Signes extérieurs – Mexique : des interprètes en manque de reconnaissance

Publié le 22 août 2016 par Stéphan @interpretelsf

Profitons de cet été pour voyager, visiter des pays, des régions, des villes et voir comment se porte ici ou là l’interprétation en langue des signes à travers des articles parus dans la presse papier ou internet.

Troisième escale : Le Mexique où les interprètes en langue des signes mexicaine doivent se battre pour faire reconnaitre leur métier à sa juste valeur. 

Les personnes sourdes au Mexique sont doublement lésés quand ils souhaitent bénéficier de la présence d’un interprète en langue des signes.

D’une part il y a une pénurie d’interprètes certifiés et qualifiés et, d’autre part, les compétences de ces interprètes sont peu reconnues ce qui, par ricochet, accroit un peu plus les discriminations subies par les personnes sourdes ou malentendantes qui n’ont pas toujours en face d’elles des professionnels compétents.

« Les personnes sourdes ou malentendantes ne sont pas considérées comme une minorité linguistique. À cela s’ajoute la carence en matière de formation professionnelle pour les interprètes en langue des signes, vu qu’il n’existe pas de cours officiel. Il est difficile pour nous d’être considérés comme des professionnels », dénonce Erika Ordoñez, présidente de l’Association des interprètes en langue des signes du Distrito Federal (AILSDF).

Dans ce pays d’Amérique latine de 122 millions d’habitants, 15% de la population souffrirait de troubles auditifs et entre 300.000 et 500.000 mexicains s’exprimeraient par le biais de la langue des signes mexicaine , LSM (langue de seras mexicana). 

Or le pays ne compte que 42 interprètes en langue des signes officiellement certifiés. A ce chiffre il faut ajouter 350 personnes non diplômées qui « font office » d’interprètes avec des niveau très disparates. 

Conséquence première : des centaines de milliers de Mexicains devant avoir recours à un interprète E-LSM sont exclus, à des degrés divers, de la société, car il ne peuvent pas avoir accès à des services essentiels comme l’éducation, la santé, la justice… 

En 2008, le Conseil national de normalisation et certification des compétences professionnelles (Consejo Nacional de Normalización y Certificación de Competencias Laborales, Conocer) du gouvernement mexicain a créé la norme NUIPD001.01 relative à la « prestation de services d’interprétation de la langue des signes mexicaine à l’espagnol », qui énonce les conditions devant être réunies par un interprète qualifié. Malheureusement l’instauration de cette norme n’a eu que peu d’effet et la reconnaissance du métier d’interprète en langue des signes se fait encore attendre. D’ailleurs cette norme n’a jamais été mise à jour (alors que la date butoir pour sa révision était en juin 2013). 

A cause de ce manque d’interprètes certifiés, le Mexique est en infraction à la Convention sur les droits des personnes handicapées de l’ONU en vigueur depuis 2008, ainsi qu’à la Ley General para la Inclusion de las Personas con Discapacidad (Loi générale pour l’inclusion des personnes handicapées) de 2011.
La Convention prévoit notamment que les États garantissent aux personnes handicapées l’accès à la justice à des conditions égales au reste de la population dans le cadre de toute la procédure judiciaire, y compris aux stades préliminaires de l’enquête.
Quant à l
a loi mexicaine, elle stipule que les personnes handicapées auront droit de bénéficier d’un traitement digne et approprié dans le cadre des procédures administratives et judiciaires dans lesquelles elles seraient engagées, ainsi que de conseils et d’une représentation juridique gratuite. 

Des négociations sont en cours entre l’AILSDF et le Tribunal de grande instance du District Fédéral sur la rédaction d’une convention qui permettrait la participation des interprètes aux nouvelles audiences orales des tribunaux, ce qui permettra aux juges d’entendre les arguments présentés oralement grâce à la présence d’interprètes en langue des signes au lieu de devoir recourir à des déclarations écrites ce qui rallonge les procédures et augmente les couts.  

Malheureusement la rémunération proposée pour de telles prestations d’interprétation équivaut à cinq jours de salaire minimum, soit un niveau considérablement inférieur à la rémunération des interprètes de conférence (le salaire minimum au Mexique se situant aux alentours de 5 USD par jour). Par ailleurs, la magistrature du District Fédéral, qui englobe Mexico, veut que les experts soient payés à partir du début de l’audience et non pas à leur arrivée aux tribunaux, comme dans le cas d’autres professionnels du secteur. Enfin, ce texte ne fait aucunement référence aux conditions de travail des interprètes, notamment le paiement en cas d’annulation d’une prestation pour un motif qui n’est pas du ressort de ces derniers. 

« C’est un droit qui n’est pas respecté. Des services d’interprétation ne sont pas assurés même pour des questions fondamentales comme la santé et l’éducation. Une telle carence ne devrait pas exister en vertu de la législation, mais celle-ci n’est pas respectée », signale Xochitl Rodriguez, directrice adjointe des « cours d’inclusion » pour personnes handicapées à l’Universidad Tecnológica Santa Catarina, université de l’État située dans la ville de Monterrey, à environ 900 kilomètres au nord de Mexico. Cette institution fondée en 2005 compte quelque 2200 étudiants, dont 250 présentent un handicap et a recours aux services d’une équipe de 17 interprètes pour couvrir les besoins des élèves de niveau primaire, secondaire, baccalauréat et universitaire. Dans ce même État de Nuevo Leon, dont Monterrey est la capitale, on ne compte que trois interprètes certifiés, dont le salaire moyen tourne autour de 13$ de l’heure.

Si les plaintes pour discrimination déposées par les personnes sourdes ont été en progression constante depuis 2013, cette statistique n’est qu’une estimation basse car les cas de discrimination ne donnent pas toujours lieu à des plaintes formelles. En 2013, le Conseil national pour la prévention de la discrimination (Conapred) a déposé 12 plaintes. L’année suivante, 16 cas ont été examinés par le même organisme.

« Il y a très peu de personnel qualifié pour contrôler évaluer les interprètes qui assistent aux audiences dans les tribunaux ; ils devraient pourtant être certifiés en tant qu’experts judiciaires. Le Conseil national pour le développement et l’inclusion des personnes handicapées (Connais) devrait s’occuper de leur certification mais il ne le fait pas ». remarque Erika Ordonnez, elle-même fille de parents sourds qui a appris la langue des signes mexicaine quand elle était encore enfant et qui est aujourd’hui une interprète certifiée. 

L’une des priorités d’action du Programme national pour le développement et l’inclusion des personnes handicapées 2014-2018 fait précisément référence au nécessaire développement de la LSM sur tout le territoire. Il prévoit aussi de mettre en œuvre des mesures afin que l’administration judiciaire dispose d’experts spécialisés dans le domaine du handicap et de la langue des signes. Il est prévu d’actualiser les normes sur les compétences professionnelles et d’organiser des programmes de formation et de certification pour de futurs interprètes en langue des signes.

« Il est urgent de normaliser les critères pour l’exercice de la profession d’interprète E-LSM et d’informer la population sur le rôle important joué par ces interprètes, afin qu’ils soient enfin reconnus à leur juste valeur et ne soient plus vus comme des personnes qui exercent un métier non qualifié » souligne Xochitl Rodriguez.

© Equal Times : Mexican sign language interpreters navigate disability discrimination 

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