement britannique, pilote la capture de terroriste à Nairobi, au Kenya. De l’autre côté de l’Atlantique, Steve Watts (Aaron Paul que l’on a vu dans Exodus : Gods and Kings) et Carrie Gershon (Phoebe Fox) pilotent le drone qui fournit les informations. Leur hiérarchie panique lorsqu’elle se rend compte que les troupes au sol ne pourront pas intervenir.
Jama Farah (Barkhad Abdi)
Plongée vertigineuse au cœur des enjeux moraux, politiques et juridiques de la lutte antiterroriste, Eye in the sky est un instantané acerbe mettant en lumière, dos à dos, la lâcheté des uns et le cynisme des autres. Gavin Hood signe une œuvre puissante qui décortique le discours officiel, pièce par pièce, pour mieux en saisir l’opacité des responsabilités, la lourdeur des procédures et les manipulations à l’œuvre. Nettement se découpent deux groupes, les décideurs et les exécutants. Les premiers tergiversent sur la valeur de telle ou telle vie humaine, se lavant les mains mutuellement, tandis que sur les mains des seconds, un sang encore chaud coulera bientôt, laissant une trace indélébile sur les consciences. L’extrême partage des tâches et la dilution des responsabilités permet d’en diminuer la portée. Avec un concept fort simple, ne nécessitant guère les moyens d’une superproduction testostéronée, Eye in the sky instaure rapidement un suspens étouffant, coupant littéralement le souffle au spectateur saisi par les enjeux humains des décisions qu’il suit. L’essentiel de l’action se développe donc dans l’univers feutré d’une salle de réunion. Tout le gratin concerné, de près ou de loin, est présent. Sont présent le général Frank Benson (Alan Rickman que l’on a entendu dans Alice de l’autre côté du miroir), Angela Northman (Monica Dolan que l’on a vu dans Pride) qui représente le parti au pouvoir, l’avocat de la couronne d’Angleterre ou encore le ministre de la Défense. Avec une prédilection pour les hommes politiques, l’armée n’est pas en reste, Gavin Hood va mener la vie dure à la langue de bois traditionnelle. Ces premiers sont moqués par des situations grotesques et pince sans rire, le Ministre des affaires étrangères britannique, James Willett (Iain Glen que l’on a vu dans Game Of Thrones), pris de diarrhée après un cocktail trop arrosé, prend une communication assis sur le trône tandis que le secrétaire d’État américain l’expédie pour continuer sa partie de ping-pong en Chine. Mais au-delà de ses aspects comiques, il faut surtout saluer la description sans ambages des petits calculs politiciens, des renoncements et de l’hypocrisie du légalisme forcené. Alors que le ministre de la Défense se dédouane constamment, ruisselant de transpiration devant les conséquences probables d’un engagement, Angela Northman est une vipère cynique qui ne parle qu’en terme de suffrage. Quand à l’avocat de la Couronne, seul l’aspect juridique semble le concernait, il en est de même pour les juristes de l’armée.
Général Frank Benson (Alan Rickman)
Cautionner un meurtre, un massacre, choisir entre tels ou tels dénouement, peu importe, pourvu que l’on soit dans son droit. On parle ici de droit de la guerre, de conventions internationales, qui si elles ont posés des limites ne résout pas l’immoralité immanente de la guerre. Il faut dire que la vie d’une gamine kényane est dans la balance des décisions mais jamais celle-ci n’est considéré autrement qu’une donnée non négligeable pouvant retourner l’opinion publique. Du côté des forces armées, le tableau n’est pas plus idyllique. Si l’on excepte Steve Watts et Carrie Gershon qui, émus par le sort de la fillette, tentent de retarder l’opération ou du moins d’y trouver une issue favorable, le général Frank Benson, que l’on illustre en train de chercher un cadeau pour sa fille le matin même, la considère contre un dégât collatéral négligeable, si imprégnés qu’il est de cette novlangue qui nient le caractère humain des victimes civiles de guerres. Pire, Katherine Powell tente par tous les moyens d’infléchir le libre arbitre du pilote de drone, allant jusqu’à trafiquer les statistiques de survie des civils présents. On peut, et l’on doit, bien sur, se poser la question terrible du sacrifice d’une vie contre tant d’autre mais il est néanmoins saisissant de saisir les circonvolutions qu’effectuent les protagonistes d’Eye in the sky pour tenter de se mettre en accord avec leur conscience. D’autant plus que le film ne nous épargne rien, ne fais aucune concession, évite le manichéisme béât des grosses productions, pour mieux appuyer là où le bat blesse. En effet, le résultat désastreux de l’opération, du en partie aux indécisions des uns et des autres, risque fort de pousser la population contre l’Occident. C’est que c’est une guerre aveugle que nous menons et qu’il est bien difficile de pouvoir crier victoire lorsque pour un terroriste éliminé, nous créons de toute pièce plusieurs civils fanatisés. C’est tous le sens de la poignante scène finale d’Eye in the sky, renversant les valeurs que nous sommes censés défendre pour les retourner contre nous.
Colonel Katherine Powell (Helen Mirren)
Eye in the sky cible avec brio les contradictions et les dilemmes de la guerre moderne, à la fois aseptisée et contre-productive, aux enjeux et aux belligérants si divers qu’ils deviennent obscurs pour l’opinion public et que l’on peut, en conséquent, facilement manipulée. Eye in the sky pose sur la table des opérations les preneurs de décisions va-t-en-guerre pour une dissection en règle de la fabrique de l’horreur.
Boeringer Rémy
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