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Le Grain de sable du « burkini »

Publié le 24 août 2016 par Savatier

Le Grain de sable du « burkini »Le mois d'août offre habituellement un désert médiatique ; l'actualité sommeille et la presse en est réduite aux habituels marronniers. Cette année, cependant, les marronniers ont fait place à un cactus, le " burkini ". Le terme, néologisme inventé par une styliste australienne, est ignoble puisqu'il naît de la contraction de " bikini ", costume de bain qui a contribué en son temps à la libération du corps des femmes, et de " burqa ", prison textile que les Talibans infligent aux Afghanes. Il est le bâtard du dieu marketing et de l'obscurantisme religieux.

En lisant les papiers publiés sur la question, m'est revenu un texte plein d'humour de Paul Fournel, extrait de son délicieux ouvrage Poil de Cairote (Le Seuil, 308 pages, 7 €) dans lequel il évoquait ses souvenirs d'Egypte :

" N'étant pas fou de plage, je suis allé voir dans une boutique du centre-ville ce qu'était le " maillot de bain islamique ". Il en existe deux modèles qui ne fâchent pas la religion : le premier est une robe longue opaque qui se porte par-dessus le maillot et le second une espèce de survêtement ample taillé dans un drap épais et médiocre. Bien mouillés, les deux sont parfaitement conçus pour couler n'importe quelle nageuse de n'importe quelle religion par le fond. "

Le livre fut publié en 2004. Douze ans plus tard, la garde-robe a traversé la Méditerranée pour apparaître sur nos côtes et y faire quelques vagues. Comparé au niqab (tenue au voile intégral qui tombe théoriquement sous le coup de la loi française) le " burkini " pourrait presque donner l'illusion d'un progrès : dans un bal costumé, le premier, ample et pesant, passerait volontiers pour une panoplie de Belphégor - feuilleton un peu daté ; le second, plus ajusté, fera penser à une combinaison de plongée et, s'il se pare de couleurs acidulées, à un déguisement de Star Trek - la cagoule intégrée permettant de dissimuler aux regards " concupiscents " de sourcilleux fidèles les oreilles en pointe (dont le sex-appeal n'est plus à démontrer) des éventuelles compatriotes de Monsieur Spock. Ou comment allier grotesque et modernité...

Les vertus prêtées par les islamistes radicaux à cet accoutrement supposé protéger la " pudeur " de celles qui le portent sont loin d'être avérées. Comme le remarquait récemment l'écrivain Tahar Ben Jelloun, " Je sais qu'on leur a dit qu'une femme respectable ne se mettait pas en maillot. La question qui me vient à l'esprit est : l'est-elle quand elle sort de la mer, ses habits collant sur sa peau et mettant en valeur les formes qu'elle ne voulait pas montrer ? " Et le romancier d'ajouter avec raison : " Chacun a la liberté de montrer ou de dissimuler son corps, mais quand on va à la plage on n'y va pas en djellaba. Il faut être vicieux et pervers pour penser que couvrir un corps d'une femme, c'est le protéger des regards concupiscents. Le ridicule le dispute à la bêtise. "

Le Grain de sable du « burkini »Naturellement, les professionnels de l'indignation, les adeptes de l'angélisme et les islamo-gauchistes, pétris de leur complexe post-colonial et de leur haine de soi, s'insurgeront contre ce texte et sortiront une fois encore de leur chapeau le lapin bien fatigué de l'islamophobie. Pour eux, tous les Musulmans sont, dans les rapports de force qu'ils imaginent, des faibles et des victimes. Pourtant, on sait que l'idéologie wahhabite à laquelle se rattache ce code vestimentaire imposé aux femmes s'est propagée depuis des années à grands renforts de pétrodollars venus des monarchies du Golfe, dont le statut de faiblesse ou de victime serait difficile à établir. Naufragés du communisme, du trotskisme ou du maoïsme, un prolétariat de substitution leur est nécessaire pour nourrir leur mauvaise conscience ; ils croient ici l'avoir trouvé, et tant pis si le mythe rousseauiste du " bon sauvage " auquel ils se réfèrent implicitement est avant tout une construction raciste. Peu nombreux mais médiatiques, ils ne sont pas isolés : les communautaristes anglo-saxons viendront d'autant plus renforcer leurs rangs qu'ils s'ennuient depuis qu'il a été prouvé que les armes de destruction massive qu'ils voyaient partout en Irak n'étaient... qu'un mirage.

La situation d'aujourd'hui me rappelle le mot de François Mitterrand qui, en 1983, évoquait la politique occidentale de dissuasion nucléaire : " Les pacifistes sont à l'Ouest et les euromissiles sont à l'Est. " Car, par une singulière analogie, s'agissant du " burkini ", les bien-pensants qui y voient un signe de liberté de choix vestimentaire sont, comme les pacifistes d'hier, tranquillement installés en Occident. Leur éloignement des principaux foyers islamistes leur donne évidemment une expertise à laquelle ne sauraient prétendre ceux qui résident en Orient et mesurent combien ce vêtement est un outil d'asservissement des femmes. On a une mauvaise vue d'ensemble quand on observe les choses de trop près...

Beaucoup d'intellectuels du monde arabo-musulman sont en effet bien loin de partager l'avis d'Edwy Plenel (le même qui parlait de " terrorisme dit islamiste " en 2015), qui considère le " burkini " comme un vêtement " comme les autres ". Outre Tahar Ben Jelloun, citons l'éditeur égyptien Aalam Wassef, la journaliste Mona Eltahawy, la juriste Fatiha Daoudi, l'écrivain Boualem Sansal et bien d'autres. Eux, qui ont une connaissance fine de l'Islam, savent que celui-ci et le wahhabisme (ou son clone le salafisme) sont bien distincts et que critiquer les dérives dangereuses du second ne signifie en aucun cas s'attaquer au premier, contrairement à ce que les intégristes tentent de nous faire croire depuis trop longtemps. Tous ces intellectuels courageux doivent recevoir le soutien de leurs homologues européens - et non faire l'objet d'un lynchage médiatique, comme celui dont l'écrivain algérien Kamel Daoud fut la victime il y a quelques mois.

Que le " burkini " soit une arme de l'islamisme politique puritain destiné à contrôler les femmes ne soulève aucun doute, et que quelques femmes militantes revendiquent sur notre territoire le droit de le porter ne change rien à l'affaire. Nous savons tous, depuis La Boétie, ce que cache la servitude volontaire. Que les intégristes aient en outre un vrai problème avec la sexualité n'a rien d'une découverte. Les viols perpétrés par les jihadistes de Daech dans les zones qu'ils investissent, leur obsession des 72 houris dont ils ont hâte de disposer dans un très hypothétique paradis en constituent quelques signes inquiétants. " Vicieux et pervers ", disait Tahar Ben Jelloun. Ne jetons toutefois pas la pierre (si l'on peut dire) aux seuls islamistes, obsession sexuelle et puritanisme restent indissociables de tous les fanatismes monothéistes, comme le prouvent les scandales sexuels qui visent nombre de télévangélistes américains.

La principale question est de savoir si la France, république laïque, doit laisser proliférer en son sein une contre-culture prosélyte hostile à toutes ses valeurs et bien déterminée à les combattre pour introduire, puis imposer les siennes. Car, si l'Occident a rejeté avec raison la théorie du " choc des civilisations " de Samuel Huntington, bien trop simpliste, les islamistes, eux, l'ont bel et bien adoptée à leur profit. On objectera que le " burkini " n'est qu'un détail insignifiant. Pas si sûr. Il s'inscrit dans une longue liste de revendications communautaristes, identitaires, elles aussi "insignifiantes" prises à l'unité, mais lourdes de sens dès qu'on les appréhende dans leur ensemble (foulard à l'école, repas spécifiques dans les cantines, horaires de piscine aménagés, contenus des programmes scolaires, refus de se faire soigner par un médecin de l'autre sexe, refus de la mixité, etc.). Autant de grains de sable dans les rouages complexes du " vivrensemble ". L'islamisme politique est bien conscient que son modèle n'a aucune chance de s'imposer rapidement en France. Sa stratégie relève donc de la progression à petits pas, une revendication acceptée en faisant naître une autre, puis une suivante, etc. Verra-t-on un jour, sur les plages où se multipliera le " burkini ", comme dans certaines théocraties, des maîtres-nageurs-sauveteurs tourner le dos à la mer pour ne pas regarder les femmes qui s'y baignent ? Il leur faudra une ouïe particulièrement fine pour déceler les signes de noyade...

On notera d'ailleurs que ces revendications revêtent sans ambigüité un caractère politique et religieux. Comme le remarquait récemment la juriste Roseline Letteron dans Le Monde où elle commentait la demande déposée par le CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France, association à la pointe de la lutte contre la laïcité) devant le Tribunal administratif de Nice en vue d'obtenir la suspension de l'arrêté du maire de Cannes interdisant le " burkini " : " Restent les libertés d'expression et de culte, choix intéressant dans l'argumentaire juridique du CCIF. Il aurait pu invoquer d'autres libertés comme le droit au respect de la vie privée, s'il impliquait le droit de s'habiller comme on le souhaite, y compris à la plage. Il préfère invoquer les libertés d'expression et de culte. Le burkini est donc perçu, par les requérants eux-mêmes, comme un moyen d'affirmer sa religion, un signe religieux ostentatoire. "

Nous sommes donc confrontés à un enjeu de société. Est-il " raciste " ou " islamophobe " de s'opposer à des revendications qui heurtent les valeurs de notre société, attachée à l'égalité des hommes et des femmes, à la laïcité ? Les bien-pensants l'affirment, qui plaident en faveur de compromis et de tolérance. L'Histoire nous montre toutefois que, de compromis en compromis, on en arrive à céder sur l'essentiel et qu'une tolérance à sens unique débouche sur une impasse. Pourtant, une réponse nous a déjà été donnée par l'un des grands esprits du XXe siècle qu'on peinera à qualifier de raciste, d'islamophobe ou de sympathisant de l'extrême-droite, Claude Lévi-Strauss. Dans un texte publié en 1971, voici en effet ce qu'il écrivait : " Mais si l'humanité ne se résigne pas à devenir la consommatrice stérile des seules valeurs qu'elle a su créer dans le passé [...], elle devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l'appel d'autres valeurs, pouvant aller jusqu'à leur refus, sinon même leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent. " Une telle réflexion mérite d'être méditée.

Illustration : L'équipage de Star Trek - Belphégor.

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À propos de T.Savatier

Ecrivain, historien, passionné d'art et de littérature, mais aussi consultant en intelligence économique et en management interculturel... Curieux mélange de genres qui, cependant, communiquent par de multiples passerelles. J'ai emprunté aux mémoires de Gaston Ferdière le titre de ce blog parce que les artistes, c'est bien connu, sont presque toujours de mauvaises fréquentations... Livres publiés : Théophile Gautier, Lettres à la Présidente et poésies érotiques, Honoré Campion, 2002 Une femme trop gaie, biographie d'un amour de Baudelaire, CNRS Editions, 2003 L'Origine du monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 2006 Courbet e l'origine del mondo. Storia di un quadro scandaloso, Medusa edizioni, 2008

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