Le poids de la dénonciation
Être la victime et parler
J’ai voyagé pendant 5 années dans le Grand Nord pour intervenir auprès des communautés inuites. Des épidémies de suicide faisaient rage. Ma mission, former les community workers locaux à intervenir et en arriver à pouvoir former eux-mêmes leur relève.
Raymond Viger dossiers Autochtone, Santé
Revivre ces horreurs pour certaines victimes et la honte pour les bourreaux a créé un climat fragilisant la communauté. Trop de gens devenant vulnérables en même temps ont provoqué un climat propice pour des vagues de suicide.
Dans un tel état d’esprit et avec les liens de proximité que connaissent ces communautés, le suicide est rapidement devenu une épidémie.
La pire chose qu’auraient pu vivre ces communautés est de faire témoigner devant les médias les victimes à visages découverts pour raconter leurs agressions, leurs idées suicidaires, dénoncer leurs agresseurs… Ça fait vendre de la copie c’est bien évident. Tout le monde va en parler, c’est sûr. Surtout si les accusés se mettent à répondre aux victimes, à se justifier et à en faire un débat public. Parce que tous les gérants d’estrade vont pouvoir prendre position et faire de cinglants débats. Nous ne serons plus à aider les victimes et éviter que les agressions se perpétuent. Nous aurons perdu de vue l’essentiel du pourquoi nous en discutons et nous nous retrouverons dans un débat oratoire stérile qui tournera en rond.
Il est important de favoriser un climat de dénonciation des abus. Parce que nous voulons que ceux-ci cessent. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des victimes et du soutien que l’on peut leur offrir. Certains journalistes vont justifier leur travail en disant que cela permettra de mettre de la pression sur les autorités pour obtenir des gains sociaux, des changements.
Médiatiser les victimes est-il la meilleure façon d’agir envers des personnes fragiles et vulnérables? Il arrive régulièrement qu’une victime décide de changer d’idée et de ne pas dénoncer ces agresseurs. Cela fait partie de son processus de guérison. Il faut accepter cette période d’ambivalence. Mais quand on les fait témoigner devant la caméra, elles ne pourront plus reculer. C’est pourquoi certaines victimes peuvent avoir besoin d’aide et d’accompagnement quand elles font face aux médias.
Et les débordements sont faciles. Témoigner d’une agression dont nous avons entendu parler, ça s’appelle un ouï-dire et ce n’est pas recevable. Même si les évènements sont véridiques à 100%, est-ce que la victime dont on parle était prête à le faire devant les médias? Recueillir le témoignage d’une personne sous le choc est délicat. Dans quel état laissons-nous les victimes après un passage médiatique? Comment va-t-elle réagir en voyant le reportage qui en sera fait? Est-ce que cela aura des répercussions sur son entourage?
Et que dire des témoignages de groupe? Plusieurs victimes sont autour d’une table et répondent aux questions d’un journaliste. Ne peut-il pas y avoir un effet d’amplification dans ce cas? Et quand cette direction est prise, difficile de revenir en arrière!
Il ne faut pas se contenter de recevoir un témoignage et le mettre en ligne. Une enquête exige un minimum de validation des témoignages. Et au-delà de la vérification, les victimes sont des personnes sensibles et vulnérables qui ont besoin de protection et d’aide. Il n’est pas rare de voir des victimes dans un tel processus se suicider.
Oui, il faut de dénoncer ces abus.
Oui, il faut que les médias en parlent.
Non, les médias ne peuvent pas parler de sujets sociaux sensibles n’importe comment.
Il y a un processus de guérison qui doit rapidement être mis en place. Et il faut accepter qu’il puisse prendre beaucoup de temps.
La protection des victimes est tout aussi importante que la dénonciation des agresseurs.
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