RESTER VERTICAL, Alain Guiraudie (2016)
Après m’être arrêtée au bord d’un lac, il y a quelque temps, pour faire connaissance avec un bel et sombre inconnu, j’ai de nouveau emprunté le chemin d’un cinéaste étrange et de son dernier film, Rester vertical. J’ai retenu mon souffle, me suis cramponnée, ai tenté de « rester vertical » justement et de ne pas tanguer, ce qui n’est pas chose aisée avec le cinéma de Guiraudie. Tenir debout, s’accrocher à un scénario dense et surréaliste, ne pas avoir la tête qui tourne et le malaise à portée de sol ne s’apparente pas vraiment à une sinécure, et pourtant ce film protéiforme et vertigineux fait un bien fou, exalte et exhale un grain de folie salvateur, production bancale où le rire se substitue à la gêne, où la mélancolie sordide le dispute à une rhétorique allègre et où la crasse existentielle se pare d’une poésie merveilleusement farouche…
Comment résumer Rester vertical ? Vaste débat… La linéarité n’étant pas de mise chez Guiraudie, je vais me faire aussi foutraque que lui : Rester vertical c’est Léo, la trentaine indécise, qui se perd dans les montagnes et dans les bras d’une bergère aussi blonde que sauvage. C’est un vieil homme esseulé, grognon, vulgaire et fan des Pink Floyd assis sur une chaise au bord de la route et hébergeant un jeune homme énigmatique qu’il traite régulièrement de « connard ». Rester vertical c’est l’archétype du scénariste à court d’inspiration autant que d’argent fuyant la réalité tout en y plongeant tête la première avec la naissance prématurée et irréfléchie d’un enfant qu’il s’évertue à vouloir garder auprès de lui quand tout s’effondre autour et que son existence part à vau-l’eau. Rester vertical c’est encore et toujours la valse d’un Léo errant, perdu dans la vallée de sa sexualité, de ses envies et de ses doutes. Ce sont des hommes qui se cherchent, des hommes qui se jaugent, des hommes qui crient au loup et des loups qui ne hurlent pas mais égorgent des brebis, comme les mauvaises décisions égorgent les destins. Rester vertical c’est une montagne russe émotionnelle, une fable moderne emplie d’une tendresse brutale presque monstrueuse, c’est de la cruauté et de la douceur, des torgnoles et des caresses, bref Rester vertical c’est la vie, tout simplement…
Alain Guiraudie offre un film décalé sur l’abandon, le baby blues, la déchéance, la vieillesse piteuse, la perte de repères, la ruralité, l’homosexualité ; un long-métrage comme une grande machine à laver dans laquelle l’on fourre tout pêle-mêle, le drame, l’humour cinglant et le surréalisme, un tambour qui tourne et tourne encore jusqu’à vous balancer en pleine poire une intrigue mouillée et froissée où les trouvailles scénaristiques déteignent les unes sur les autres, le repassage n’étant bien évidemment pas inclus dans la prestation. Si L’Inconnu du lac se faisait pudique (entendons-nous bien, dans la réalisation épurée), Rester vertical lui est à mille lieues d’une histoire placide cheminant tranquillement dans la vie de ses personnages. Deux œuvres opposées reliées par un unique point commun, cet éloge de la lenteur, ce goût du plan fixe qui s’étire, mis à part qu’ici la lenteur se fait erratique, dépravée et onirique. Chez Guiraudie la narration galope vite tandis que la réalisation elle prend son temps, s’attarde, appuie là où ça dérange et pince le spectateur jusqu’au sang. Rester vertical c’est de la toile émeri sur un canapé de velours, un diamant dans un vieil écrin râpeux et, si tout semble décousu et animal, les acteurs-trices, par leur jeu subtilement intériorisé, trouvent malgré tout facilement leur place au milieu de cette fanfare punk, cirque sauvage où l’essentiel est de rester debout malgré les épreuves, rester debout malgré des scènes « choc », rester debout malgré le tourbillon d’un bordel incroyable où tout vole en éclat.
Guiraudie ressemble à un bonbon acide qui pique la langue et fait pleurer les yeux tout en procurant un plaisir immense. Car Guiraudie c’est un mal pour un bien, un bourre-pif en guise de geste affectueux, du petit rien revêche qui donne beaucoup, de la poésie atrabilaire et sans concession, du laid transformé en beau, du beau métamorphosé en laid, des éclats de rire et du dégoût, un joyeux capharnaüm où l’on empile les désirs, les souffrances et les névroses avec humanité et sans dentelle.
Le prochain qui m’affirme, droit dans ses bottes et le mépris au bout de la langue·: « Le cinéma français c’est de la merde », je lui colle un énorme et non moins bien placé coup de pied dans le service trois-pièces. S’en souviendra longtemps…
À voir aussi:
L’Inconnu du lac (2013)