[Avant-Première] War Dogs, des divergences entre moralité et légalité

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Nous avons pu voir en avant-première, ce mardi 6 septembre, le dernier film du réalisateur de la saga Very Bad Trip. Dans War Dogs,qui sortira en salle le 14 septembre 2016, Todd Phillips adapte l’histoire, malheureusement anodine durant l’ère Bush, de deux amis trafiquant d’arme de basse envergure se faisant une petite place sur le marché de la mort. Sur un ton presque parodique, décrivant deux personnages détestables, Phillips tente en vain de développer une critique pertinente du système.

Au début des années 2000, le gouvernement américain ouvre les vannes d’un commerce particulièrement morbide, distribuant les miettes des contrats d’armements aux petits entrepreneurs d’armes, dans l’optique de subvenir au besoin grandissant de l’armée qui planifie l’invasion de l’Irak. Deux jeunes américains de Miami, amis d’enfance, l’exubérant Efraim (Jonah Hill) et le réservé David (Miles Teller que l’on a vu dans le désastreux Les 4 fantastiques, dans les réactionnaires Divergente 2 : L’insurrection  et Divergente 3 : Au-delà du mur mais également dans l’excellent Whiplash où il est parfait), vont se lancer dans la partie.

David (Miles Teller) et Iz (Ana de Armas)

Lorsque l’on s’enferme dans une salle obscure, un contrat minimum est déjà établi avec le réalisateur et la production. Le spectateur donne sa confiance sur les promesses, souvent, d’une bande-annonce, oubliant souvent son côté purement marketing. Miroir déformant et simplificateur d’un média complexe, celle-ci trompe souvent sur la marchandise. C’est le cas pour War Dogs, présenté comme une comédie et qui n’en a que les atours. L’essentiel de l’aspect comique repose sur les épaules de Jonah Hill, reprenant son rôle de bouffon de service, forçant un peu le trait avec son personnage bling-bling amoindrissant des enjeux narratif d’une toute autre envergure. Les cinéphiles avertis éviteront d’ailleurs de regarder les annonces et iront, tel des aventuriers modernes et aguerris, se plonger dans une histoire sans jamais en avoir vu la moindre once de spoilers. Au hasard, c’est ainsi qu’ils découvriront des perles sous-estimées et inconnues du grand public. Ce n’est pas le cas de War Dogs, loin d’être raté mais, à plusieurs égards, ne remplissant pas son contrat et laissant un petit goût d’amertume. C’est que la narration en voix-off, incarnée par Miles Teller, pose des fondements très politiques et acerbes sur le commerce des armes. En introduction du film, on nous explique longuement les raisons financières des guerres qui excluent tout sens commun. On se dit alors que l’on est en présence d’un film coup de poing puis voilà que le néant idéologique s’installe laissant toute sa place à deux malfrats légaux qui s’épanouissent jusqu’à ce que le destin les rattrapent. C’est là le problème, les événements les poussent à reconsidérer leurs positions mais il ne se remettent, durant le film, jamais en question du point de vue de leur conscience. Cette introduction est un grain de sel dans la narration qui empêche dès lors de pleinement s’identifier aux personnages ou des les apprécier. Scarface de Brian de Palma est cité à plusieurs reprise comme le parangon d’Efraim. La comparaison est fortuitement très intéressante. Dans Scarface, il n’y a aucun jugement moral extérieure à la diégèse du film lui-même et c’est en cela que le personnage de Tony Montana est devenu si culte, chacun peut se l’approprier à sa manière.

Efraim (Jonah Hill) et David (Miles Teller)

War Dogs aurait eu plus de force en suivant le même chemin, nous laissant décider de la moralité des deux compères ou bien en les dénonçant frontalement de bout en bout. L’entre-deux choisis fait penser au Loup de Wall-Street mélangeant de manière mal aisé dénonciation et empathie profonde pour le personnage. Des types comme Efraim et David devraient être de ceux que l’on adule ou que l’on déteste, coolissimes ou dégoûtants, mais certainement pas juste sympathique et sans saveurs. La caméra se pose toujours sur eux avec complaisance, en total désaccord avec les bases posés en introduction du récit. On ne saurait pas dire au final, si War Dogs dénonce le commerce de la guerre ou si le discours est de glorifier deux self-made men. Le traitement des personnages demeurent d’ailleurs très superficiels, surtout celui de David. Alors que celui exprime, en voix off, de nombreuses réserves sur son activité, à l’écran, il franchit aisément toutes les barrières morales qui auraient peu le retenir sans que le déchirement que cela constitue ne soit mis en scène avec suffisamment de profondeur psychologique. On reste dans les antiennes traditionnelles du couple dysfonctionnel et du mensonge. Rien de bien folichon. Reste que l’on rit parfois des aventures rocambolesques des apprentis trafiquants d’armes. Si la critique du gouvernement américain, accusé à demi-mots de fermé les yeux sur la provenance douteuses de ses armes, est bienvenue, elle semble surtout servir à dédouaner les intermédiaires comme David et Efraim. Ce dernier le dit d’ailleurs sérieusement : il ne contribue pas à la guerre, il profite d’une situation déjà existante. L’histoire est bien connu, il y a ceux qui fermaient la porte du train et ceux qui le conduisait. Dans la réalité, relatée telle quelle dans le film, les peines pour trafics d’armes aux États-Unis sont dérisoires. Des hommes semant le meurtre et le chaos sur le globe peuvent s’en sortir avec quatre ans fermes. Et toute l’hypocrisie du système repose non pas sur la moralité du meurtre organisé à grande échelle mais sur la légalité de la provenance des armes. Organiser le massacre de civil, oui, mais dans les règles.

Efraim (Jonah Hill), David (Miles Teller) et Henry Girard (Bradley Cooper que l’on a vu dans American BluffLes gardiens de la galaxieAmerican Sniper et  Joy)

Servant platement un discours convenu sur la différence entre moralité et légalité s’attache trop aux déboires des deux escrocs qu’il suit qu’aux conséquences de leurs actes. Le côté comique, pourtant bienvenue, aurait gagné à être mis en abîme par un traitement plus sombre des enjeux. Mais comme ses personnages, War Dogs semble finalement s’asseoir sur toute prétentions politique.

Boeringer Rémy

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