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La SAPE, un marqueur congolais

Publié le 25 août 2016 par Joss Doszen

"Dieu merci il y a des exceptions.
Dieu merci, tous ne sont pas débiles.
Certains ont compris que le look, la mode, le vêtement, n’est pas seulement un art de vivre (sic !) mais c’est surtout un business, et qu’il faut arrêter de n’être que des dindons consommateurs."

Je déteste la SAPE.
Le phénomène, pas le verbe.

J’ai eu un voisin, chauffeur de taxi ans les années 90, à Mfoa. Il vivait dans une maison en tôle, avec femme et 3 enfants qui crevait la dalle. La femme vendait des trucs (je ne sais plus quoi) au marché de L’ombre. C’était une de ces nombreuses familles de miséreux qui survivent dans ce pays bourré d’or noir. Mais l’homme n’était pas un mort de faim. Le taximan était sapeur. Il avait 7 paires de Weston de couleurs différentes et une malle pleine de costumes de grandes marques occidentales. Sa famille crevait de faim et lui, tous les dimanches, allait se dandiner tel un pingouin dans les rue de Makélékélé ; l’antre quasi mystique des sapeurs congolais. Et ce n’est là qu’un exemple soft. Je ne vais pas parler des ministres, fonctionnaires, et autres hommes d’état aux cerveaux malades qui s’affublent en costume 10 mille euros dans des rues boueuses de microbes.

La SAPE, un marqueur congolais [1]

Vous comprenez que quand j’ai vu, surtout depuis les années 2000, que l’on faisait de cette SAPE un des marqueurs culturels congolais, j’ai commencé à douter de la santé mentale de mon peuple. Le pire, ce sont ces "intellos" qui revendiquent ce machin qui ne nous a jamais rien apporté concrètement. Rien !

Les cas des deux pays, de chaque côté du fleuve Congo, est différent.
La SAPE, au Congo Mfoa, est un art de vivre très marginal mis en avant par des artiste-musiciens, et quelques "personnalités". C’est presque un phénomène de foire qui serait à relier, sociologiquement, avec le fait que le maitre-colon, l’administrateur européen, était caractérisé par sa mise, son élégance presque immaculée qui écrasait l’autochtone. Le vêtement est donc, au sortir des périodes coloniales, un marqueurs, non seulement de richesse, mais surtout du pouvoir, de la supériorité de l’homme sur d’autre hommes. C’est donc, en premier, la frange la plus marginale du peuple (les artistes) qui adopte ce marqueur comme revendication de leur existence, de leur droit à la visibilité.

La SAPE, un marqueur congolais
Du côté de Congo-Kinshasa la donne est différente. Pendant des années la dictature de Mobutu a imposée son marqueur idéologique ; l’authenticité. Avec la Zaïrianisation, les gens se trouve privé d’une des libertés les plus fondamentale qui soit ; le droit à s’attifer comme bon nous semble. Clin d’œil à la vague anti-burka française du moment. Pendant plus de 20 ans, j’ai vu mes oncles, mes tontons engoncés dans des abacost très maoïsants, avec, même pas, le choix de couleurs vives. J’ai vu des tantes, des tantines du quartier 20 Mai à qui ont arrachait les mèches, jugées trop occidentales, ou qu’on embarquait manu militari car coupable d’avoir porté une mini-jupe. La chape de plomb vestimentaire. Donc, quand à la fin des années 80, les vagues de démocratisation (vaste blague, mais là n’est pas le propos), ont balayé le vieux Seskool (Mobutu Seseseko Kukumwendo Wazabanga), la jeunesse a comme laissé explosé son imaginaire. La lumière, la couleur, sont revenus dans les vies, avec fracas, de façon explosive. Et ça a donné un renouveau dans la SAPE qui n’était plus cantonné aux stars de la musique comme le Kuru Wemba ou le défunt Niarcos ; une certaine jeunesse s’est emparée du phénomène. La SAPE, mais aussi la peinture, la photo, était un symbole de cette nouvelle liberté des gens de peu qui, enfin, avaient le droit à la différenciation, au choix de sortir du lot.

La SAPE, un marqueur congolais

En ce 21ème siècle commençant, cependant, cette SAPE s’est affirmée comme étant un boulet culturel. Avec les années, le mot SAPE est devenu quasiment un mot congolais. Même en France, son utilisation, chez les jeunes des grandes villes, est devenues celle des congolais. Mais qu’en ont fait les congolais ? Qu’avons nous fait de ce qui, au fil des ans, est devenu un phénomène ?
Les Congo (Kin et Mfoa), n’ont aucune industrie du textile, aucune industrie de la mode. Les couturiers congolais (les "tailleurs") ont la réputation d’être nuls et malhonnêtes (réécoutez "Affaire kitikwala" de Simaro). Pas un seul créateurs, un seul styliste véritable et original. Non. Les "Sapeurs" ne sont que des mannequins en plastique qui mettent des milliers d’euros et de l’énergie à s’attifer des plus grandes marques occidentales. Et à s’en glorifier.
Des atalakus qui bossent gratis !
Ils ont fait un marqueur culturel d’un truc qui n’est qu’une aliénation de consommateur débile. Financièrement, aucun d’entre eux n’a jamais rien gagné, c’est un truc à perte.
Enfin.
Pas tout à fait.

La SAPE, un marqueur congolais
A l’origine, sachez-le, le père de la SAPE, côté Mfoa, appelé Djo Balard, c’était un styliste, un vrai. Je me rappelle encore, vers 84 ou 85, le voir à la télé avec une de ses créations, un truc bizarre, une espèce de pantalon avec plein de zip partout et qu’il transformait en bermuda. Je ne sais pas si j’aurai osé porter ça, mais on ne peut pas nier que c’était créatif. Oui, Djo Balard était, à l’origine, un créatif. Puis, il n’est devenu que consommateur. Il a raté le coche que les Alphadi ont réussi à franchir et n’a jamais imposé une marque Djo Balard.

Djo Balard s’est foiré, et nous sommes devenus stupides. Les deux Congo. Toutes les grandes stars internationales font du business avec leurs noms, nous vendent des parfums, des slips, des jeans, des rouges à lèvres, grâce à leurs noms ; pendant que nos Koffi, nos JB Mpiana, nos Papa Wemba (ndrl : pardon grand prêtre de la musique), etc... se font les atalakus, gratuits, de stylistes asiatiques, américains ou européens. Pathétiques.
Enfin.
Pas tout à fait.

Dieu merci il y a des exceptions.
Dieu merci, tous ne sont pas débiles.
Certains ont compris que le look, la mode, le vêtement, n’est pas seulement un art de vivre (sic !) mais c’est surtout un business, et qu’il faut arrêter de n’être que des dindons consommateurs.
Certains congolais l’ont compris et il faut leur faire un Big up.

La SAPE, un marqueur congolais

Je ne connais pasJocelyn Le Bachelor. Je n’ai jamais mis les pieds dans sa boutique. J’ai entendu un tas de choses sur lui, dans les milieux congolais. Ce type est - presque - devenu comme un mythe pour moi. J’ai lu un paquet de choses sur lui, vu des reportages, etc. Au début je me suis dis "Ho non... encore cette connerie de SAPE !", et j’ai fait un blocage.
Mais j’ai continué à le voir partout. A cause de Alain Mabanckou d’ailleurs. Moi je m’intéresse à ses livres et lui me balance du Bachelor à toutes les sauces. J’ai commencé à m’intéresser au type. Et là je me suis dit "putain... un styliste business man sapeur, chapeau !".

Oui, il semble que ce type, Jocelyn Le bachelor, fasse du pognon avec cette SAPE que l’on accole aux congolais. Ce gars transforme un phénomène en opportunité, il ne se contente pas de surfer, de balancer son pognon à acheter des chaussures à 10 mille euros, il fait payer les gens pour son expertise en matière de mise vestimentaire. Jocelyn Le Bachelor n’est pas un consommateur béni-oui-oui, c’est un créateur de look, d’opportunité et de pèz. Et cela grâce à la SAPE.

"Imaginait-il alors qu’il serait un jour distingué dans le dernier City Guide de Louis Vuitton comme l’une des 100 personnalités de Paris, photographié par le célèbre Martin Parr, invité par le couturier britannique Paul Smith à la Fondation Prince Claus (Pays-Bas) ou qu’il tournerait des publicités et des clips pour Radio Nova, Canal+ Afrique et pour le groupe Black Bazar, inspiré par le livre éponyme de Mabanckou ? Il a également prêté son image à Nike en 2010, aux 80 ans de Lacoste en 2013, et à la dernière campagne de la compagnie aérienne congolaise ECair. Et, à présent, c’est la prestigieuse marque de chaussures pour femmes Louboutin qui s’attache ses services." - Jeune Afrique

. La SAPE, un marqueur congolais

Pour l’instant, ce type vend des costard à 300 euros. Moi, je lui souhaite, un jour, de vendre son savoir-faire au décuple de ce prix. De continuer à montrer aux congolais qu’on ne peut pas revendiquer un truc aussi débilos que le fait d’engloutir son argent (surtout quand on en a pas) dans du vêtement, et ne jamais le transformer en opportunité.
A cause de Jocelyn Le Bachelor je me suis mis à penser qu’il faudrait que les Congo fassent du sigle "SAPE" une appellation protégée. Un peu comme le Haka néo-zélandais ou le fromage Livarot. Investir dans une AOC du vêtement devient une pensé crédible, grâce à ce monsieur.

Les non-congolais trouveront mes propos excessifs, après tout, il ne s’agit que de vêtement, on ne parle pas de bombe atomique ni de burqa. Vous vous tromperiez en prenant ma diatribe à la légère. Il ne s’agit pas seulement d’apparence, la SAPE dit aussi qui nous sommes : au talon de la culture occidentale, ou à la manœuvre de notre renouveau culturel via la prise en main de nos héritages historiques. La SAPE des JB Mpiana et autre prisonniers du complexe de "c’est mieux ailleurs" est celle que j’abhorre. La SAPE, loin de la bête revendication d’une africanité vestimentaire fallacieuse du type wax, de ceux qui revendiquent leur mondialisation, s’accaparent des codes et en font quelques choses de positif, de générateur de succès, cette SAPE là me séduit. Et, croyez-moi, me faire - un peu - changer d’avis sur la SAPE, c’est une révolution mentale.
Alors merci monsieur Jocelyn.
J’ai un mariage bientôt.
Je porterai votre marque pour cette occasion.
Quitte à devoir faire ami-ami avec FINAREF ou COFINOGA.
Je me ferai SAPEUR.

Joss Doszen


[1Toutes les potos de cet articles ne sont pas la propriétés de l’auteur.


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