Jeunesse, Le grand marin : dès que le vent soufflera..

Par Filou49 @blog_bazart
29 août 2016

Est ce les vacances qui s'achèvent et que l'on aimerait voir perdurer un peu plus longtemps? Ou bien cette surprenante canicule  qui s'est installée depuis une semaine sur toute la France? Quoiqu'il en soit, j'ai eu comme des envies de grands  large et d'intenses et immenses  espaces maritimes pour cette rentrée qui s'annonce avec un film et un livre.

Les deux oeuvres se passent tous deux  à l'intérieur d'un cargo lancé en pleine mer et qui nous montrent la vie pas toujours facile d'un équipage perdu en pleine mer ...

Si le livre fait beaucoup parler de lui depuis plusieurs mois, le film, qui sort le 7 septembre en salles, devrait connaitre une sortie plus confidentielle..et pourtant les deux oeuvres possèdent de belles qualités à ne pas laisser passer...

Jeunesse est le premier film de fiction de Julien Samani adaptation de la nouvelle éponyme de Joseph Conrad, publiée dans le même recueil que le célèbre "Au coeur des ténébres."

 Le réalisateur, très remarqué pour ses courts métrages documentaires (notamment La peau trouée, prix Jean Vigo 2005, suit à trace un jeune plein de fougue et de candeur, Zico qui embarque sur un cargo sur un port français situé on sait trop où ( le pitch nous parle du Havre, alors qu'un des personnages semble parler de Brest) pour assouvir sa soif d'aventures et persuadé qu'on peut se faire beaucoup de fric dans ce genre de missions.

Hélas, Zico va vite déchanter lorsqu'il va s'apercevoir que le cargo en question est une vraie épave  et que l'équipage est presque aussi vétuste et brinquebranlant et pas adapté pour faire face à la mer déchaînées et aux nombreuses avaries..

 Adapté d'une nouvelle de Joseph Conrad,  que Julien Samani modernise tout en restant assez intemporel Jeunesse parvient, malgré un manque de moyens financiers parfois visible, à restituer la densité romanesque chère à l'auteur  

On pense à Moby Dick de Herman Melville, à cette nuance près  que le monstre auquel l'homme est confronté est le bateau en lui même. 

Ce récit d'un combat  contre l’adversité de la nature mais aussi contre le côté obscur de l’être humain est film avec une belle intensité, et malgré le manque évident de moyen parvient à insuffler une densité romanesque très interessante.

On pourra certes reprocher à la narration de manquer de fluidité, au gré d'une volonté de mettre en avant une ambiance particulièrement mystérieuse et onirique, mais les images, particulièrement grandioses et parfaitement accompagnées par la belle bande sonore d’Ulysse Klotz mettent bien en valeur ce récit dapprentissage qui prouve une fois encore que l'homme est un loup pour l'homme.

Dans le rôle de Zico, ce jeune opportuniste pas forcément très attachant, Kevin Azais, revélé par Les combattants insuffle à son personnage l'intensité et la candeur idéale, et une fois encore Samir Guesmi, revenu lui de l'effet aquatique ( une autre histoire d'eau), est aussi à son avantage dans un role de second lucide et désabusé..

Un voyage au long cours apre et mélancolique à voir à sa sortie la semaine prochaine.. 

 

 "Les yeux grands ouverts dans l'ombre.Le moteur en sourdine. Le souffle des hommes. Je tourne la tête vers Jude  endormi. Il a bougé. La lumière pale de la coursive  a glissé sur son visage. Sa main  entre ses lourdes cuisses. Il doit rêver  de femmes et d'héroïne et de Whisky."

Encore une histoire de voyage dans des mers hostiles et grandioses et encore un personnage qui fuit son quotidien pour partir à l'aventure, sauf que là ce personnage est une femme.

Lily, la narratrice du premier roman de Catherine Poulain qui a remporté un bien beau succès critique et public à sa sortie il ya quelques mois aux éditions de l'Olivier quitte la France - et des raisons qui resteront mystérieuses jusqu'au bout du livre pour rejoindre l'Alaska, et plus précisemment la ville de Kodiak et n'a qu'une envie, celui de  faire partie de l’équipage d’un navire et partir pêcher la morue noire ou le flétan.

Dormir à même le sol, supporter la fatigue, le froid, les tâches très physiques, la peau rongée par le sel,  les blessures, les brimades des hommes qui ne lui font aucun cadeau, rien ne semble abattre sa volonté. Repoussant toujours plus loin ses limites, Lili sauve-t-elle sa peau en la risquant autant ? Il n’y a qu’à bord d’un bateau, en plein stress, hurlements, roulis, qu’elle semble revivre.

A base de phrases courtes, acérées, qui épouse le rythme des vagues , des séquences de pêches et des longues soirées de beuverie, Catherine Poulain livre une fiction intensément autobiographique lorsqu'on sait qu' elle est elle aussi partie pêcher durant 10 ans en Alaska. 

Ce très bel  hommage à la pêche en Alaska et aux hommes rudes qui la pratiquent est également burtal et sensuel et .aussi et avant tout le combat d'une femme qui va réussir à faire sa place dans ce monde d'hommes, et réussir, elle qui est nommée le petit moineaux à dépasser ses limites et gagner le respect de ses compagnons de voyage.

 Pour Lily, aller au bout de ses limites, vivre cette expéreince  en s'en écorcher le corps, le coeur, l'âme est la seule façon de se sentir vivante et de tenter de vaincre ses démons intérieurs.

Le livre épate par la description de cet  univers rempli de violence plus ou moins latente, de bières à foison  de types parfois  encore plus perdus qu'elle et ou la nature ne fait aucune concession.

"Manquer de tout, de sommeil, de chaleur, d'amour aussi, il ajoute à mi-voix, jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à haïr le métier, et que malgré tout on en redemande, parce que le reste du monde vous semble fade, vous ennuie à en devenir fou.

Qu'on finit par ne plus pouvoir se passer de ça, de cette ivresse, de ce danger, de cette folie oui !"  . 

On pense un peu au très beau film Fidelio le voyage d'Alice avec Arianne  Labed en marin dans un monde d'hommes, mais ici le ton est plus dur, plus sec, et surtout est très ciblé autour du corps, ce corps dont on essaie de colmater les souffrances à base d'alcool .Les dangers du métier de pêcheur, les ravages de l’alcool et la souffrance des séparations,

Le livre de Catherine Poulain est particulièrement remarquable quant à sa capacité à nous démontrer combien l'exaltation  de la vie en mer  s'oppose à la vacuité du retour sur terre de ce désarroi du marin qui erre sur les docks.

Un peu de tendresse dans les passages où Lily va tenter de trouver du réconfort auprès de ce Grand Marin qui donne le titre à l'ouvrage, mais dans l'ensemble, ce livre coup de poing, visuellement très fort  est brutal et sensoriel. Un grand roman qui mérite la vague (sic) de louanges qu'il a recues .