Rédacteurs et stagiaires: cliquez sur cette barre pour vous connecter en back-office de la rédaction!
Recherche par tags (mots-clés)
Recherche d'évènements (agenda)
Un article du New York Times Magazine a fait grand bruit: celui où Arthur Lubrow, le pape culture et lifestyle du célèbre magazine, enterrait officiellement Paris et la gastronomie tricolore. Et les critiques ne s’arrêtent pas là. Nombreux commentateurs (1) pointent du doigt une gastronomie française "molle" et accuse le pays d’être devenu le deuxième marché le plus rentable pour Mac Donald. De plus, l’école hôtelière Vatel est surclassée par des écoles suisses et n’arrive qu’en septième position, alors que Tokyo affiche plus d’étoiles que Paris. D’un point de vue comptable, la France accuse, il est vrai, un certain retard face aux cuisines émergentes. Plus inventive, plus surprenante, la cuisine espagnole menée par le chef Ferran Adria, occupe le devant de la scène, quitte à égratigner au passage les sacro-saints chefs français. Certains chefs beaux joueurs, comme Marc Veyrat ou Joël Robuchon ont même rendu hommage à leur technicité et à leur talent.
Doit-on pour autant rayer la France du menu? Pas si sûr. Plus de trente ans après, Ferran Adria n’a fait ni plus ni moins ce que Paul Bocuse fît à son époque: il a sorti les cuisiniers des cuisines pour les faire entrer sur la scène médiatique et internationale. Et preuve que la France a encore de la ressource, "c'est la France qui a construit la pratique culinaire, qui a codifié le modèle actuel", rappelle Patrick Rambourg, historien des pratiques culinaires et alimentaires. Un avis partagé par le chef du meilleur restaurant 2015, le Celler de Can Roca. "La gastronomie française est une racine fondamentale pour la cuisine actuelle dans tous les restaurants du monde. C'est la première gastronomie qui nous a donné du plaisir" confie ce dernier.
Car si la gastronomie française s’est un peu endormie, elle peut compter sur des bases solides et affiche aujourd’hui une volonté farouche de se défendre dans la compétition internationale. Ces nouveaux concurrents, longtemps encensés, n’ont d’ailleurs pas toujours fait long feu. Déficitaire, le restaurant elBulli a fermé ses portes et la cuisine moléculaire annoncée comme révolutionnaire est passée de mode. Désormais la tendance est au retour vers une cuisine plus lisible, "où l'on voit ce qu'on mange", sans ces écumes qui épatent la galerie. Aujourd’hui, la cuisine se doit d’être proche des produits, et le principe de traçabilité a remplacé l’azote liquide. Et dans ce domaine, les Français n’ont pas à rougir, à l’instar d'Alain Ducasse au Plaza Athénée (Paris VIIIe), qui a introduit le concept de "naturalité", autour de la pêche durable, des légumes bio et des céréales.
Il s’agit également de redécouvrir le goût des bonnes choses et des savoir-faire uniques qui se nourrissent de la diversité du patrimoine culinaire national. Sur ce terrain, le fromage est un parfait exemple avec ces quelques centaines de variétés qui incarnent nos terroirs. Encore faut-il les mettre en valeur, quitte à se réinventer. "Nous avons lancé "Fromages & Chefs" pour ré-enchanter le fromage en proposant de nouveaux usages pour les différents types de restauration", explique Jean-Louis Vidal (2), directeur Marketing Lactalis Consommation Hors Foyer. Le leader mondial des produits laitiers a su s’entourer de chefs étoilés tels que Michel Roth afin de proposer des recettes en phase avec les nouvelles tendances culinaires.
Le goût français a su se doter d’une nouvelle batterie d’ustensiles et d’une brigade solide afin de défendre ses saveurs. En première ligne, les jeunes chefs participent de ce renouveau et ont su casser les codes bien établis. "La cuisine française n’a jamais été aussi forte, avec de jeunes chefs passionnés et courageux. Il faut oser ouvrir son établissement actuellement, au regard de la conjoncture. Et, pourtant, ils sont nombreux à le faire; il y a une envie en France qui est immense", s’enthousiasme le chef Sylvain Sendra (3), une étoile au Michelin.
Preuve en est, le mouvement "bistronomie" s’est largement développé depuis une dizaine d'années à Paris et en province. C'est une évolution importante vers une gastronomie plus conviviale, moins médiatisée mais qui séduit les Français comme les étrangers. Car "la cuisine française n'appartient plus exclusivement aux Français". Entré au patrimoine de l’Unesco en 2010, le repas gastronomique des Français s’agrémente de nouveaux ingrédients, à l'image de l'Américain Daniel Rose (le Spring) ou de l'Australien James Henry (le Bones), qui ont su faire la synthèse entre leurs racines anglo-saxonnes et la tradition française. Les chefs japonais ont aussi joué un rôle prépondérant dans le renouveau de la cuisine française. De plus, elle n’a pas fini d’inspirer aux quatre coins du monde, notamment grâce aux chefs français qui s’exportent ou grâce à des chefs comme Andrew Carmellini, un Américain qui a ouvert un restaurant revendiquant clairement une inspiration française. "J’avais faim de sole Colbert, de pieds de porc panés et de homard Thermidor!" explique quant à lui Amadeus Broger qui a également ouvert un restaurant français à New York.
A Yannick Alléno (4), chef étoilé au Meurice et au 1974 de Courchevel de conclure: "J'en ai ras le bol d'entendre que la gastronomie française est morte!" s’insurge-t-il. "Personne n'est capable d'ouvrir un Cheval-blanc 1961 et de le servir un soir. Ça, c'est la France. Il faut le dire, il faut le revendiquer!" Une manière pour la France d’affirmer que pour elle, c’est encore bien fromage et dessert.
Références citées:
(1) Article dans le New York Times
(2) Article dans L'hôtellerie-restauration
(3) Article dans l'Atabula
(4) Article dans Le Point