Après un article sur la mode des perruques, et un autre sur la mode des mouches, je me penche à présent sur les fraises…
À la Cour de France, la seconde moitié du XVIème siècle consacre un nouveau type de col qui, objet de multiples variations, va faire fureur jusqu’au début du XVIIème siècle : la fraise. Adoptée dans la plupart des pays d’Europe, elle est l’ancêtre de tous les collets, jabots, cravates et cols qui foisonneront au cours des siècles suivants.
1550 : le décolleté est dissimulé
Jusqu’à la fin du règne de François Ier (1515 – 1547) et même au tout début du règne de Henri II (1547 – 1550) la mode est au col carré qui dévoile généreusement la gorge des femmes, rendant impossible la présence d’un col. Au sein de cette Cour galante où les charmes féminins sont tant vantés, il ne viendrait à l’idée de personne de recouvrir les décolletés !
La Reine Claude de France, première épouse de François Ier, par Corneille de Lyon
Variante d’un portrait d’Eléonore de Habsbourg, seconde épouse de François Ier, réalisé par Joos Van Cleve en 1530.
Charlotte de France, fille de François Ier et Claude de France, en 1522 par Jean Clouet
Peu après l’accession au trône de Catherine de Médicis, sous l’influence des modes flamandes et espagnoles (…) les décolletés vont êtres recouverts d’une guimpe.
Très vite, on agrémente cette guimpe (c’est à dire ce corsage qui remonte) d’un volant apparent et très plissé sur le cou : le ruché. Les hommes aussi portent ce ruché, sur l’encolure de la chemise. Cette mode domine durant tout le règne d’Henri II, donc jusqu’en 1559.
Le portrait ci-dessous figure Marguerite de France, fille de François Ier et Claude de France. Réalisé aux alentours de 1555, il illustre à merveille la mode naissante. Quelques plis remontent sur le cou, dépassant de la guimpe qui recouvre les épaules et le décolleté :
Ce portrait de Marguerite de France, fille de François Ier et Claude de France, a été réalisé aux alentours de 1555.
1560-1570 : naissance de la fraise
A partir des années 1560, sous les règnes des deux premiers fils de Catherine, François II et Charles IX, le ruché s’agrandit pour devenir une collerette. Elle est originairement ouverte sur le devant, mais bientôt elle enserre tout à fait le cou, et les plis se font plus nombreux.
C’est cet accessoire qui porte le nom de « fraise » : des plis de tissu (dentelle) toujours blanc, ordonnés autour du cou selon un rythme régulier, qui forment des tuyaux plus ou moins nombreux et plus ou moins longs au fil des modes. Une mode qui s’étend d’ailleurs à toute l’Europe ! Nous nous concentrerons sur son évolution à la Cour de France.
Les extrémités sont composées d’ondulations rigides en forme de 8 appelées godrons (la fraise est aussi nommée collerette godronnée) dont la largeur varie aussi au fil du temps.
Catherine de Médicis en 1560, un an après la mort de Henri II, par François Clouet
La jeune Mary Stuart dessinée par François Clouet
Charles IX en 1561, Kunsthistorisches Museum, Vienne
Charles IX vers 1570 – Chantilly Musée Condé
Portrait d’Elisabeth d’Autriche, épouse de Charles IX, d’après un dessin de François Clouet – Musée du Louvre
Portrait d’après François Clouet de la Reine Margot, épouse d’Henri de Navarre futur Henri IV (conservé à Blois)
La collerette en éventail
Les années 1560 voient aussi apparaître une variation de la fraise purement féminine, que l’on appelle la collerette en éventail : depuis un décolleté carré, la collerette se dresse derrière les épaules et la nuque. Elle est donc haute et ouverte devant.
A la Cour, Marguerite de Valois contribue à en lancer la mode, surtout sous le règne de son frère Charles IX. Elle est suivie par Louise de Lorraine, sous le règne de son époux Henri III.
Les tableaux illustrant les bals à la cour d’Henri III traduisent bien cette mixité entre « fraises » et « collerettes en éventail ». Ils composent de délicieux témoins de la mode du temps !
Louise de Lorraine à son avènement en 1775 – probablement réalisé par Jean Rabel
Louise de Lorraine d’après un dessin réalisé par François Clouet
Portrait de Louise de Lorraine conservé au Château de Versailles
La fraise à plateau des années 1680
Sous Henri III, la fraise devient amovible et atteint des summums d’extravagance. Elle prend de telles dimensions (jusqu’à 40cm !) qu’elle évoque une « roue de charrette », nom que lui donneront certains moqueurs. Le visage semble reposer « sur un épais plateau blanc », d’où son nom de « fraise à plateau ».
À l’époque où se répand le portrait individuel, ce fond blanc immaculé met en évidence le visage et transforme chacun en portrait vivant.
Parfois, l’extrémité des godrons (les fameux tuyaux de tissus), est ornée de perles ou décorée de fine dentelle, à la mode anglaise.
Henri III par François Quesnel
Henri, duc de guise, dit Le Balafré, vers 1580 – Musée Carnavalet
Christine de Lorraine, petite fille de Catherine de Médicis par sa fille Claude, vers 1588 – Galerie des Offices Florence
Manger avec un tel carcan relève de l’acrobatie. Pour ne pas la salir lors des repas, une serviette se noue autour du cou. Souvent il est impossible d’en joindre les deux bouts. Cette expression est passé dans le langage courant mais avec un sens différent.
Fraise ouverte et collet monté
A la fin du règne d’Henri III apparaît la fraise ouverte : ouverte sur le devant à la manière d’un col, « les tuyaux s’épanouissent très largement sur les épaules » Surtout portée par les femmes, elle est encore différente du fameux col en éventail, qui prend de la hauteur, tandis que la fraise ouverte reste relativement à plat !
Bal à la cour des Valois vers 1580, école française – Musée des Beaux-Arts de Rennes. Les femmes portent des fraises ouvertes
À la même époque, le collet monté, ou rotonde, fait son apparition : il n’a plus rien à voir avec la fraise. Le col n’est plus plissé, au contraire : le tissu est tendu sur une armature de laiton, véritable ancêtre des cols de chemises d’aujourd’hui. On peut admirer un collet monté sur ce portrait d’Henri III par Etienne Dumonstier.
L’expression « collet monté », qui qualifie toute personne excessivement guindée ou hautaine vient de cette collerette qui obligeait à garder le menton haut et donnait, de ce fait à ceux qui l’adoptaient un air altier, voire prétentieux.
1600 – 1620 : le col Médicis pour les femmes
Sous Henri IV, s’accordant en cela aux goûts simples du nouveau Roi de France, puis sous la régence de Marie de Médicis, la fraise retrouve des proportions normales, pour les hommes comme pour les femmes. Le souverain et les hommes de la Cour continuent à suivre la mode des fraises, comme en témoigne par exemple le portrait du duc de Sully.
Si les femmes portent souvent la fraise et le collet, parfois les deux, c’est la collerette en éventail qui va connaître son apogée.
Lorsque Marie de Médicis arrive en France, immortalisée par Rubens dans sa toile « L’arrivée à Marseille », la nouvelle Reine porte encore une grande fraise, qui est alors toujours la mode par excellence en Italie : seule une petite parcelle du cou est visible.
Mais la Reine adopte très vite la collerette en éventail non tuyautée, fin et haut écrin de dentelle qui laisse le décolleté largement découvert. Ce col « qui plaçaient tous les charmes comme au fond d’un vaste entonnoir » est alors prisé par les dames françaises.
Marie de Médicis se l’approprie si bien, comme en témoigne ses nombreux portraits d’apparat, que la collerette prend le nom de « col Médicis » : une naturalisation réussie dans le domaine de la mode pour la Florentine !
Henr IV par Pourbus le Jeune – Château de Versailles
Détail d’un portrait de Maris de Médicis avec le Dauphin Louis, par Charles Martin, vers 1603 – Musée des Beaux-Arts, Blois
Marie de Médicis en Régente de France en 1611, par Pourbus – Musée des Offices de Florence
Dans les représentations figurées, le col Médicis devient alors la principale convention vestimentaire par laquelle un peintre ou un graveur signalent la reine de France au regard de l’observateur.
Louis XIII : abandon de la fraise et du col Médicis
Dans sa jeunesse, sous la régence de sa mère, Louis porte encore de petites fraises. Mais sous son règne personnel, l’usage se perd. A partir de 1630, les fraises disparaissent complètement. Les hommes revêtent désormais des collets brodés de dentelle, puis de souples dentelles qui couvrent largement les épaules.
Les femmes continuent à porter le « col Médicis », à l’image de la Reine Anne d’Autriche, puis cette collerette est remplacée par des cols de fine dentelle, plats et couvrant le décolleté (voir ci-dessous). La mode de la fraise est-elle définitivement terminée ?
Henriette de France, soeur cadette de Louis XIII, à la nouvelle mode
Louis XIII par Justus Van Egmont – Château de Versailles
Détail d’un portrait de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, par Anthony van Dyck (1632-1634, Musée Condé, Chantilly)
Fraises et Chérusques sous le Premier Empire
Pas tout a fait. Elle va connaître une longue période d’abandon au cours du XVIIème puis XVIIIème siècle, avant de refaire son apparition sous le Premier Empire. La fraise est en effet utilisée pour le costume de cour des hommes.
On retrouve aussi sa variation « col Médicis », que l’on nomme à présent la Chérusque, disposée autour du décolletée féminin. Cette très fine collerette de dentelle, soutenue en l’air par des laitons, est le « coup de génie » de l’Impératrice Joséphine en matière de mode ! Elle s’associe à merveille à une luxueuse robe-fourreau au décolleté carré.
Détail d’un portrait équestre de Jérôme Bonaparte, peint par Jean Gros vers 1808
Joséphine par Riesener en1806 – Musée du château de Malmaison
Louise de Prusse par Elisabeth Vigée-Le Brun en 1801
Sources
♦ Modes du XVIe siècle sous Catherine de Médicis
♦ Histoire de la coquetterie masculine
♦ Louis XIII
♦ Marie de Médicis, la reine dévoilée
♦ Dictionnaire de la Mode : les Dictionnaires d’Universalis
♦ Histoires de mode : belles damoiselles, gentes dames, beaux messieurs
♦ L’Impératrice Joséphine (1763-1814)