Carnets de voyage de l’AICA n° 7 – suite et fin. Picasso à Paris et au MUCEM & Barceló
J’ai connu le Musée Picasso quatre années après son ouverture en 1985. Mais ce mois de juin le Musée m’a surprise… Le bâtiment du XVII siècle est évidement le même mais les travaux de 2014 ont vraiment modernisé et la disposition et l’esprit du Musée.
Sur les cinq étages, en juin, le sous-sol était encore destiné à l’exposition de Miquel Barceló : Miquel Barceló : sol y sombra, simplement magnifique. J’y reviendrai un peu plus loin.
Les niveaux 0 et 1 restent consacrés jusqu’à fin août aux sculptures de Picasso, avec une exposition produite en partenariat avec le MoMA qui a fourni 70 pièces, sur les 260 présentées. L’angle choisi est celui du multiple, en montrant côte à côte plusieurs versions d’une même sculpture, des plâtres préparatoires. Cette très belle exposition est la première consacrée aux sculptures par le Musée. Le thème du multiple permet de voir l’œuvre dans sa continuité, dans une diversité de versions et de matériaux, comme la série des six Verres d’absinthe (1914) : tirages en bronze à la fois multiples et uniques, Picasso ayant apposé sur la surface des verres de la peinture ou l’a couverte de sable ; les deux versions de la Femme au jardin, réunies pour la première fois depuis 1932 ; ou encore des doubles ou variantes comme Tête de femme (Fernande, 1909 – plâtres de fonderie et fontes en bronze), Crâne de chèvre, bouteille et bougie (deux variations en bronze peint 1951-1953), mais aussi une Tête de Marie-Thérèse en ciment et des maquettes en métal d’une proposition de sculpture monumentale en hommage à Apollinaire(1928) qui finalement ne sera jamais réalisée, le jury ayant refusé la proposition de Picasso (!)… ce refus de cette proposition comme le refus du Maire de Mougins de voir le peintre inhumé dans sa commune -car il s’agissait pour lui d’un « communiste millionnaire »- c’est vraiment ce qu’on appelle manquer d’à propos…
1. Picasso, tête de femme (Marie-Thérèse Walter), bronze, années 30
Pablo Picasso, « Tête de femme », 1931-1932, ciment
Proposition Monument à Apollinaire , 1928
Les Niveaux 2 et 3 continuent l’exposition ¡ Picasso ! mise en place – pour la réouverture anniversaire des 30 ans du Musée en 2015. Au niveau 2, ¡ Picasso ! Picasso 1900-1972 puise de façon très générale dans la collection du Musée. Au niveau 3 ¡ Picasso ! Picasso Intime est une exposition à vocation plus permanente et qui mériterait d’être visitée plus longuement : un peu de l’atelier, un peu des exemples de la collection Picasso (des œuvres que l’artiste avait achetées, reçues ou échangées avec autres artistes) et beaucoup de sa vie privée (des objets qu’il gardait, des portraits de femmes qui ont compté dans sa vie et dans son œuvre).
Picasso – Portrait de Dora Maar, 1937 et la femme qui pleure, 1937
La collection privée de Picasso – vue générale
Un Picasso peut en cacher un autre ? A Marseille j’ai visité l’exposition Picasso au Mucem. Picasso le génie sans piédestal, jolie formule empruntée à Michel Leiris, l’exposition confronte l’œuvre du maître à ses racines populaires. Je suis friande d’art populaire, les traditions populaires ayant bercé mon enfance : contes, dentelles, terres cuites, lithogravures, comptines… Il me semble que l’art populaire atteint souvent une sorte de perfection. Que l’on pense aux contes : les origines sont si anciennes, les mots tellement de fois répétés, caressés par des voix différentes que la forme actuelle a tout du bijou finement ciselé. C’est une perfection atteinte avec le passage des générations, comme les galets patiemment polis par la mer. Les commissaires ont pris le parti de montrer en regard des œuvres de Picasso, des objets de la vie quotidienne liés au background de la culture populaire dans laquelle a grandi le peintre. L’Andalousie de la fin du siècle XIX, si codifiée et traditionnelle, avec ses dentelles, ses peignes, la tauromachie, les colombes du père…. Picasso enfant est souvent allé à la campagne et disait qu’il y avait tout appris. Il a gardé l’habitude toute sa vie, et c’est quelque chose que l’exposition démontre, de se lier avec des artisans ayant un savoir traditionnel ou pointu dans une technique qu’il va s’approprier afin de faire des objets qui auront sa marque, mais qui porteront également ce lien avec la tradition artisanale.
Cette exposition très didactique permet de beaucoup apprendre sur le peintre, mais aussi d’avoir une idée de ce que pourrait être le Mucem. En faisant dialoguer les collections héritées du Musée National des Arts et Traditions populaires, et l’art, au travers des recherches de Picasso dans les différents domaines de l’artisanat, le Musée me semble avoir trouvé une sorte d’identité propre.
L’exposition était partagée en 4 espaces : Picasso et la vie quotidienne (objets quotidiens traditionnels) ; les thèmes fétiches de Picasso (tauromachie, cirque, musique, colombe….) ; les techniques et leurs détournements (céramique, sculpture sur bois, orfèvrerie, linogravure…) ; l’objet matériau (les sculptures d’assemblage).
Le parcours mettait en miroir une œuvre et un objet, en mettant l’accent sur cette part de culture populaire portée par son œuvre de façon consciente ou pas, mais aussi sur le détournement constant par l’artiste des techniques, des matériaux, des usages…. Et faisait la part belle aux céramiques, de loin le plus grand nombre de pièces sur les 270 œuvres au total qui comptait l’exposition.
. Picasso, Portrait de Paule de Lazern en Catalane, 1954
Picasso, Acrobate Bleu, 1929
Picasso, série de céramiques peintes
Picasso, Tête de Taureau, 1952
En plus de toutes les beautés propres à l’art de Picasso, et de l’intérêt de cette confrontation avec l’art populaire, le parcours avait deux très jolies trouvailles : une disposition circulaire, en arène, lorsque l’on rentre dans la partie où est évoquée la tauromachie et la fin de l’exposition par une suite de sculptures d’assemblages dans une salle où l’on reçoit de plein fouet le bleu de la méditerranée au travers des parois vitrés et du voile de résille qui couvre le bâtiment. Confrontation entre tradition et modernité, la boucle était bouclée.
Une belle exposition qui vient tout juste de fermer ses portes, et qui m’a semblé parfaitement cohérente avec le lieu, avec l’architecture si particulière du Mucem, à la fois si contemporaine et si ancrée dans la tradition.
la sale des assemblages avec ouverture sur la méditerranée et sculpture de chèvre
Un petit retour en arrière pour parler rapidement de l’exposition de Barceló. L’exposition Sol y Sombra dans le sous-sol du musée Picasso, était centrée sur trois axes : l’atelier de l’artiste, la tauromachie et les briques.
L’atelier de l’artiste contient des morceaux d’œuvres, comme les fragments de la maquette de la chapelle de la cathédrale Sant Peré de Palma de Majorque, que j’ai beaucoup aimée, des objets divers, une sculpture autoportrait, l’artiste avec des pinceaux plein la tête, des photos de l’atelier de Picasso au mur, car ici tout renvoie au maître des céans. Y compris dès l’entrée la tauromachie avec des tableaux très matiérés, où Barceló évoque autant Picasso que les arènes elles-mêmes. Des plâtres, produits dans son atelier de Paris, et puis, le clou de l’exposition des terres cuites noircies ou pas, étrangement façonnées (j’adore, la Famille, 5 jarres en terre cuites réunies et transpercées par une flèche), et le mur de briques. 250 briques produites dans sa briqueterie de Majorque. Des briques défaites, malmenées, humanisés, déshumanisées aussi, un autoportrait là aussi, un autoportrait d’humanité. C’est une belle pièce, pleine de respiration et la salle qui l’accueille la magnifie. J’en ai fait des centaines de photos. Je l’avais vue avant la visite, sur le catalogue de l’exposition.
Miguel Barcelo, fragment maquette pour la chapelle de la cathédrale de Majorque
Barcelo La suerte de matar, 1990
Miguel Barcelo, La Famille
Miguel Barcelo Grand mur de têtes, briques, Musée Picasso, mars-aout 2016
Habdaphaï avait attiré mon attention sur le mur de briques car il a également travaillé début 2013 des briques dans la briqueterie du Trois Ilets. Des œuvres que l’artiste n’a pas encore exposées. Des pièces vraiment dans la même veine que celles de Barceló. Y compris dans la couleur noire de certaines pièces. En photo, déjà j’avais été étonnée par leur proximité. Et là dans les sous-sol de l’Hôtel Salé , j’ai retrouvé des œuvres qui renvoient à des pièces que je connais bien pour les avoir photographiées aussi pendant leur façonnage et cuisson à la poterie du Trois Ilets. Il m’a semblé que les deux hommes dans deux univers pas si distants (la méditerranée/la Caraïbe) avaient trouvé un langage commun pour parler de leurs terres, avec de la terre, un langage plastique dans la déformation, dans le détournement d’une technique traditionnelle et quotidienne, dans l’ajout des petites bribes d’un environnement Marin qui est le leur, car il y a peut-être là dans cette proximité quelque chose de l’îléen, jusqu’au noir de suie de certaines pièces comme brulées par le soleil.
Habdaphai, sans titre, terre de brique, après cuisson , 2013
Habdaphai, sans titre, , tere de brique, fer et peinture, 2013