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L'oeil de l'espadon, d'Arthur Brügger

Publié le 23 août 2016 par Francisrichard @francisrichard
L'oeil de l'espadon, d'Arthur Brügger

C'est drôle comme les gens croient que la gentillesse c'est de l'idiotie. Pour un enfant c'est différent: c'est quand il est méchant, quand il fait une bêtise, qu'il est puni. On dirait que dans le monde des adultes, tout s'inverse. La perversité est vue comme le comble de l'intelligence.

Charlie Fischer, 24 ans au début de L'oeil de l'espadon, fait cette réflexion à Emile. Charlie est apprenti poissonnier. Il travaille avec Angela, sous la direction de Monsieur Giordino, au rayon 77 du Grand Magasin, celui de la poissonnerie. Emile y travaille au niveau zéro, celui des déchets, qui donne sur la rue.

Charlie est orphelin (Fischer est le nom de l'entreprise devant laquelle il a été trouvé). A l'orphelinat il a appris à lire et à écrire, mais il n'a pas tellement lu de livres sinon des BD. Il a d'abord fait un apprentissage de mécanicien, mais, le garage ayant fermé, il est devenu apprenti au Grand Magasin.

Emile n'est pas un employé ordinaire. Il ne quitte quasiment pas le niveau zéro, de jour comme de nuit. Le jour il s'occupe des sacs poubelle du Grand Magasin qu'il jette dans de grands containers gris. La nuit, il dort sur place, lit des livres invendables par le magasin - ils sont avec des défauts, écornés, déchirés -, prend des notes et des... photos.

C'est en se rendant au frigo-poubelle, situé au niveau zéro, que Charlie a fait la connaissance d'Emile. Lequel lui a proposé de lire un des livres qui y sont entassés. Il lui a même fait cadeau d'un exemplaire du Vieil homme et la mer d'Ernest Hemingway, qu'il a refusé d'abord, puis fini par accepter.

Lors d'une de leurs discussions, Emile fait prendre conscience à Charlie du phénoménal gaspillage alimentaire au niveau mondial: Plus de la moitié de ce qu'on produit finit dans les ordures avant même d'avoir été consommé. Pire: Un tiers du gaspillage alimentaire vient du consommateur...

Dans ce roman, Arthur Brügger décrit par le menu le métier de poissonnier dans un grand magasin, où toutes les semaines deviennent la semaine de l'espadon. Par la même occasion, il y dévoile ce qui se passe derrière les étals et, pour ce faire, il profite de la gentillesse de Charlie pour servir de guide au lecteur et l'édifier.

Charlie n'est pas idiot. Il est seulement d'une grande fraîcheur d'esprit et c'est pourquoi il fait, parfois cruellement, l'apprentissage de la vie. Alors, se faisant narrateur à la première personne, il témoigne de ce qu'il voit. Et ce n'est pas triste...si l'on ose dire. Car ce qu'il voit est l'envers d'un décor propre en ordre.

C'est dans les rapports naïfs que Charlie entretient avec les êtres, notamment les femmes, que leur perversité et toute l'imperfection du monde lui apparaissent brutalement. Emile, l'idéaliste à qui une bonne leçon de réalité ne ferait pas de mal, a pourtant certainement raison quand il lui dit lors de la conversation évoquée plus haut:

Peut-être que le plus intelligent, c'est celui qui s'en fiche, finalement, d'être vu comme un idiot.

Francis Richard

L'oeil de l'espadon, Arthur Brügger, 160 pages Zoé


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