Le sanglier est très dialogué mais le ton est si juste qu'il nous fait entrer dans la vie de Christian et de Carole presque par effraction sans trop chercher à comprendre où l'on est, qui ils sont et ce qu'ils font.
On les suit de l'aube à la tombée de la nuit d'un samedi ordinaire comme s'ils étaient des membres de notre famille ou des amis proches. Myriam Chirousse a l'art de condenser l'essentiel de ce qui peut relier un couple en risquant au détour de chaque mot de le faire basculer.
J'aurais juré en découvrant les premières lignes qu'il s'agissait de deux petits vieux en fin de vie dans une ferme abandonnée quelque part en pleine cambrousse.
Au fur et à mesure que tournent les heures, la focale se resserre, l'image devient nette. Et nous voilà pris dans leur histoire avec le sentiment que l'un et l'autre c'est aussi un peu de nous : qui ne revient jamais sur ses pas pour s'assurer que les portières de sa voiture sont bien verrouillées ? qui ne s'est jamais interrogé sur la manière de vivre autrement que comme des moutons (p. 129) ? sur la pertinence d'un test sur ses aptitudes amoureuses dans un magazine féminin reliant le Dalaï-Lama et le café (Myriam Chirousse a du avoir une prémonition parce que j'ai lu cela dans le dernier ELLE 24 heures avant de lire les mêmes mots dans son livre) et voilà que moi aussi je dois comme Carole inscrire "acheter une ampoule" sur ma liste ... c'en devient troublant.
On se surprend à jouer le médiateur, estimant que Christian a raison, quoique parano sur les bords, et puis l'instant d'après prenant le parti de Carole qui rationalise pour se rassurer. On se dit que ça va péter. Qu'il suffira d'une petite phrase de rien du tout.
Je les ai lâchés à regret au bout d'une douzaine d'heures. Le livre était fini, mais leurs dialogues semblent se prolonger encore. Et je retiens la leçon de vie qui en découle : répandre sa colère autour de soi ne sert à rien, c'est mauvais pour le karma. (p. 73)
Myriam Chirousse a l'art de restituer une atmosphère en peu de mots, toujours choisis. Qu'elle débarque ses personnages dans un complexe de la vie domestique et familiale (p. 75) et on voit très bien de quel univers il s'agit. Comme il est juste de déplorer qu'il n'existe pas d'orthodontie sociale pour redresser les choses qui partent de travers dans notre monde aberrant. (p. 130)
A mesure que progressait ma lecture et que la journée s'avançait pour le couple j'attendais le surgissement du sanglier, parfaite métaphore selon moi de la poisse (ou du destin) qui à coup sûr devrait rattraper tout un chacun.
Un nouveau terme se glisse depuis quelques semaines dans les chroniques littéraires. On désigne les feel-good, ces romans autrefois à l'eau de rose qui sont censés mettre du baume sur les angoisses du lectorat. Celui-ci ne sera pas rangé dans cette catégorie parce qu'il est publié par un éditeur qui n'est pas spécialiste du genre mais je peux certifier qu'il fait (beaucoup) de bien.
Et je vais rouvrir la Paupière du jour, son précédent roman, avec un intérêt très vif.
Née à Cagnes-sur-mer en 1973, Myriam Chirousse suit des études de lettres et de philosophie à Nice, puis à Paris. Elle écrit, en parallèle, ses premiers contes pour enfants et des nouvelles. En 2000, elle quitte la France pour l'Espagne où elle exerce comme professeur de français et traductrice. Son premier roman, Miel et vin, paraît en 2009. De retour en France, elle se consacre à l'écriture et à la traduction, notamment des livres de Rosa Montero.
Le Sanglier de Myriam Chirousse, chez Buchet-Chastel, en librairie le 25 août 2016