D’emblée le titre retient mon attention parmi les quelques milliers de livres présents au catalogue des éditions L’âge d’homme. Représentations figuratives, personnalités célèbres, artistes peintres, acteurs ou autres ? Roman, essai, album ? La quatrième de couverture des Icônes du néant ne dévoile que trop peu le contenu du petit ouvrage et le mystère aiguise ma curiosité. Je tente la chance et découvre, incrédule, un étrange recueil de poèmes dans ma boîte aux lettres.
Point d’images derrière ces icônes, encore moins de star de la pop ou autre vedette issue des âges anciens. Les icônes de Vladimir André Cejovic se déclinent en vers pour se faire hommes errants. Le poète n’hésite pas à invoquer les abysses les plus profondes, les entrailles de la terre et des corps, pour faire écho à l’immensité de la nature, de l’univers. Entre les deux extrêmes, l’homme maintient son précaire équilibre et gagne sa liberté face au néant et grâce à lui.
Que faut-il pour s’arracher, le front clair, aux ténèbres vides de l’univers ? Remonter les fleuves à la source, la bouche asséchée de solitude, serrer contre sa poitrine le feu qui brûle les entrailles de la terre ou, enchaîné sur un rocher, écouter la vie se perdre en échos que le cœur recueille ?
L’enfance perdue, que reste-t-il à l’homme si ce n’est la femme et le néant ?
Que restera-t-il de moi, esclave et libre,
m’évadant dans le soleil, la femme et le néant,
alors que des peuples naissent et disparaissent
sauvages et ineffables sous d’infinies providences ?–
N’étions nous pas enfants, bondissant sur les montagnes, agrippés
à la crinière des chevaux qui couraient sur des prairies d’étoiles et,
fatigués, s’abreuvaient de nuages ?
Entre mythologie et grandiose cri d’humanité, les poèmes de Vladimir André Cejovic oscillent du désespoir à l’étincelle lumineuse, de l’intime nausée du mortel au déferlement quasi théâtral des forces cosmiques.
Est-ce la vie, le souffle qui tremble
sous l’inconnu qui assaille nos entrailles,
nous soulève en des tempêtes de lumière et de ténèbres,
nous emporte, naufragés de l’univers,
dans l’ivre apesanteur de l’arche terrestre
où un phare hors du monde éclaire nos stupeurs ?
Est-ce l’ivresse pour nous,
sur terre aiguiser la faux de nos âmes,
boire l’écume du chaos et le lointain des étoiles ?
Suivre le guerrier qui avance voûté,
étanche sa soif sur les plaines fratricides et matinales,
contemple sur le cadavre de la nuit sa pâle vengeance ?
Est-ce l’ivresse le corps d’une femme,
ses sens éternellement vierges sculptant la vie
après la trahison de l’homme épris de fureur et d’oubli ?
Dans la soif terrible et résignée de soi,
sobres et vengeurs, nous brisons
l’ange des crépuscules où s’abreuvent les dieux.
Nous nous éveillons, meurtris,
sous l’épiphanie des temps vagabonds,
conquérant notre ivresse à la sueur de notre néant.
Par notre naissance offerts en sacrifice,
que nous importe la mort et la vie,
notre souffle, un jour, fera éclater la pierre et l’univers.
Nous marcherons dans la dernière ivresse,
le silence neuf qui, depuis la nuit des temps,
chemine d’arbre en arbre et de vie en vie.
Les icônes du néant – Vladimir André Cejovic
L’âge d’homme, 2014, 83 p.
Quatrième de couv’ :
« À l’origine du monde se trouve une liberté irrationnelle enracinée dans la profondeur du néant, un gouffre d’où jaillissent les sombres torrents de la vie… La lumière du Logos triomphe des ténèbres, l’harmonie cosmique triomphe du chaos, mais sans l’abîme des ténèbres et du chaos, il n’y aurait, dans l’évolution qui s’accomplit, ni vie, ni liberté. La liberté gît dans le sombre abîme, dans le néant, mais sans elle tout est dénué de sens… La liberté est incréée, parce qu’elle n’est pas la nature, elle est antérieure au monde, elle est enracinée dans le néant initial. » (Nicolas Berdiaev)
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