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Matt damon - portrait

Par Aelezig

Source : Studio Ciné Live - Juillet 2016

Portrait d'un acteur singulier qui retrouve le réalisateur Paul Greengrass pour un nouveau volet des aventures de Jason Bourne.

Heureusement qu'il y a les mauvais films. Sinon, Matt Damon pourrait cocher toutes les cases : gendre idéal, acteur bien payé, jeune homme sympathique, citoyen modèle, soutien démocrate, militant humaniste, scénariste oscarisé, intello mais pas trop, populaire mais intelligent, star de films d'action, acteur de films d'aueur, pote de George Clooney et de Brad Pitt, interviewé modèle, sourire franc, regard dur (et inversement), idéaliste mais jamais dupe. N'en jetez plus. A 45 ans, l'homme semble avoir résisté à tout sans difficulté. Notamment à la machine à broyer hollywoodienne qui fait peu de cas des acteurs passe-partout, déteste les types qui ne disent pas oui à tout, jette comme n'importe quel mouchoir les acteurs qui ne ramènent pas systématiquement du billet vert par kilos.

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Tapis rouge avec sa femme Lucia

Dans l'histoire du cinéma américain, ils ne sont pas nombreux à afficher ce profil-là. Celui dont Matt Damon est le plus proche est sans doute James Stewart, icône de l'American way of life chez Frank Capara (M. Smith au Sénat, Vous ne l'emporerez pas avec vous, La vie est belle), mais qui a su se dégourdir les pattes en des zones plus ombreuses sous la direction d'Alfred Hitchcock (Sueurs froides) ou d'Anthony Mann (L'homme de l'ouest). Il n'est pas loin non plus de Robert Redford, dont il n'a pas forcément la plastique et la mèche blonde - paraît-il, quoique les avis peuvent diverger - mais la discrétion et l'engagement écolo, si. Un trio d'acteurs vedettes en marge. Pas de frasques, pas de coups de gueule, pas d'éclats de sorties en boîte. Matt Damon a même passé un drôle de deal avec les paparazzis : il a juré de ne rien faire de particulier quand il met un pied dehors ; en contrepartie, les photographes l'évitent et chassent d'autres fauves. Le marché tient et le comédien, pourtant l'un des plus célèbres, des plus payés, des plus souriants, se promène quand il veut où il veut sans que personne ne l'embête. Bien joué. Portrait d'un acteur très singulier.

(Presque) le gendre idéal

On ne s'improvise pas singulier, d'ailleurs. Il y a toujours un peu de hasard et pas mal de nécessité. Le hasard, c'est une famille bien née qui lui donne les dents blanches et les cheveux coiffés - une mère prof, un père patron de société, un milieu cadre sup' mais divorcé ; des ascendances diverses qui lui évitent de bouffer trop de pop-corn et de verser dans le nationalisme redneck ; des ancêtres anglais, écossais, suédois et français ; une vie à Boston, loin des capitales en tout genre, New York, Washington, Los Angeles, qui le pousse à aller voir ailleurs ; enfin, la rencontre avec Ben Affleck, gamin à deux pas de chez lui, pote à la vie à la mort, avec lequel, adolescent, il rêve de théâtre, de comédie, d'écriture. Peut-être même d'Oscar. Et tout va se réaliser. Enervant.

La nécessité, il la trouve sur les planches lorsqu'il s'inscrit, à 13 ans, à un cours d'art dramatique. Tu seras acteur, mon fils. Et, puisque tout va bien, il fait ses études à Harvard. Gendre idéal, déjà. Ce qui ne l'empêche pas de courir les castings avec son pote Ben, qui traîne avec lui son frère Casey. Ces trois-là sont nés avec une bonne étoile dans les couches. Il enchaîne les pubs, les castings, les pièces plus ou moins obscures jusqu'à son premier petit rôle : une olive dans Mystic Pizza. Suivnt dix ans de personnages ici ou là, pas forcément très visibles. On a connu ascension plus fulgrurante. Singulier, on vous dit. Il n'y a pas grand-chose qui plaît ni qui dénote, en fait, chez ce comédien lisse ; il fait le boulot, il est là. C'est le gars de la porte d'à côté qui apporte le café à Denzel Washington (A l'épreuve du feu) ou à Tommy Lee Jones (Les derniers pionniers). Ou quasi. Il monte sur l'affiche mais la timbale semble encore loin. Alors il se remet à écrire avec son pote Ben. Le duo pond le scénario de Will Hunting. Gus Van Sant réalise. Surprise, chance, effet de mode, hasard, toujours est-il que les deux gars de Boston, au même stade de leur carrière, empochent l'Oscar du meilleur scénario. Il a 28 ans, Affleck 26. Si Ben continue à ramer - mais il est nettement moins bon comédien que son pote - Matt, lui, tourne dans la foulée avec Coppola (L'idéaliste), Spielberg (Il faut sauver le soldat Ryan) et Minghella (Le talentueux M. Ripley). C'est parti. Hollywood, le voilà. Mais tranquillou. Pépère. A son rythme. Il n'est pas pressé, il creuse. On a vraiment l'impression que ce type ne fait rien comme les autres.

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1998 - Les petits gars de Boston, oscarisés pour le scénario de Will Hunting

Ellipse. Pendant cinq ans, Matt tourne La mort dans la peau, de Doug Liman, premier volet, mais personne ne le sait encore, des aventures de Jason Bourne - il y en aura trois, le quatrième débarque le 10 août et on ne compte pas celui avec Jeremy Renner parce que franchement, il est à la ramasse. Dans la première scène du film, des marins-pêcheurs récupèrent un corps flottant en Méditerranée. Deux balles dans le corps. C'est un homme sans nom, capable, à sa grande surprise de mettre à terre deux flics en trois coups de poings. Il a le visage juvénile, le corps encore peu musculeux. Il n'a aucune idée de ce qu'il fout là. Mais va bientôt l'apprendre alors qu'une foultitude de gens semble vouloir s'occuper de lui, le plus souvent pour lui faire la peau.Franchement cette scène et ce pesonnage ressemble à une métaphore. Mais Hollywood fonctionne toujours ainsi, jeu de miroir permanent entre réalité et fiction.

Du beau boulot

Cet homme qui se noie, n'est-ce pas Matt Damon ? Il avoue lui-même qu'avant la proposition que lui fait Doug Liman, il n'avait reçu aucun scénario depuis un an à cause des échecs successifs de La légende de Bagger Vance, de Robert Redford (tiens donc) et de De si jolis chevaux, de son pote Billy Bob Thornton. Le film est un succès (1,1 million d'entrées en France, 288,5 millions de dollars de recettes dans le monde), le premier carton dans lequel il est seul en vedette. "Bourne est un personnage décisif dans ma vie et ma carrière, dit-il. Il m'a permis de choisir mes rôles en toute insouciance, car j'avais toujours l'assurance de pouvoir le retrouver un jour ou l'autre. Je n'avais pas les préoccupations des autres acteurs, qui se demandent toujours si le film dans lequel ils jouent va marcher au box-office." On sent le vécu chez Damon, dont la carrière, comme pour n'importe quel comédien américain, est liée à la trésorerie. On y sent également un fatalisme bon teint, lui qui croit sans doute en sa bonne étoile et dont l'ambition est de faire le boulot plutôt que de fouler le tapis rouge à paillettes. Cela fait maintenant une douzaine d'années Matt fait le boulot et foule le tapis rouge. Il n'y a pas beaucoup d'acteurs, surtout à Hollywood, qui peuvent, dans la même année, enchaîner La mémoire dans la peau et Gerry. On soupçonne d'ailleurs qu'il a dit oui au premier pour continuer à s'afficher dans le populaire et le grand large et qu'il a écrit et joué dans le second par envie d'indépendance et pour satisfaire un besoin artistique de porter haut le cinéma d'auteur avec son pote Casey Affleck. Les deux lui ont parfaitement réussi. Pas de hasard, là non plus. Le succès sourit aux bosseurs et aux hommes de conviction. Ca rassure, même s'il y a plein de contre-exemples dans le milieu.

Il a ensuite pris du muscle - le Jason Bourne 2 et 3 est passé par les fontes, rien à voir avec le gringalet orignel - et a suivi son chemin. C'est à cette époque qu'il y a (heureusement) eu quelques mauvais films portés en tête d'affiche : Au-delà, Nouveau départ, Zero theroem, Elysium, Monuments men. Excusable. Le gendre idéal a droit à l'erreur. Il en fera sûrement d'autres. Qu'il prendra avec le sourire et philosophie.

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Elysium

Dans le Jason Bourne 2016, il retrouve peu à peu la mémoire mais continue à être traqué par les services secrets ricains plus que jamais décidés à lui faire la peau. Et d'une première scène de combat de boxe à une course-poursuite haletante au coeur de Vegas, ses muscles comme son cerveau répondent toujours aussi présents.

On le verra prochainement dirigé par George Clooney (Suburbicon), Zhang Yimou (The Great Wall) et Alexander Payne (Downsizing). Dans ce film-là, il joue un type qui réalise que sa vie serait meilleure s'il rapetissait. Etrange et amusant tout de même. Jeu de miroir encore. Faut-il donc que Matt Damon soit lassé de jouer les têtes de gondoles pour qu'il ait envie de s'effacer aux yeux du monde ? Ce type est formidable : il est sauvé de la noyade dans La mémoire dans la peau, fait sa traversée du désert dans Gerry, joue les rois du monde seul sur Mars et veut maintenant redevenir petit. C'est peut-être ça la marque des grands.


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