J'étais triste... profondément triste.
L'existence n'avait pour moi pas la moindre consistance, les choses me paraissaient vaines et futiles. Les êtres, débiles et infantiles.
Et tout effort, toute persévérance inutile. Je n'avais aucun plan de vie.
Je n'étais prisonnière d'aucun point de vue.
Sans illusion, je ne pouvais tenir bien longtemps. Je ne tentais même pas le coup de la tentation... les répulsions avaient pour moi plus d'attrait que les attractions.
Les distractions n'en parlons pas... rien ne pouvait me distraire... même le plaisir a fini par renoncer à me plaire... état de disgrâce à travers lequel je ne percevais pas de sourires, que des grimaces.
C'est la laideur qui enrichissait les heures, les bonnes et les mauvaises... le malheur avait plus d'épaisseur que le bonheur, la beauté était sans saveur et la vérité sans valeur.
Il n'y a pas plus triste que la tristesse d'un regard qui ne perçoit que des forteresses vides...
J'étais sujet sans projet... et projet sans objet...
Dépression chronique et anachronique. Bile noire. Rien qu'un liquide amer secrété par le foie.
C'est ainsi que l'on me nomme : Mélancolie...
Je fus, j'étais mélancolique. Mes peines étaient souveraines. Je ne savais pas bien écrire pour décrire mon profond désarroi... et justifier auprès des autres mon désir permanent de rupture... La force de mon divorce... mon refus systématique de jouer le jeu du monde...
Pour rendre visible ou lisible mon chagrin... j'ai fait un dessin.
C'est tout ce que j'ai réussi à faire de bien, je crois... un dessin qui représentait un papillon.
Pour moi, c'était ça : la mélancolie, il n'y avait pas mieux comme définition que :
Ce papillon sur un petit bout de papier.
Et pour bien garder mon secret, car je n'avais nulle envie de le divulguer, j'ai caché mon petit bout de papier... dans un livre... j'ai choisi le Coran... le seul livre de la bibliothèque que nul n'a jamais ouvert... mon père, ma mère, mon frère, ma sœur étaient catholiques de confession.
Une nuit, pour nourrir ou soutenir mon insomnie, j'ai rouvert le Coran pour jeter un œil sur mon papillon...
Je n'ai pas pu l'admirer longtemps... parce qu'il en a profité pour s'envoler... oui il s'est envolé en me laissant, moi et mon petit bout de papier...
J'ai compris cette nuit là... quelque chose... mais je ne vous dirai rien de ce doux liquide secrété par la Foi.