Quand j’ai commandé ce livre à la librairie dans la ville où j'habite, je projetais de ne lire que les « Envois », première partie du volume faite d’une correspondance, incomplète parce que partiellement brûlée, de l’auteur avec « (s)on amour »… Mais, malgré (ou à cause de) la complexité de cette première moitié, j’ai continué, prenant plaisir à la lecture, dans la seconde partie, des conférences annoncées dans la première. Il s’agit ici de plus qu’une correspondance amoureuse ; c’est à la fois un dialogue entre philosophie et psychanalyse, si toutefois le dialogue est possible, une réflexion sur les rapports (est-ce que ce mot convient ? ne vaudrait-il pas mieux écrire relation ?) entre vérité, réalité et fiction, un essai sur la naissance et la diffusion de l’écriture, une série de jeux de cartes où la divination rencontre la quête, l’enquête même, l’auteur avouant à plusieurs reprises avoir dissimulé le vécu sous l’évidence de sorte que le lecteur perde tout repère.
Tout ce livre semble tourner autour de La lettre volée d’Edgar Poe, et de ses interprétations. Lacan conclut à ce propos, pour sa part, qu’« une lettre arrive toujours à destination », ce que conteste Derrida, démontrant dans cette « dernière correspondance » qui ouvre le livre qu’une lettre peut ne pas arriver à destination. C’est l’occasion pour lui d’examiner le rôle de la poste dans nos échanges : il écrit avant qu’Internet envahisse nos vies, mais il pressent que tout ce que l’écriture a mis en oeuvre dans les relations humaines, et dans la littérature, va changer, voire disparaître. Ce n’est pourtant pas la fin de l’histoire : le livre lui-même semble ne pas s’achever, cette réédition inscrit, après la « Table », ce qui fut la quatrième de couverture lors de la première édition, comme s’il nous fallait reprendre la lecture depuis Socrate (mais a-t-il écrit ?) jusqu’à Freud et au-delà, comme nous y invitent les initiales « J.D. ».