GRAOOOOAAAR
Ce que cette couverture ne montre pas, c'est la quatrième de couverture!Génial non? Alors de quoi est-il question dans ce terrifiant album? D'une situation que bien des enfants (moi y compris) ont connue et de laquelle ils sont traumatisés à vie: t'es au parc, tranquilou bilou, tu joues toute seule, tu t'amuses, tout va bien, et là y a ta mère/ ton père/ ta tante (dans mon cas) qui te dit:
'Clémentine!!! Regarde là-bas, y a un petit garçon (/une petite fille) qui est tout seul! va lui demander si tu peux jouer avec lui!'
Et toi t'es là 'Non non ça va je préfère jouer toute seule.'
Mais cette réponse ne satisfait pas l'adulte. 'Allez, va lui dire bonjour! Arrête de faire ta timide!'
Et toi tu exploses intérieurement d'exaspération et de désespoir: 'Mais non j'ai pas envie!!!'
'CLEMENTINE CA SUFFIT VAS-Y VA DIRE BONJOUR VA JOUER AVEC LE PETIT GARÇON'
Et là t'es obligée d'aller traîner ta pelle et ton râteau pour aller dire bonjour à un garçon qui était aussi bien content d'être tranquille tout seul et toute l'injustice du monde est sur tes épaules et t'en fais encore des cauchemars vingt ans plus tard.
(Je précise que ça peut aller très loin car dans mon cas l'une de mes tantes m'a dit un jour, alors qu'on était toutes les deux dans un train, et que j'avais seize ans, "Tu veux pas aller dire bonjour au garçon là-bas? Il a l'air de s'ennuyer". C'était un mec de genre vingt-cinq ans qui oscillait au rythme de la musique de ses écouteurs.)
Ce qui est très bizarre c'est que, d'une part, les adultes, eux, ne vont pas 'dire bonjour' aux autres adultes qui sont tous seuls (du moins ceux qui ne font pas du harcèlement de rue un mode de vie) et que d'autre part, les adultes sont totalement terrifiés que leurs enfants aillent voir des inconnus, donc ce truc d'aller jouer avec tel ou tel petit enfant au hasard est absolument incohérent et devrait être puni par l'Union Européenne.
C'est le point de départ de cet album-vérité.
La maman de notre jeune héros à chapeau lui dit d'aller jouer avec le petit garçon là-bas dans le bac à sable. Formidable naïveté que cette sollicitude maternelle! car
A partir de là notre héros se fait enlever dans le bac à sable par le petit garçon qui est donc un monstre déguisé et qui kidnappe souvent des enfants dont les parents leur ont dit 'va jouer avec le petit garçon'.
Et si jamais le petit garçon, c'était pas un petit garçon?
Si jamais c'était un monstre déguisé dans une peau de petit garçon volée?
Va-t-il s'en sortir, lui et les autres pauvres petits prisonniers? Mystère...
_________________________________________________
Cet album a eu une genèse assez particulière donc j'en profite pour parler un peu des différentes manières dont peut naître un album. Questions qu'on nous pose assez souvent: Choisissez-vous l'illustrateur? La seule réponse, c'est que ça dépend, mais la plupart du temps, non - on propose un texte à un éditeur, qui trouve ensuite un illustrateur ou une illustratrice. En général, on ne se rencontre pas, sauf au hasard d'un salon, mais on communique souvent par email.
Là, c'était totalement différent comme mode opératoire: j'ai écrit Va jouer avec le petit garçon! spécialement 'pour' qu'il soit illustré par Maisie.
C'était il y a un an et demi et quelque: Emmanuelle, qui édite les albums chez Sarbacane (et qui co-règne sur l'empire à la girafe) est revenue enthousiaste de la foire de Bologne, où elle avait rencontré Maisie Shearring, toute jeune illustratrice qui venait de gagner un grand prix pour son travail.
un extrait de l'album/ BD de Maisie, Susan's School Days, avec lequel elle a gagné le prix
Maisie venait de terminer un Master en illustration jeunesse (l'un des meilleurs du pays) à l'université d'Anglia Ruskin, qui se trouve être à Cambridge.Donc Emmanuelle m'a demandé si ça m'intéressait de rencontrer Maisie et de voir si on pouvait faire un album ensemble. On s'est rencontrées à Cambridge, dans un café grisailleux, et on s'est très bien entendues. Elle avait apporté son portfolio. Emmanuelle était particulièrement intéressée par les dessins 'petite enfance' de Maisie, surtout une série de petits personnages avec des animaux:
Et moi j'avais été particulièrement frappée par ses dessins de foule, notamment un dessin de parc:
Après notre rencontre, j'ai cogité pour trouver une histoire qui justifie des tas de petits personnages et des foules et qui soit adaptée à des petits enfants et qui de préférence les terrifie, les ravisse et les fasse se rebeller contre leurs parents dès demain matin. Ah oui, et qui soit entièrement écrite au conditionnel.
Ça a donné Va jouer avec le petit garçon, ça a plu à Emmanuelle, et je l'ai entièrement traduit en anglais pour que Maisie puisse le lire! Toute la correspondance a eu lieu en anglais, tout le travail d'édition aussi.
Il s'est passé une drôle de chose en traduction, d'ailleurs. La première ligne de texte en français, c'est:
'Alors que je joue toute seule tranquillementC'était donc une petite fille l'héroïne. Mais dans la traduction anglaise, où les adjectifs ne sont pas genrés, cette voix est devenue neutre. Je n'ai même pas fait attention car il me semblait évident que c'était une petite fille - les neuf dixièmes du temps j'ai des narratrices, donc c'est quelque chose d'entièrement naturel pour moi.
Maman depuis son banc m'appelle.'
Pas pour Maisie! qui, privée de cette indication, nous a fait des dessins... de petit garçon! Après discussion, on a décidé de garder ce petit héros garçon. Ca me change - je crois que c'est mon seul livre avec La pouilleuse à avoir un narrateur.
D'autres trucs rigolos quand on travaille avec une illustratrice anglaise: elle avait naturellement mis des uniformes scolaires aux enfants! il a fallu changer ça. Et la vue de la ville, dans l'une des grandes illustrations de la fin, faisait très british dans le premier essai. Bref, c'était très rigolo comme processus.
Voilà donc notre bébé, qui est trop chouette, in situ à Cambridge le weekend dernier:
y avait du vent #cambridge
Maisie avait assorti sa robe au monstre
Et last but not least, on a fait une petite vidéo pour vous présenter une image de l'album! Vous pouvez la voir ci-dessous. Comme on est toutes les deux très nulles en vidéo et qu'on a absolument pas l'habitude, c'est très artisanal. La preuve, voilà comment on a dû installer notre caméra:Les dessous de la promotion du livre jeunesse... c'est délicat
Voilà donc Maisie et moi, in English, avec sous-titres, parlant de l'une des illustrations du livre. Enjoy!