Il y avait là des voiliers, de grands voiliers revenant de nulle part.
Il y avait la mer, qui rongeait les pierres grises du port et puis surtout il y avait des dizaines de marins, attablés dans les petits cafés aux toits d’ardoise.
Et ça riait et ça criait fort, bien plus fort que le bruit des vagues qui tout à côté déferlaient sur la plage de galets.
Parfois une bagarre éclatait, pour quelques sous perdus au jeu, pour une femme éperdue, ou même pour rien, si ce n’était le plaisir de se battre.
Dans l’ombre du soir, on voyait briller la lame des couteaux et quand le sang coulait sur les pavés noirs, jamais personne ne serait allé dénoncer le coupable. C’est qu’ils étaient tous frères de la mer et du vent et qu’il y avait plus de vingt ans qu’ils voyageaient ensemble, de Dunkerque à Agadir et de Monrovia à Dar es Salam.
Ils étaient les enfants de la mer et si l’un d’entre eux disparaissait, jamais ils ne versaient une larme. Pourtant, quand un goéland venait se poser au bout du ponton, ils lui souriaient comme à un ami, saluant en lui son désir de voyage et de liberté.
Partir, voilà ce qui comptait, peu importe où et comment, finalement.
Partir, quitter le triste aujourd’hui et découvrir un ailleurs.
Dans le port, les attendaient les voiliers, les grands voiliers en partance pour nulle part.