Le problème quand tu regardes un certain nombre de séries, c'est que parfois tu satures. Tu as de plus en plus de difficultés à en trouver une nouvelle qui te plaise autant que la précédente. Tu te fais plusieurs pilotes en vain ( Master of None, Wet Hot American Summer Camp, Trepalium, Fresh Meat ...), tout te semble considérablement ennuyeux. Puis tu te rends compte que tu as juste envie de réalisme, de vrai. De pans de vie.
C'est comme ça que je suis partie dans la section Documentaires de Netflix. Je l'avoue, je ne savais même pas qu'il y en avait une. Mea culpa. Dedans, on retrouve notamment Making A Murderer, que je ne me suis toujours pas résolue à regarder. Son temps viendra. Mais celle qui a attiré mon œil ne l'était pas pour sa traduction française insipide ( Intrépides), mais pour le sujet abordé : le rodéo. Six épisodes de 40 minutes sur... le rodéo. Une coutume qui m'a toujours captivée et interloquée. J'apprends bien vite que le terme " rodéo " n'est guère apprécié dans le milieu du PBR (Professionel Bull Riding), la ligue professionnelle américaine de rodéo. Ils lui préfèrent les termes de " bull-riding " et " bull-rider ". Ils considèrent également le bull-riding comme un sport, et les bull-riders comme des athlètes. Alright then. Moi qui pensais que j'allais pouvoir me moquer d'images et de discours bourrés de clichés, j'étais loin du compte.
Fearless (son nom officiel) va se concentrer sur les carrières des meilleurs bull-riders brésiliens, pendant la saison 2015. Tu as bien lu. Brésiliens. Si tu étais aussi inculte que moi en bull-riding, sache que les Brésiliens font jeu égal avec les Américains, et domine depuis quelques années le circuit professionnel (à titre d'exemple, dans le top 10 au moment où j'écris ce papier, on trouve 6 Brésiliens pour 4 Américains). Chaque année, comme dans beaucoup de sports, les riders s'affrontent lors de tournois (le premier de la saison se déroule à Chicago) et amassent des points pour espérer se classer parmi les 35 meilleurs riders de l'année et ainsi participer au tournoi final de Las Vegas, où le champion du monde est sacré dans le faste propre à la Sin City. Kaique Pacheco l'imperturbable et stoïque jeune prodige de 21 ans, Robson Palermo le casse-cou sans peur, blessé à de nombreuses reprises qui a du passer par la L2 du bull-riding pour revenir côtoyer les meilleurs, Renato Nunes le fils d'agriculteur, sanguin, qui ne trouve plus de plaisir à faire du rodéo mais doit continuer pour l'argent, Silvano Alves le triple champion du monde au calme légendaire qui peine à retrouver son niveau d'antan après sa toute première blessure... On entre dans la vie personnelle de ces sportifs passionnés, que l'on suit dans leurs familles, du Brésil au sud des États-Unis où tous ont fini par s'installer grâce à leurs gains. Le rêve américain...
Les six épisodes du documentaire sont thématiques : Shining knows no borders (Champions sans frontières), A harvest in August (Une moisson en août), The thrill is gone (Baisse de régime), The outsiders (Les étrangers), Glory and the price paid (Le prix de la gloire), Being mortal (Simple mortel), et les titres sont évocateurs du thème principal abordé. Origines de leur passion, la religion et milieu familial, intégration et racisme ordinaire aux États-Unis, concurrence-succès, amitié, soutien et respect entre riders de tous pays, blessures et mental, l'après-rodéo et la relève... tous ces aspects sont évoqués avec des interviews des riders brésiliens et américains, mais aussi via des commentaires de professionnels de la ligue, organisateurs de tournois et journalistes couvrant les événements. La narration principale est assurée sans langue de bois par Adriano Moraes, premier bull-rider brésilien à remporter le championnat du monde (3 fois !), qui suit désormais ses compatriotes dans les tournois en leur apportant soutien et conseils.
Si dans les premiers épisodes je ne peux m'empêcher de lâcher quelques rires en observant les dégaines de ces cow-boys du dimanche avec leurs sur-pantalons à franges, je me prends petit à petit à stresser sérieusement en suivant leur préparation et leur engagement (pourquoi certains ne mettent qu'un protège-dents et pas de casque ?). Car au delà des paillettes versées sur les pistes, et de cette relative célébrité, le bull-riding est un " métier " à part entière, qui requiert de nombreux sacrifices, notamment l'éloignement avec leur famille (on a encore sur le cœur le témoignage de la femme de Robson Palermo qui a préféré que son mari participe à un tournoi pour assurer un bon classement, plutôt qu'il déclare forfait et assiste à son accouchement). Les plus belles séquences sont sans aucun doute celles filmées dans les arènes : beaucoup de slow-motion, qui permettent non seulement de comprendre bien ce sport intense, mais également de les voir se mouvoir avec une certaine grâce sur ces taureaux athlétiques, des bêtes des plusieurs tonnes. Combien ces 8 secondes (qu'ils doivent tenir pour valider leur passage sur l'animal) paraissent longues !
On en apprend beaucoup, c'est indéniable, surtout quand on n'y connaissait strictement rien (tu le savais toi que les taureaux étaient classés et compte pour 50% de la note, et que le fait d'avoir des cornes est juste une question génétique ?). Fearless tente en 4h d'images de démonter petit à petit tous les clichés que l'on peut avoir sur le rodéo, tout en normalisant cette coutume, qui ne nous est guère familière en Europe. On regrettera juste quelques plans romancés " à l'américaine " non-nécessaires, ainsi qu'un sentiment de coercition de la part du PBR qui a ouvert ses bureaux et toutes les coulisses de ses tournois à l'équipe de production. On pense aussi à tout l'argent en jeu, que le documentaire mentionne brièvement. Un tournoi gagné = 250.000$ de prix. Le champion du monde remporte lui chaque année 1.000.000$. Même si les riders expliquent que leur passion et l'adrénaline procurées par ce sport les a amenés jusque ici, il est clair que l'appât de ces sommes astronomiques les maintient dans le circuit au péril de leur vie. Un sabot de taureau qui piétine une petite vertèbre peut te rendre paraplégique. Pour 8 secondes quelques jours par semaine, ne vaut-il pas mieux risquer sa vie sous les acclamations de milliers de personnes que de trimer dans un champs au Brésil, anonymement et pauvrement, comme ses parents ?
Intrépides (Fearless), disponible sur Netflix.