Évasion fiscale
La Commission européenne juge qu'Apple a exploité des avantages fiscaux irlandais auxquelles elle n'avait pas droit.
Décidément, il n'y a pas que Google qui se retrouve en ligne de mire de la commissaire Margrethe Vestager. Sous enquête depuis 2014, Apple se voit aujourd'hui contrainte de rembourser jusqu'à 13 milliards d'euros en arriérés d'impôts (équivalent à 19 milliards de dollars CA) après que la Commission européenne ait jugé illégale l'aide octroyée par le gouvernement irlandais.
Les dispositions fiscales dont Apple a bénéficié de 1991 à 2015 lui ont permis d'attribuer ses ventes à un siège social qui n'existait que sur papier.
Selon les enquêteurs, les dispositions fiscales dont Apple a bénéficié de 1991 à 2015 ont permis à l'entreprise américaine d'attribuer ses ventes européennes à un siège social qui n'existait que sur papier.
Grâce à ce stratagème comptable, Apple est parvenu à éviter les taxes sur la quasi-totalité des profits cumulées des ventes de ses produits sur le territoire de l'Union européenne en alléguant que ces ventes avaient été réalisées en Irlande plutôt que dans les pays où elles ont été concrétisées.
Les bénéfices imposables des activités européennes d'Apple ne correspondaient simplement pas à la réalité économique, aux dires de la Commission.
"Les États membres ne peuvent donner des avantages fiscaux à certaines entreprises - cette pratique est illégale en vertu des règles de l'UE", a déclaré la commissaire européenne de la concurrence, Margrethe Vestager. "L'enquête de la Commission a conclu que l'Irlande a accordé des avantages fiscaux illégaux à Apple, lui permettant ainsi de payer beaucoup moins d'impôt que d'autres entreprises pour de nombreuses années."
Les 13 milliards, somme à laquelle devra s'ajouter des intérêts, couvrent les 10 années précédentes à la première demande d'information déposée par la Commission en 2013.
L'Irlande ne veut pas de cet argent
La Commission exige donc à Apple de rembourser l'Irlande, mais l'Irlande ne veut pas de cet argent, et souhaite en appeler de la décision. Si cette position peut paraître étrange à première vue, il faut comprendre que l'Irlande tient à son image de terre d'accueil des entreprises étrangères issues du secteur technologique, notamment par les divers avantages fiscaux qu'il propose à celles-ci.
"La décision ne me laisse pas d'autre choix que de demander l'approbation du cabinet pour en faire appel", a déclaré le ministre des Finances de l'Irlande, Michæl Noonan.
"Cela est nécessaire pour défendre l'intégrité de notre système fiscal, fournir la certitude fiscale aux entreprises, et contester l'empiétement des règles de l'UE sur le champ de compétence d'un État membre souverain : l'impôt."
Apple nie avoir bénéficié de tout traitement préférentiel
Il y a quelques mois, le PDG d'Apple, Tim Cook, a déclaré que toute allégation voulant que son entreprise soit coupable d'évasion fiscale était "de la totale foutaise politique". Dans le cadre d'une entrevue accordée à l'émission 60 Minutes, il a alors soutenu qu'Apple payait "chaque dollar d'impôt" qu'elle devait, défendant du même souffle la légalité des dispositions fiscales de son entreprise avec l'Irlande.
Il a alors précisé que si ces activités étaient rapatriées aux États-Unis, il en coûterait à Apple 40% de ses bénéfices. "Je ne crois pas que ce serait une chose raisonnable à faire", a-t-il dit.
Aujourd'hui, Cook a publié une lettre ouverte destinée à ses clients européens en réaction à la décision de l'Union européenne. Il y souligne les importantes retombées économiques qu'Apple a apportées à la communauté de Cork, ville d'Irlande qui devait composer avec un taux de chômage élevé en 1980, année où Apple a ouvert une usine, en employant d'abord 60 personnes.
"Depuis, nous sommes restés fidèles à Cork malgré des périodes d'incertitude, et aujourd'hui, nous employons près de 6 000 personnes dans toute l'Irlande", poursuit-il. "D'innombrables entreprises multinationales ont suivi nos traces en investissant dans cette ville. À l'heure actuelle, l'économie locale y est plus prospère que jamais."
"Cette réussite a contribué à la création et au maintien en Europe de plus de 1,5 million d'emplois et ce, tant chez Apple que pour des centaines de milliers de développeurs d'applications très créatifs qui prospèrent sur l'App Store. Sans oublier les fabricants, les fournisseurs et les sous-traitants. Un nombre incalculable de petites et moyennes entreprises dépendent d'Apple, et nous sommes très fiers de contribuer à leur prospérité."
"Au fil des années, l'administration irlandaise nous a indiqué comment nous conformer à la législation fiscale en vigueur, comme elle le fait pour n'importe quelle entreprise établie dans le pays. En Irlande, de même que dans chaque pays où nous exerçons nos activités, nous respectons la législation nationale et payons les impôts dont nous sommes redevables."
Tim Cook passe aux choses sérieuses
"Nous nous trouvons à présent dans la situation inédite de devoir payer rétroactivement des impôts supplémentaires à un gouvernement qui déclare que nous ne lui devons rien de plus que ce que nous avons déjà payé."
"La Commission européenne a entrepris de réécrire l'histoire d'Apple en Europe, ignorant au passage la législation fiscale irlandaise et bouleversant par la même le système fiscal international", déclare Cook.
"L'annonce du 30 août 2016 sous-entend que l'Irlande aurait accordé à Apple un traitement fiscal spécial. Cette affirmation n'a aucun fondement, dans la réalité comme dans le droit. Nous n'avons jamais demandé, ni reçu, de traitement spécial. Nous nous trouvons à présent dans la situation inédite de devoir payer rétroactivement des impôts supplémentaires à un gouvernement qui déclare que nous ne lui devons rien de plus que ce que nous avons déjà payé."
"L'approche de la Commission est sans précédent et a des implications graves dont la portée est étendue. De fait, la Commission propose de modifier la législation fiscale irlandaise en fonction de sa propre conception de la fiscalité. Et de ce que celle-ci aurait dû être, selon elle. Une telle mesure porterait à la fois un coup dévastateur à la souveraineté des États membres de l'UE en matière fiscale et au principe de sécurité juridique en Europe. L'Irlande elle-même a indiqué qu'elle entendait faire appel de la décision de la Commission, et nous ferons de même. Apple est convaincue que cette décision sera annulée."
"Apple soutient depuis longtemps l'idée d'une réforme fiscale internationale dans un objectif de simplification et de clarté. Nous estimons cependant que ces changements doivent se faire dans le respect de la procédure législative, selon laquelle les propositions sont discutées par les dirigeants et les citoyens des pays concernés. Et, comme toute nouvelle législation, celle-ci devrait s'appliquer à compter de son adoption, et non de façon rétroactive."
"Nous sommes engagés vis-à-vis de l'Irlande et nous continuerons d'y investir, de croître et de servir nos clients avec la même passion et la même implication. Nous sommes par ailleurs intimement convaincus que les bases et les principes légaux sur lesquels s'est bâtie l'UE finiront par l'emporter."