Alain S. en boucle dans ma tête " et le temps hémophile coule " et qu'il est doux ce temps de rien, ce temps suspendu, ce temps distendu entre leurs va-et-vient d'enfants. Ces sacs qu'on fait et qu'on défait pour quelques jours, ces centimètres qu'ils semblent avoir pris quand on les retrouve ou même chaque soir. Ces aventures qu'ils vivent sans nous et celles qu'on partage, de mercredi en samedi. Ces kilomètres parcourus et ces amis de passage, pour quelques heures ou pour une nuit. Ces messages qu'on envoie pour dire tout va bien que c'est joli par ici et qu'il est doux d'oublier le quotidien qui retrouvera bien trop vite ses droits.
Il n'aura pas fait si beau, il n'aura pas fait si chaud, mais qu'importe, il ne nous en faut pas tant pour faire ce qu'il nous plaît. Voir une douzaine d'ados heureux et sains faire la fête jusqu'au petit matin dans le jardin, donner rendez-vous à l'amoureux sur une terrasse, ressortir à l'heure d'enchaîner les douches et les couchers pour grimper sur les balles de foin ou pour écouter les voisins parler du temps d'avant, celui des châteaux des abbayes des pavillons de chasse dont il ne reste au mieux que quelques pierres, un nom de rue mystérieux.
On aura bu on aura trinqué à l'amitié, on aura couru à travers bois et sur le bitume du circuit, on aura lavé des museaux des mains des pieds tout noirs d'avoir trop joué, lavé quelques croûtes de sang séché, fait la tronche un peu parce que le temps n'a pas fini de nous apaiser, on aura beaucoup chanté et trop peu dormi aussi, comme toujours, alors qu'on s'était promis le contraire.
On aura battu les tapis et délogé la poussière, trié les placards et rangé les cahiers dans les cartons au grenier, changé quelques meubles de place et dansé au milieu du salon pour s'approprier à nouveau l'espace. On aura arraché les mauvaises herbes et un peu volontairement oublié de laver les baies vitrées, il est urgent de ne rien faire soudain. On aura vécu à leur rythme et vécu pour leurs sourires. On aura partagé des moments que personne ne nous reprendra. On aura apprécié la douceur de l'été et levé le pied, avant que tout ne recommence, le tourbillon des livres et des cahiers, l'heure du bus et des papiers à remplir à signer, le temps des responsabilités qu'on avait un peu oublié, les rendez-vous sur le calendrier le solfège à travailler les leçons à réciter.
Pour la première fois les cartables sont prêts et les chaussures neuves attendent dans l'armoire d'être étrennées, devient-on plus sage avec l'âge ? On n'oubliera pas les rires qui résonnent et les larmes qu'on tente de sécher lors de cet invincible été, les mots qu'on a dits et ceux qu'on n'aurait pas dû prononcer, les mauvaises nouvelles et les autres plus jolies, les déceptions aussi, mais surtout, surtout je me souviendrai de la générosité de cet été. On s'était dit qu'il durerait toujours, l'été suspendu, et le temps hémophile coule...