J’avais 12 ou 13 ans. C’était l’époque des « blousons noirs » . Il n’était évidemment pas question que j’en devienne un, mais ma maman avait néanmoins accepté d’acheter un « ciré noir » dont j’étais très fier. Jusqu’au jour où le préfet de discipline de mon collège me fit comprendre qu’il n’était plus question que je vienne avec ce vêtement dans le vénérable établissement où je suivais mes études. J’ai obtempéré bien sûr, qu’aurais-je pu faire d’autre ? Mais ce moment fut certainement pour moi une des premières rencontres avec l’imbécillité inutile et aveugle des préjugés sociaux. Quel était donc le mal que je commettais en portant ce ciré noir qui m’allait plutôt bien et qui était bien efficace contre la pluie ?
Nous sommes aujourd’hui dans un autre contexte, une autre culture. Comme tout le monde, je me pose des questions face à cette violence gratuite et aveugle qui se revendique trop souvent d’un Islam qui pourtant n’a rien à voir avec lui au fond du fond. Mais il faut bien reconnaître que ces tueurs ont prêté la plupart du temps allégeance à cet « État islamique » qui n’est ni un État ni islamique. Juste des gens assoiffés de violence, en manque de reconnaissance et qui – sans craindre de distordre la vérité – pensent trouver dans la religion musulmane un cadre propice à leur dégoût de l’humanité. Il faut se protéger de ces fous, les empêcher d’agir, les débusquer avant même qu’ils ne sombrent dans l’illusion dévastatrice.
Absurde. Ce besoin de sécurité justifie-t-il de sombrer dans l’absurdité ? En quoi une femme habillée sur une plage autrement qu’avec un petit itsi bitsi tini ouini, tout petit, petit bikini menace-t-elle notre société au point de la considérer comme pestiférée ? N’est-on donc une personne civilisée que si on laisse apparaître un maximum de chair fraîche ?
Inutile. L’argument est notamment que si on porte un burkini, c’est qu’on manifeste son appartenance à une religion par un « signe ostentatoire ». On ne peut pas le nier. Mais en quoi et depuis quand montrer son appartenance à une religion signifie une atteinte à l’ordre public ? Ce qui constitue une véritable provocation n’est-il pas le fait d’interdire à qui que ce soit de vivre en fonction de ses convictions ? Si les convictions sont de tuer, bien sûr, il faut à tout prix interdire. Mais se vêtir comme on le sent est-il vraiment une atteinte à l’intégrité des autres ? Peut-être, dans certains cas. La réalité actuelle est tellement complexe que je n’oserais pas dire qu’il n’y a pas de défi, parfois scabreux, dans le choix – malheureusement parfois aussi le non-choix – de certaines femmes de s’habiller de telle ou telle manière. Je n’oserais d’ailleurs pas non plus affirmer que ce type de défi n’est que le fait des femmes musulmanes. Simplement, cela ne débouche pas sur le même vêtement. Mais enfin, ces femmes – très minoritaires et la plupart du temps mères de famille – qui vont sur nos plages pour goûter des joies du soleil, du sable et de la mer en faisant le choix (qui de mon point de vue est absurde, mais c’est leur choix) de s’habiller d’un burkini, ne sont-ce pas des femmes qui d’une manière ou d’une autre sont intégrées dans nos sociétés ? Nous sommes à l’ère des tatoués. J’en ai souvent croisé qui portent fièrement une croix chrétienne sur leur peau. Doivent-ils aller se rhabiller ?
Inquiétant. Au bout du compte, il faut bien comprendre que ces (envies d’) interdictions traduisent une volonté affirmée de normaliser la société, de ne tolérer aucun écart par rapport à une norme imposée au nom de dangers potentiels dont la probabilité est réelle, mais en aucun cas liée à celles qu’on soumet au diktat sécuritaire. En avançant dans cette voie, on ferme encore un peu plus les portes de la liberté d’être tel qu’on est, avec ses propres convictions et choix de vie. Est-ce d’une telle société dont nous avons besoin ? Ce n’est en tout cas pas de celle-là dont j’ai envie.