Le Conseil d'Etat (ça n'est pas rien le Conseil d'Etat) a donc suspendu l'arrêté du maire de Villeneuve-Loubet qui interdisait le port du «burkini» — le mot à lui seul est une bouffonnerie — sur les plages de sa commune, pour risque de trouble à l'ordre public et atteinte à la laïcité.
Si le maire a bien la responsabilité de la paix publique sur son territoire, reconnaît tout de même la haute cour administrative, il n'a le pouvoir de restreindre les libertés individuelles, garanties par les lois, que si les risques de troubles sont avérés, et par des mesures proportionnées à ceux-ci.
Or le Conseil considère que les motivations de la municipalité n'ont pas fourni la preuve de telles menaces.
De surcroît, l'argument de l'atteinte à la laïcité ne serait pas opposable aux libertés personnelles, et ne peut donc être invoqué par le magistrat municipal...
Voilà qui s'appelle se faire renvoyer dans ses buts, et cela s'adresse aussi bien aux édiles concernés, de plus en plus nombreux — la jurisprudence fera sans doute que la trentaine de municipalités ayant déjà pris ce genre d'arrêté se feront immanquablement retoquer —, qu'aux juges administratifs de première instance, à qui on signifie par là le mépris dans lequel on tient leurs propres motivations... ou au chef du gouvernement en personne, excusez du peu, à qui on fait un beau doigt d'honneur.
Réjouissons-nous donc : les libertés personnelles, en France, sont solidement défendues — et que les Anglo-Saxons ricaneurs aillent se faire voir chez Plumeau, notre démocratie ne méritant pas plus de quolibets que ne sont ridicules les coutumes empaillées de Buckingham Palace.
Pourtant il se pourrait bien qu'il faille, malgré tout, continuer d'apporter quelque attention à ces questions d'ordre public, que les magistrats du Conseil d'Etat n'ont pas semblé trouver si sensibles ni «avérées».
Certes ces dispositions municipales, désormais censurées, avaient tout pour tourner en jus de boudin, quelle que soit d'ailleurs la bonne volonté ou la sincérité des maires concernés : le «burkini» n'est après tout qu'un vêtement, à qui on ne peut reprocher à l'évidence d'être indécent, et qui ne contrevient formellement pas à la loi puisque ne masquant pas le visage, à la différence de la pieuse burqa — comment dès lors contrer l'argument irréfutable qu'une interdiction serait une atteinte grave aux libertés individuelles, dont la plus élémentaire, celle de se vêtir comme on l'entend ?... D'autant qu'en dépit du grotesque d'un tel habit, il serait choquant de le réprimer pour inconvenance aux mœurs quand par ailleurs nos ministres de la culture et toutes nos têtes bien-pensantes se pâment d'admiration devant les défilés de la Gay Pride, en dépit de leur obscénité, elle, parfaitement avérée !
Quant à invoquer la sacro-sainte «laïcité», voilà un argument bien spécieux : non, le burkini n'est pas un objet «religieux», quoi qu'en disent les militantes, pas plus que la babouche ou le couscous au poulet, de même que n'ont rien à faire avec le catholicisme la jupe plissée bleue marine, le serre-tête, ou le foulard Hermès. Point, ici, de considérations théologiques, il s'agit d'une conception morale du vêtement — ce qui est presque toujours le cas, un vêtement n'étant très rarement qu'utilitaire —, voire d'une simple mode, que le temps se charge de démoder au gré des goûts changeants.
Mais justement, c'est peut-être là, dans ce genre d'insignifiance et de banalité, de «détails» en somme, que le diable va trouver sa niche. Car s'il n'est en rien le signe d'une religion, ce disgracieux et inconfortable emmitouflement qu'on réserve à la femelle, toujours coupable donc punissable du désir qu'elle inspire à l'homme, est bien ce qu'il veut être : le marqueur d'une appartenance communautaire, revendiquée, exhibée parfois jusqu'à l'arrogance, voire l'agressivité — se rappeler Sisco et ses «désordres» (euphémisme de courtoisie...).
A si peu de distances des horreurs qu'on a vu se perpétrer à Nice (86 innocents massacrés, écrabouillés par un halluciné gavé d'un message qu'on lui a dit d'Allah!) et à Saint-Etienne-du-Rouvray (l'égorgement dans son église d'un vieux curé), ces douceurs venant après celles que d'autres hallucinés, gavés des mêmes messages présumés d'Allah, nous ont administrées pour notre salut au cours de l'année 2015, comment ne pourrait-on pas, nous simples kouffars, trouver un peu... indécent de devoir supporter de telles revendications identitaires venant de la communauté musulmane ? Du temps que je vivais, chrétien, en terre d'islam — au Maghreb en l'occurrence, et pendant quelques années —, il ne me serait pas venu à l'esprit d'exiger bruyamment tel ou tel particularisme pour ma communauté de nazaréens, alors même qu'un de mes coreligionnaires aurait revendiqué, au nom de notre «race» ou de notre «culture» prétendument communes, les pires crimes contre le pays, et une haine particulière pour ses habitants. J'aurais plutôt montré, comme l'a suggéré à si bon escient le vieux Chevènement, un peu de discrétion, et reporté mes revendications, aussi justifiées soient-elles, à des temps plus opportuns. Simple sagesse, me semble-t-il. Et respect élémentaire d'une émotion encore vive, à la suite d'un deuil national. Ou, tout bêtement, prudence...
Alors certes, évitons l'amalgame : l'islam en tant que tel n'a pas cherché à nous blesser, à Paris, à Nice ou ailleurs ; la communauté des musulmans vivant chez nous, qui sont aussi, pour beaucoup, chez eux, n'est pas à accuser collectivement pour les quelques criminels qui ont, chevillée à l'âme, la haine de notre société, de notre pays et de notre «race», comme ils disent.
C'est à ce moment-là qu'on pourrait bien retrouver, involontairement et avec une virulence décuplée par des années de déni — celui-ci illustré entre autres par cette ordonnance n° 402742-402777 du 26 août 2016 du Conseil d'Etat, irréfutable sur le strict plan formel — ces fameuses questions d'ordre public...
Car si l'on est en guerre comme on nous le bassine depuis un an et demi et que l'ennemi est le fondamentalisme islamique, aux exactions insoutenables, comment ne pourrions-nous pas haïr chaque pièce de son uniforme, ou tout ce qui s'assimile à lui ? Et comment ne pourrions-nous pas finir par exploser de colère et de dégoût devant ceux qui prétendraient, crânement ou sottement, en revêtir sous notre nez les pièces les plus ostentatoires ? Imagine-t-on considérer, par exemple, comme «manifestation des libertés personnelles fondamentales», le fait de se présenter publiquement déguisé en officier de la Waffen SS ? A New-York on le pourrait. En France aussi ? Qu'en pense le Conseil d'Etat ?