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Alberto Giacometti sous le soleil du Maroc

Publié le 27 août 2016 par Savatier

Alberto Giacometti sous le soleil du MarocLe Musée d'art moderne et contemporain Mohammed VI de Rabat accueille jusqu'au 4 septembre une rétrospective consacrée à Alberto Giacometti (1901-1966) qui est une première sur le continent africain. Une centaine d'œuvres, réunies grâce à la collaboration de la Fondation Alberto et Annette Giacometti, y est exposée, sur un parcours chronologique qui inclut sculptures, peintures et dessins du maître. Outre la muséographie, tout à fait comparable à celle des grandes expositions européennes qui furent consacrées à l'artiste, la diversité des pièces présentées attirera un public qui, jusqu'à présent, n'en connaissait que des photographies.

On trouve en effet dans cette exposition des travaux de jeunesse (vers 1914), des sculptures cubistes (vers 1927) et surréalistes (comme la Boule suspendue, vers 1930) qui préparent à aborder la mutation opérée au milieu des années 1940. Le choix d'avoir réservé une belle place aux dessins préparatoires et aux plâtres se révèle judicieux car, mieux sans doute que les bronzes qui en furent tirés, ils permettent d'appréhender plus finement la démarche de l'artiste. Les spécialistes qui étudient les manuscrits des écrivains pour évaluer les variantes apportées aux versions successives qualifient leur approche de " critique génétique " ; de même, face aux étapes qui conduisirent Giacometti à une œuvre définitive, le spectateur assiste à une rencontre génétique très fructueuse.

L'exposition met également en lumière l'influence que les arts africains exercèrent sur l'artiste. La confrontation entre une poupée de fertilité fanti (Ghana) et de la Femme plate III (vers 1928), par exemple, en apporte un témoignage saisissant. D'autres sculptures trahissent une inspiration égyptienne qui conduira progressivement le sculpteur à affiner ses silhouettes, comme si la révolution des formes qu'il réalisa en épurant, en étirant des corps débarrassés des artifices de l'idéalisation, était venue puiser dans l'Antiquité la plus ancienne.

Parmi les pièces maîtresses proposées, outre de nombreux portraits, bustes et femmes debout filiformes, on notera la présence du plâtre original de l'Homme qui marche II (1960), sculpture emblématique à la puissance évocatrice toujours aussi troublante.

Les visiteurs qui découvrent pour la première fois ces œuvres, et notamment les peintures des années 1950 et 1960, partageront peut-être l'émotion qu'exprima Jean Genet lorsqu'il visita l'atelier parisien de l'artiste : " Enchevêtrement de lignes courbes, virgules, cercles fermés traversés d'une sécante, plutôt roses, gris ou noirs [...] enchevêtrement très délicat [...]. Mais j'ai l'idée de sortir le tableau dans la cour : le résultat est effrayant. A mesure que je m'éloigne [...] le visage, avec tout son modelé, m'apparaît, s'impose [...] vient à ma rencontre, fond sur moi et se précipite dans la toile d'où il partait, devient d'une présence, d'une réalité et d'un relief terribles. "

Il y a, dans cette initiative, plus qu'une passerelle, importante et culturelle, dressés entre le Maroc et l'Europe. Toute l'œuvre d'Alberto Giacometti est orientée vers le corps humain, son évocation plastique totale ou fragmentaire, sa synthétisation à l'essentiel. Or, qu'une telle exposition se déroule en terre d'Islam fait figure de symbole : nous sommes ici aux antipodes des fanatiques qui, au nom de la religion, détruisent le patrimoine culturel - et en particulier les représentations humaines - des régions qu'ils parasitent.

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À propos de T.Savatier

Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008

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