« Faute d'opposition, ce nouveau capitalisme enclenche ses dynamiques les plus mortifères. Rien ne le protège plus de ses pires emballements. Il n'a plus d'adversaire à sa mesure pour le calmer et en définitive le protéger contre lui-même. La dérégulation la plus dogmatique triomphe. L'idéologie communiste à terre, le terrain est libre pour que la benoîte doctrine libérale se transforme en dogme sectaire. Une version stalinienne du libéralisme s'est emparée des esprits, sous la forme d'une "chienlit laisser-fairiste", pour reprendre l'expression du premier prix Nobel français. »
Dans son précédent essai, Le nouveau capitalisme criminel, Jean-François Gayraud, haut fonctionnaire de la police, analysait des crises économiques et le trading de haute fréquence sous l'angle de l'expert en criminologie.
Dans L'art de la guerre financière, il démontre que ce nouveau capitalisme s'est émancipé des puissances étatiques avec leur complicité, grosso modo depuis la disparition du bloc soviétique, et qu'il est entré en guerre contre les peuples.
« L'exacerbation des inégalités (...) est source de périls majeurs pour l'avenir : malaise éthique (indécence), fragilisation de la cohésion sociale (un contrat social abîmé), grippage de la machine économique (baisse de la consommation), instabilité financière ( bulles hypothécaires et boursières), oligarchisation/ploutocratisation (concentration du pouvoir politique et économique). On ne soulignera jamais assez le lien historique, qui tient plus de la causalité que de la corrélation, entre financiarisation croissante des économies, ascension des inégalités, prédations frauduleuses et crises financières. La hausse des inégalités depuis les années 80 est largement due aux manipulations du système financier; certaines légales par le changement des règles du jeu obtenues par la haute finance (recherche de rentes prédatrices), d'autres franchement illégales mais impunies (fraudes systémiques). »
Cette vision du capitalisme financier contredit l'image d'Epinal, diffusée 24/7 par les "grand" médias, de la mondialisation heureuse qui apporterait paix et prospérité au plus grand nombre malgré quelques ajustements structurels et certains dysfonctionnements.
Cette guerre de la finance est dissimulée sous un déluge d'explications et de justifications spécieuses. L'exemple le plus fragrant est celui de la crise grecque de 2009. En l'espèce, les dettes des banques spéculatives françaises et allemandes se transformèrent en dette publique grecque sous la pression de la troïka (UE-BCE-FMI), avec la complicité des élites politiques, économiques et intellectuelles locales et internationales pour littéralement spolier le peuple grec qui aurait vécu au-dessus de ses moyens et qui serait particulièrement fainéant...
« Le poids des dettes privées est au final supporté par des entités publiques, donc des contribuables/citoyens. Une providentielle alchimie transforme de mauvaises dettes en fardeau public : une version moderne de la transmutation du plomb (les mauvaises dettes) en or (le sauvetage des institutions financières). Le risque de banqueroute change miraculeusement de victime. Ce qui revient à contempler une situation irréelle de banques braquant des peuples et des Etats. Dans le cas grec, les "programmes d'aide" ont beaucoup aidé les institutions financières et bien peu la population (...). »
Cette guerre est d'abord idéologique. Le capitalisme financier dispose de bataillons d'intellectuels organiques au sens gramscien, journalistes, éditocrates et universitaires acquis à sa cause qui assimilent le néolibéralisme à une science avec ses lois naturelles. Et quel que soit le pays, le néolibéralisme impose des réformes qualifiées de nécessaires, indispensables et vitales que l'auteur classe ainsi :
« 1° L'assistanat à géométrie variable : le moins possible pour les classes inférieures (baisse des prestations sociales) et le plus possible pour les banques (les sauver après une crise : to big to fail). 2° La privatisation et la déréglementation comme projet permanent. 3° La limitation des impôts et de leur progressivité. 4° Une politique monétaire se concentrant sur la lutte contre l'inflation et non sur la création d'emplois. 5° Le déficit budgétaire présenté comme le mal absolu. »
Pour mener cette guerre, le capitalisme financier dispose de pouvoirs exorbitants, notamment un quasi monopole de la création monétaire, en particulier au sein de l'UE (l'auteur compare les institutions financières privées à de faux-monnayeurs) et d'une impunité presque totale avec la justice transactionnelle où la responsabilité individuelle des acteurs de la finance a disparu. Le tout grâce à des pouvoirs politiques qui ont renoncé d'eux-mêmes à exercer leurs propres pouvoirs, affaibli le rôle régulateur et protecteur de l'Etat face au capitalisme, et ce faisant interdit toute alternance politique et permis le retour au premier plan de l'extrême droite sur le continent européen.
« La corruption la plus mortifère n'est pas matérielle mais spirituelle : celle qui consiste à épouser les positions et les valeurs de finance. C'est ainsi que la finance prend en otage l'Etat, la capture intellectuelle étant autrement plus corrosive pour l'intérêt général que l'emprise matérielle. »
La finance doit sa puissance à des élites contaminées par l'idéologie néolibérale qui ont déréglementé et donné une part du pouvoir régalien à la finance. En l'occurrence, ces élites, notamment politiques, ont renoncé à défendre l'intérêt commun et à protéger les populations des effets délétères du système actuel.
« La monochromie idéologique rejoint au final la convergence des intérêts, et la chronologie des allégeances ne peut dissimuler un sentiment de malaise éthique devant les migrations aussi lucratives, intégrées tôt aux plans de carrière des heureux élus. Les perspectives de seconde carrière dans les banques achètent par avance des collusions, des complaisances et des connivences qu'aucun pacte scélérat formel n'aurait pu obtenir. L'espoir de lucratifs émoluments assouplit l'éthique et endort la vigilance. (...) La mobilité des carrière institutionnalise la corruption légalisée et par anticipation, forgeant un univers œcuménique et connivent. »
Pour autant, dans ce tableau très sombre, la flamme de l'espoir n'est pas totalement éteinte. L'exemple de l'Islande montre qu'un peuple peut se dégager de l'emprise de la finance, sans pour autant tomber en ruine, succomber au nationalisme, ni être coupé du commerce international. Il démontre aussi que les complicités et l'impunité des responsables économiques et politiques ne résistent pas longtemps à un peuple qui décide de reprendre en mains son destin. Il se pourrait d'ailleurs que l'Islande interdise bientôt aux banques tout pouvoir de création monétaire.
A lire.