Bianca Cappello d’après Scipione Pulzone – Bologne
Le 5 juin 1578, François Ier de Médicis, grand-duc de Toscane, épouse son amour de jeunesse, l’audacieuse Bianca Cappello. Un dur coup porté au nom prestigieux des Médicis. Bianca n’est pas aimée. Comment aurait-il pu en être autrement ? Cette parvenue était la grande rivale de Jeanne d’Autriche, première épouse de François et mère de la future Reine de France Marie de Médicis…
Dix ans plus tard, François et Bianca décèdent à un jour d’intervalle. Des morts suspectes. Des études réalisées en 2007 sur le corps du grand-duc (celui de Bianca n’a pas été retrouvé) ont conclu à un empoisonnement à l’arsenic. Voici l’histoire d’un triangle amoureux, combat de femmes, lutte inégale qui se transforma en affaire d’Etat, pour se terminer en tragédie.
La passion d’un prince
A l’automne 1562, c’est encore Cosme Ier de Médicis qui gouverne Florence et les provinces de Toscane. Il séjourne alors à Pise avec sa famille. Funeste voyage… Deux de ses fils, Garzia et Jean, sont emportés par la malaria, puis sa femme, Eléonore de Tolède, succombe à la phtisie… Il lui reste trois fils, François, Ferdinand et Pierre, et une fille, Isabelle.
Endeuillé, commençant à ressentir les premiers symptômes de la goutte, Cosme décide qu’il est grand temps de déléguer quelques affaires à son fils aîné François. Le 11 mai 1564, il signe un acte d’abdication partiel, qui lui réserve la direction des affaires diplomatiques et la prise de certaines décisions.
Aussitôt ses nouveaux droits reconnus, le jeune prince François affiche publiquement à Florence ses amours avec sa maîtresse Bianca Cappello, une noble vénitienne née en 1548. Elle avait quitté en douce le foyer familial, ses parents s’opposant à son union avec Pietro Bonaventuri, « un modeste commis de banque ». Réfugiée à Florence où elle loge via Maggio, elle peut épouser Pietro tout en devenant citoyenne florentine.
C’est donc par hasard, en l’apercevant du haut de son balcon dans les rues de Florence, que François tombe sous le charme de cette jeune beauté d’à peine dix-sept ans : un teint d’une blancheur de lys, une chevelure blonde tirant sur le roux, des lèvres vermeil, un front large et bombé, des yeux vifs, un certain embonpoint prisé à l’époque… Le prince François se consume d’amour. Rien n’est trop beau pour Bianca, qu’il comble de présents.
Furieux de voir cette Vénitienne « parader insolemment » au bras de son fils en toute occasion, se promener en carrosse décoré d’or dans les rues de Florence, Cosme menace : il pourrait fort bien emprisonner l’importune dans un Couvent ! Mais il a horreur du scandale. D’autant qu’il vient d’obtenir pour François la main de l’archiduchesse Jeanne d’Autriche, soeur du nouvel Empereur Maximilien II, et nièce de Charles Quint. Union qui doit sceller l’alliance entre les Médicis et les Habsbourg. Le mariage a lieu le 18 décembre 1565, à San Lorenzo. Les réjouissances, fabuleuses, se poursuivent jusqu’en mars de l’année suivante !
Bianca toute puissante
Le 21 avril 1574, Cosme Ier de Médicis meurt à l’âge de cinquante-cinq ans. Son fils aîné, reconnu comme son successeur, devient François Ier de Médicis, grand-duc de Toscane.
Depuis son mariage, une dizaine d’années auparavant, rien n’a changé. Entre son épouse, blonde aux traits épais, terne et timide, et la belle, flamboyante et énigmatique Bianca, son choix a été vite fait. La Vénitienne règne toujours en maîtresse sur le cœur de son amant : il l’a nommée dame d’honneur de Jeanne… François n’éprouve aucun scrupule à infliger la présence quotidienne et outrageante de son amante à son épouse légitime.
François de Médicis est un personnage raffiné et brillant, mais tout à la fois violent, vaniteux, passionné et perfide.
Prince de la Renaissance parlant plusieurs langues, le grand-duc n’est en revanche guère rompu aux affaires, pour lesquelles il n’a aucun goût. Réaliste, il confie une grande partie de son pouvoir à quelques hommes compétents. Il peut alors s’adonner à sa passion pour les arts, l’architecture et la science, et se donner tout entier à sa bien-aimée.
Jeanne d’Autriche, grande-duchesse de Toscane, par Alessandro Allori
François Ier de Médicis par Alessandro Allori vers 1560
Lorsque Jeanne, qui n’est pas stupide, comprend que son mari la trompe avec Bianca, François lui rétorque qu’il est encore bien jeune, qu’il lui reviendra sûrement un jour, et qu’en regardant un peu autour d’elle, elle comprendra qu’elle n’est pas si mal traitée…Ben voyons.
Un personnage gène toujours François dans sa relation avec Bianca : Pietro Bonaventuri, le mari encombrant devenu franchement intolérable depuis qu’il se vautre dans la débauche.
Pour se débarrasser de ce dépravé, François Ier de Médicis peut compter sur sa sœur Isabelle, pieuse et chaste femme, profondément horrifiée par les écarts de conduite de ce rustre. Elle fournit même à son frère la troupe de criminels dont il a besoin pour s’en débarrasser !
Le jour même où s’achevait le massacre de la Saint-Barthélemy dans les provinces françaises, le 26 août 1572, Pietro Bonaventuri, l’époux de Bianca, était assassiné piazza de Frescobaldi à Florence sur les ordre de François.
Si Bianca n’a vraisemblablement pas trempée dans l’organisation de ce meurtre, elle se console bien vite. Les deux amants peuvent désormais vivre leur histoire d’amour en toute liberté, sans aucune restriction. François n’a plus aucun sens de la mesure dès qu’il s’agit de sa maîtresse. Il transforme sa maison de la via Maggia en un hôtel luxueux, lui achète le vaste Jardin Oricellari, la comble de bijoux, met à son service litières, chaises à porteurs, carrosses et domestiques.
La Vénitienne contre l’Autrichienne
François est chaque jour plus épris de Bianca et elle se sent libre d’abuser du pouvoir qu’il lui donne. Comme naguère Diane de Poitiers, elle devient toute-puissante à la cour et dispose de tout dans l’Etat.
Même les ambassadeurs étrangers mentionnent l’influence de la Vénitienne sur le grand-duc, et la terrible situation de Jeanne d’Autriche.
Bianca, pourvue de bien des qualités mais ayant une forte opinion de sa personne, se comporte comme la véritable épouse de François, éclipsant Jeanne dans chaque divertissement public : fêtes de cour, chasses, comédies. François se rend à l’Eglise en sa compagnie, et ils écoutent la messe en se faisant les yeux doux.
Mais Bianca n’est pas pleinement satisfaite. Sa grande crainte est que Jeanne donne naissance à un fils. Car, même si l’Autrichienne se montre d’une fécondité exceptionnelle, pour l’instant ce ne sont que des filles : Éléonore en 1567, Romola en 1568, Anna en 1569, Isabelle en 1571, Lucrezia en 1572 et enfin Marie en 1573 (seules Éléonore et Marie atteindront l’âge adulte).
En août 1576, Bianca Cappello accouche d’un garçon : Antonio. François le titre marquis de Capestrano. Une naissance obscure… Bianca aurait payée une jeune femme pour qu’elle lui vende son nouveau né et se serait retirée dans son Jardin Oricellari afin de simuler une grossesse ! Pures calomnies ? Qui sait !
Portrait de Bianca Capello jouant du Clavicorde par Lavinia Fontana, Musée des Beaux-Arts, Valenciennes
Marie souffre (elle le confiera plus tard) de voir sa mère, d’humeur si sombre, se réfugier dans la prière pour se consoler des affronts de son père. Si Bianca se montre moins condescendante à l’égard de Jeanne que la légende ne le raconte, elle ne fait rien pour calmer les colères de François. En effet, le grand-duc, qui ne supporte pas la jalousie pourtant légitime de son épouse, tempête, menace, lève même la main sur elle.
Dans de vagues sursauts d’orgueil, la grande-duchesse tente d’affronter ouvertement sa rivale.
Jeanne d’Autriche avec son fils Philippe – Galerie des Offices de Florence
Les reproches (qui donnent lieu à de véritables scènes domestiques) n’ayant aucun effet, elle en appelle à son frère Ferdinand, gouverneur de Bohème, qui menace de soulever Florence et de ramener sa sœur à Innsbruck. Mais les espoirs de Jeanne sont anéantis par la mort de son frère l’Empereur Maximilien, survenue le 12 octobre 1576.
Rodolphe II succède à son père. Tellement soucieux de s’attacher la maison des Médicis, il enterre l’affaire, se contentant de sermonner gentiment François Ier. Jeanne n’a plus aucun appui, ses frères Ferdinand et Charles devant se soumettre à la volonté de leur neveu…
Mais le calvaire de la douce et pieuse Jeanne touche à sa fin. le 20 mai 1577, elle donne le jour à un garçon, Philippe. Enfin un héritier légitime… Mais, épuisée par sept grossesses, Jeanne meurt en avril 1578, alors qu’elle arrive au terme de sa huitième grossesse. Après avoir accouchée d’un enfant mort, elle s’éteint donc à l’âge de trente-deux ans.
Ses derniers mots sont pour son mari infidèle : « Rappelez-vous que j’ai été votre épouse et que je vous ai aimé tendrement ». Sa plus jeune fille, Marie de Médicis, n’a que cinq ans et se retrouve bien seule…
Le couple ducal vilipendé
Au moins de juin, sa femme à peine enterrée, François Ier de Médicis convole en secondes noces avec Bianca Cappello, couronnée grande-duchesse. Comment ? Une veuve d’un obscur débauché prend la place de la pieuse nièce de Charles Quint ? C’est inimaginable pour la grande majorité de la population de Florence. On murmure que Bianca a envoûté le grand-duc… Le couple est obligé de se réfugier dans son domaine de Pratolino, aux environs de la capitale, fuyant la foudre du peuple. François abandonne ses enfants, élevés sans lui au palais Pitti.
Réellement soucieuse de se faire accepter, la Vénitienne souffre de la haine tenace que lui portent les florentins, qui prennent exemple sur les deux frères de François : le cardinal Ferdinand de Médicis et Pierre de Médicis. Elle ne parviendra jamais à les rallier à elle. Tout comme elle se montre incapable de donner un autre enfant à son époux.
Toujours plus impopulaire, Bianca continue à se terrer avec son époux, alternant les séjours dans leurs résidences aux alentours de Florence.
François de Médicis, mécène doué et généreux, mais homme solitaire et ténébreux, est de moins en moins aimé par son peuple. Indolent, il se montre incapable de combattre la corruption dans la société, et de faire face à la décadence culturel et économique de ses États. Les années passent, François s’adonne à sa passion pour les expériences chimiques et mécaniques, et à son amour pour Bianca, ne réagissant que tardivement à l’effondrement du commerce et à la propagation de la disette.
Cette situation ne peut plus durer… Ferdinand de Médicis trépigne d’impatience. Son frère s’est perdu aux yeux de l’opinion en épousant cette Vénitienne ! Il ne montre toujours aucun goût pour le pouvoir, et il n’a pour lui succéder qu’Antonio, ce fils à la naissance douteuse, le petit Philippe étant mort en 1582. Lui, Ferdinand, à du charisme et un sens des affaires nécessaires à l’exercice du pouvoir !
Bianca Cappello par Scipione Pulzone – Musée d’Histoire de l’Art de Vienne, Autriche
En septembre, Ferdinand rejoint son frère, son épouse et leur Cour dans la villa de Poggio a Caiano. Le 6 octobre 1587, François et Ferdinand partent à la chasse avec un petit groupe. En rentrant, François peste contre de douloureuses et soudaines courbatures. Le soir, il englouti son repas puis est secoué de violents vomissements. Le 8 octobre, il est contraint de s’aliter, victime d’une fièvre terrible. Au même moment, Bianca est prise de nausées : elle s’évanouit trois fois dans la journée. François Ier de Médicis meurt le 19 octobre, après de longues heures d’agonie, officiellement victime d’une « crise fulgurante de paludisme ». Le lendemain, Bianca s’éteint à son tour, emportée par une hydropisie bien opportune.
Ferdinand succède à son frère sous le nom de Ferdinand Ier de Médicis. S’il réserve à son frère des funérailles somptueuses, il n’en est pas de même pour Bianca, dont le corps est jeté dans une fosse. Il pourrait bien être à l’origine de leur empoisonnement à l’arsenic… C’est que, à l’image des Borgia, les Médicis sont soupçonnés d’avoir souvent usé de poison pour parvenir à leurs fins. Des rumeurs rarement vérifiables… mais les faits laissent songeurs !
Sources
♦ La Vénitienne des Médicis
♦ Les Médicis
♦ Marie de Médicis