Magazine Culture
Ah le jazz à Montreux ! C'est comme on l'aime, tourné vers le futur, assoiffé d'expérimentation, c'est-à-dire avec des grosses guitares et des tatouages ! "jazz is not dead, it's smell funny", disait mon moustachu guitariste préféré... mais alors là, le jazz smells carrément bizarre, avec au programme de ce 6 juillet un battle inespéré : Meshuggah contre Slayer. Quelques mots de présentation, car nous ne sommes pas très coutumiers, à Dodb, des cornes de boucs et autres mosh pits.
Meshuggah c'est plutôt Ornette Coleman, le gars qui déboule en plein académisme hard bop et qui chante dans son alto un truc jamais entendu. Meshuggah est un groupe proprement inouï : quand vous dites que c'est du métal, vous n'avez rien dit, puisque la seule chose qui le rattache au genre c'est la présence de grosses guitares et la double caisse. Pour le reste, on entend quelque chose qui n'existe nulle part : ni riffs, ni soli hard rock ou heavy metal, ou même thrash (le mineur harmonique cher au thrasheux), ni patterns de batterie reconnaissables, ni rien... un magma polyrythmique dans des fréquences très basses (usage de la huit cordes), un bordel hallucinant, un truc aussi beau que les tablas de la musique indienne ou qu'Elvin Jones en action. Là dessus, un vocaliste qui hurle de façon très mâle, plus proche du hardcore que du death. Le rendu global est très organique, comme une grosse bête en mouvement, qui respire et rampe (écoutez "Bleed", et son pattern de double caisse que personne n'arrive à refaire). En comparaison, Slayer c'est le métal à l'ancienne, évidemment, avec les micros sur les amplis Marshall (le son de Meshuggah passe directement de l'instrument à la sono de la salle, ce qui donne un son très "doux" par rapport aux normes du genre), les riffs, les soli hurlants, la batterie omniprésente, et tout et tout. Mais 1) c'est le groupe de métal le plus punk de l'histoire, qui dégage mille fois plus d'énergie que tous les groupes réunis de Doom recyclant Black Sabbath, ou de drone métal à la Earth (Sun o))) etc.), groupes que je trouve mortellement ennuyeux. 2) Au delà de la machine commerciale, ils n'ont jamais dévié d'un pouce leur trajectoire pour capter l'air du temps, et sombrer dans la variétoche (ce qui est le sort de presque tous les groupes thrash nés dans les 80's, du genre "à tout le monde " de Megadeth).
Résultat de la soirée : les papis l'emportent haut la main ! Meshuggah joue son set sans trop mouiller sa chemise, et sa musique semble comme un peu molle face à la tornade Slayer. Tom Araya est rayonnant, sourit à son publique, hurle toujours mieux en vieillissant. Kerry King joue les mêmes soli depuis 30 ans, même avec quelle foi, quelle conviction ! Paul Bostaph qui n'a rien à envier à Lombardo, pour la cogne et les idées rythmiques, joue de manière assez libre dans un genre où la norme est de tout écrire et de jouer au" clic" ( les batteurs de métal enregistrent les disques en jouant avec un casque qui leur permet de se repérer dans le tempo et les structures : on est très loin du jeu libre qui caractérise le jazz!). La preuve en est, l'inévitable "Raining blood" : Bostaph joue l'intro comme il la sent, on s'en rend compte en comparant les concerts. C'est d'ailleurs une expérience à vivre au moins une fois, car ce morceau rend les gens complètement fous, et le pogo est inoubliable.
En bref : vivent les vieux !