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Ac Sé, Accueil Sécurisant pour les victimes de la traite des êtres humains : Interview

Publié le 19 juin 2008 par Laurent Ballestra
Ac Sé, Accueil Sécurisant pour les victimes de la traite des êtres humains : Interview
Way To Blue : Au sein de l’ACSE-ALC (Accueil Sécurisant pour les victimes de la traite des êtres humains), association reconnue d’utilité publique, quel genre d’actions faites-vous en faveur de ces victimes ?
L’équipe d’Ac Sé : Le dispositif national Ac.Sé a pour objectif de proposer un accueil et un accompagnement sécurisant aux personnes victimes de traite des êtres humains. Ce dispositif a été créé en 2001 par l’association ALC à Nice. Nice a été en effet, une des premières villes en France à être confrontée de façon aussi importante au phénomène de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle. Le dispositif regroupe aujourd’hui plus de 60 associations réparties sur l’ensemble du territoire national. Il est financé par la direction générale de l’action sociale (le ministère de l’action sociale) et la Ville de Paris.
Ac.Sé a aussi pour vocation d’agir comme centre de ressources auprès de ses partenaires et de l'ensemble des acteurs de terrain qui sont amenés à rencontrer des personnes victimes de traite des êtres humains. Outre la ligne d’accueil téléphonique nationale d'information et d'orientation (0825 009 907), la coordination du dispositif anime des formations et publie régulièrement des outils de formation, d'information et d'interpellation.
Pour plus d'information, vous pouvez consulter le site internet d'Ac.Sé: www.acse-alc.org
Way To Blue : Y a t-il un suivi à long terme des victimes ?
L’équipe d’Ac Sé : Ne sont orientées vers le dispositif Ac.Sé que les personnes qui nécessitent un éloignement géographique en raison d’une situation de danger ou de grande vulnérabilité. L’accueil est réalisé par des centres d’hébergement (essentiellement des centres d’hébergement et de réinsertion sociale – CHRS) qui proposent à ces personne une prise en charge globale. Cela comprend un hébergement ainsi qu’un accompagnement sur le plan social, médical, psychologique, administratif et juridique jusqu’à ce que la personne accède à une vie autonome.
L’accompagnement est personnalisé selon le projet et les difficultés de chacun, la personne étant au centre de la démarche. Il peut s’étaler de quelques semaines, par exemple si la personne souhaite préparer un retour dans son pays d’origine, jusqu’à plusieurs années, notamment pour tous ceux et celles dont la situation administrative demeure précaire. Ce n’est pas rare que ce soit ces difficultés d’accès au séjour qui soient à l’origine de séjour prolongé dans les associations. Et ce, malgré toutes les dispositions législatives qui existent en théorie en faveur de ces personnes.
Way To Blue : Ces personnes ont-elles une histoire commune ?
L’équipe d’Ac Sé : Ce concept recouvre des réalités très variées. Cependant, on peut trouver des éléments communs à ces trajectoires, en particulier dans l’exploitation d’un projet individuel de vie meilleure. Souvent les personnes ont souhaité partir ou trouver une opportunité d’améliorer leurs conditions de vie et faute d’accéder à des moyens légaux, d’emploi ou de migration, elles prennent des risques. Ces risques, comme celui de partir à l’étranger suite à une petite annonce, ou de se livrer à une forme de travail dissimulé ou clandestin, n’aboutiront pas toujours sur une situation d’exploitation. Mais pour certains d’entre eux, le risque peut se transformer en situation d’exploitation avec la contraction de dettes qui s’accumulent sans fin, la confiscation des papiers d’identité et la restriction de la liberté de mouvement qui s’en suis, ou encore la menace ou le recours à des formes de violences ou de pressions, notamment sur la famille restée au pays. Cela est particulièrement vrai dans des domaines d’activité peu régulé, comme le travail domestique, la prostitution, le travail des saisonniers ou journaliers.
La traite des êtres humains n’implique pas en théorie qu’une frontière soit franchie. Cependant, le fait de maintenir les personnes dans un pays ou une région où elles ne connaissent personne, ou elles ne parlent pas la langue et ne savent pas à qui s’adresser contribue à les maintenir dans l’exploitation.
Bien qu’il n’existe pas vraiment d’étude précise sur le profil des victimes de la traite, à partir du public avec qui nous sommes en contact nous pouvons avons pu repérer quelques éléments communs aux personnes.
Globalement les personnes que nous avons accueillies étaient en situation de précarité dans leur pays d’origine (milieu social défavorisé, difficultés sociales, familiales), du fait d’une scolarité inachevée ou limitée, de formation professionnelle inexistante ou réduite, de peu ou pas d’expérience professionnelle, ou encore du fait de leur appartenance à des minorités ethniques marginalisées (turcs, roms de Bulgarie ou Roumanie par exemple).
Toutes les personnes en situation précaire ne sont pas victimes de traite, mais ce sont certainement des éléments qui peuvent faciliter leur vulnérabilité face à l’exploitation.
Way To Blue : Que constatez-vous sur le phénomène en France ?
L’équipe d’Ac Sé : En France on parle essentiellement d’exploitation sexuelle alors que la traite prend de nombreuses autres formes. On peut notamment citer : l’exploitation domestique des employées de maison ou dans des ateliers clandestins, ou encore le recrutement de jeunes sportifs avec des promesses alléchantes qui se retrouvent exploités puis pour certains laissés pour compte, sans papiers et sans recours aux bans du club. Le phénomène de la traite est en constante évolution. Les exploiteurs et trafiquants s’adaptent très rapidement aux nouvelles dispositions prises au niveau légal et/ou administratif, guidés par les sources de gains qu’ils entrevoient.
Dans l’ensemble il est très difficile d’évaluer et de comptabiliser combien de personnes sont victimes particulièrement lorsqu’elles sont exploitées dans l’espace privé. Il n’existe aucune procédure d’identification et, depuis l’introduction de la définition de la traite des êtres humains dans le code pénal français, il n’y a eu, à la connaissance des associations spécialisées, qu’une seule condamnation pour traite des êtres humains en France.
Il faudrait aussi rappeler que les personnes étrangères ne sont pas les seules victimes de traite puisque nous accueillons aussi des personnes françaises qui ont été exploitées dans la prostitution, le travail domestique ou encore des réseaux de trafiquants de drogue.
Way To Blue : Comment comparez-vous le phénomène en France par rapport à l’échelle mondiale ?
L’équipe d’Ac Sé : Il est difficile de comparer des données au niveau mondial lorsque l’on sait à quel point il est difficile d’avoir plus de données au niveau local. Cependant on observe que la traite des êtres humains prend des formes différentes selon les régions du monde. Ainsi en France, on l’aborde plus sous l’angle de l’exploitation sexuelle, alors que l’on parlera plutôt de la traite des enfants en Afrique de l’Ouest, d’exploitation par le travail des personnes en provenance d’Amérique centrale aux Etats-Unis, de l’esclavage domestique dans la péninsule arabique, etc. Cela ne signifie pas que d’autres formes de traite ne cohabitent pas, mais elles ne reçoivent pas la même publicité ou la même attention.
Depuis quelques années il existe une véritable prise de conscience sur cette problématique qui a aboutit à l’adoption de loi au niveau national et international. En témoigne tout récemment l’entrée en vigueur du premier texte « droits humains » sur la traite : la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains*. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour s’assurer que toutes les personnes qui sont victimes aient bien accès au droit.
Way To Blue : Depuis quand ce trafic existe-t-il ? Pour quelle raison est-il né selon vous ?
L’équipe d’Ac Sé : L’exploitation d’autrui par le travail existe dans toutes les sociétés. La traite des êtres humains est un moyen au service de cette fin. La traite des êtres humains est parfois confondue avec l’esclavage, même si historiquement ces deux termes recouvrent des réalités différentes.
L’esclavage était un système reconnu selon lequel certains individus pouvaient appartenir à d’autres et cela sans aucun recours devant la loi. Ils étaient alors soumis à la loi de leur propriétaire.
La traite des êtres humains par contre est une infraction pénale grave qui est sanctionnée au niveau international et national. La traite intervient ainsi plus généralement dans des domaines économiques peu régulés, comme le travail chez les particuliers, l’industrie du sexe…
Les grandes disparités de ressources entre différents groupes de population, entre différents pays voisins ou lointains, contribuent à susciter des désirs d’un autre avenir. Dans certains cas, ces désirs se trouveront exploités par des trafiquants qui en tireront d’importantes sources de profit. Raison de plus pour s’assurer que tous ceux qui désirent améliorer leur quotidien puissent avoir accès à des moyens légaux et soient surs de le faire. La prévention de la traite des êtres humains commence là.
Way To Blue : Comment pensez-vous qu’un film sur ce sujet agit sur ses spectateurs ?
L’équipe d’Ac Sé : C’est l’occasion d’ouvrir le débat au sein de l’espace public sur ce sujet dont on parle encore finalement très peu. La preuve en est avec cette interview ! En effet, ces personnes sont encore souvent vues comme des délinquantes, en tant que migrantes en situation irrégulière ou en tant que prostituée. Il y a encore beaucoup à faire pour développer des outils de prévention et de protection des personnes qui sont victimes et ce film peut être l’occasion d’en parler et de faire bouger les choses.
*Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, mai 2005 (rentrée en vigueur en février 2008)
Plus d’infos : www.acse-alc.org

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