Par Stéphane Foucart
LE MONDE | 05.09.2016Le vin bio est-il trop souvent une déplorable piquette ? Serait-il au contraire, toutes choses égales par ailleurs, comparable voire meilleur que le vin conventionnel ? Ce n’est pas seulement une querelle de pochetrons ou une conversation de fin de repas : c’est aussi une question dont la réponse pourrait avoir des conséquences environnementales, sanitaires et industrielles de première grandeur.
En général, chacun suit ses tropismes. Les plus sensibles à la préservation de l’environnement ont souvent tendance à apprécier le vin bio (sous ses diverses certifications). Quant aux plus écolophobes d’entre nous, ils considèrent bien souvent que les contraintes du label (qui concernent la culture de la vigne et les méthodes de vinification) se traduisent nécessairement par une perte de qualité du produit final.Jusqu’à présent, à peu près rien ne pouvait objectiver le débat et chacun, des deux bords, pouvait s’en tenir à ses options idéologiques et à ses préjugés — l’ignorance permet ce genre de confort.
Mais l’ignorance recule. Trois économistes viennent d’apporter, dans la dernière édition de The Journal of Wine Economics, un premier élément de réponse décisif. Magali Delmas et Jinghui Lim, de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), et Olivier Gergaud, professeur à la Kedge Business School, à Bordeaux, ont colligé 74 148 notations de vins californiens, publiées entre 1998 et 2009 dans trois revues (Wine Spectator, Wine Advocate etWine Enthusiast) dont les évaluations sont issues de dégustations à l’aveugle.
Résultat : les vins « bio » (selon la certification officielle californienne) ou « biodynamiques » (selon la certification privée de Demeter) affichent en moyenne un score supérieur de 4 points aux vins conventionnels, sur une échelle graduée de 50 à 100 — 50 étant le score d’une épouvantable piquette, un grand cru d’exception pointant entre 90 et 100.
Une défiance bien enracinée
Les auteurs, financés par l’UCLA, ont passé à la question leur base de données, contrôlant toute sorte de paramètres pour garantir que l’effet favorable mesuré est, bel et bien, attribuable au mode de production biologique du vin et non aux cépages utilisés, à son producteur, à sa région de production, à son millésime, etc.Est-ce si surprenant ? On sait déjà, avec certitude, que les pesticides de synthèse utilisés en agriculture conventionnelle réduisent la biodiversité des écosystèmes et affectent sérieusement la vie microbienne des sols. Or des travaux publiés en mars 2015 dans la revue mBio ont évalué l’impact sur la vigne de ces myriades de bactéries souterraines et concluaient que celles-ci avaient « le potentiel d’influencer les propriétés organoleptiques du vin ». Un « potentiel » désormais confirmé empiriquement.
Un esprit chagrin pourrait objecter que ces résultats ne concernent que des vins californiens. Vérité d’un côté de l’Atlantique, erreur de l’autre ? « Nous menons la même expérience sur des vins français, à partir des évaluations du Gault & Millau, précise Olivier Gergaud. Et les résultats que nous obtenons, bien que préliminaires, vont dans le même sens. »
Si les résultats présentés sont importants, c’est d’abord que la défiance vis-à-vis du vin bio est très enracinée chez bon nombre d’amateurs. Au point que de précédents travaux des mêmes auteurs ont montré que près des deux tiers des vignerons californiens ayant adopté les pratiques de l’agriculture biologique préfèrent ne pas s’en vanter sur leurs flacons !
A l’évidence, cette défiance est un frein à la conversion des exploitations, et ce frein a des conséquences environnementales et sanitaires potentiellement importantes. De fait, la vigne est l’une des cultures les plus consommatrices de pesticides. En France, selon des chiffres cités en 2013 par l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la vigne n’occupe que 3 % de la surface agricole utile mais concentre environ 20 % des quantités de pesticides utilisées dans le pays.
Effets sanitaires
Ces travaux s’inscrivent dans « une littérature émergente », selon les termes d’Olivier Gergaud. Du point de vue agronomique ou environnemental, les bénéfices et les inconvénients de l’agriculture biologique ont fait l’objet de nombreuses recherches ces dernières décennies. Mais son intérêt (ou son absence d’intérêt) pour le consommateur a été beaucoup moins investigué. En particulier, les effets sanitaires de la consommation de produits biologiques ont jusqu’à présent été peu recherchés.A l’image des travaux sur les qualités du vin bio, de récentes publications tentent de faire la part des choses. Une équipe norvégienne a ainsi récemment publié dans Environmental Health Perspectives des travaux suggérant, à partir d’une cohorte de plus de 35 000 femmes enceintes, une réduction de 40 % du risque d’hypospadias (une malformation de l’appareil génital masculin) chez les nouveau-nés dont la mère a consommé des produits biologiques – dont les résidus de pesticides sont inférieurs à ceux des produits conventionnels – au cours de sa grossesse. A confirmer par de plus amples recherches.
En plus d’être plausiblement meilleur (toutes choses égales par ailleurs) que son pendant conventionnel, le vin bio est-il meilleur (ou moins mauvais) pour la santé ? Cette question-là est encore ouverte.
Chacun peut encore s’en tenir à ses tropismes. Certains amateurs de vin bio assurent ainsi qu’une consommation excessive de vin conventionnel conduit plus probablement à un état migraineux très dégradé le lendemain qu’une consommation tout aussi excessive, mais limitée à du vin écolo. Vrai ? Faux ? Ce serait un projet de recherche amusant à conduire, et dont les résultats pourraient être bien plus importants qu’il n’y paraît.
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