« (…) je crevais de peur, un sentiment qui depuis ne m’a jamais quitté : il était beaucoup plus vivace et plus irraisonné, en ce temps-là. J’avais fui Paris avec l’idée que cette ville devenait dangereuse pour des gens comme moi. Il y régnait une ambiance policière déplaisante. Beaucoup trop de rafles à mon goût. Des bombes éclataient. Je voudrais donner une précision chronologique, et puisque les meilleurs repères, ce sont les guerres, de quelle guerre, au fait, s’agissait-il ? De celle qui s’appelait d’Algérie, au tout début des années soixante, époque où l’on roulait en Floride décapotable et où les femmes s’habillaient mal. Les hommes aussi. Moi, j’avais peur, encore plus qu’aujourd’hui et j’avais choisi ce lieu de refuge parce qu’il était situé à cinq kilomètres de la Suisse. Il suffisait de traverser le lac, à la moindre alerte. Dans ma naïveté, je croyais que plus on se rapproche de la Suisse, plus on a de chance de s’en sortir. Je ne savais pas encore que la Suisse n’existe pas. »
Patrick Modiano « Villa triste », Gallimard ed, Coll Blanche, 1975, P.14-15