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Makandal dans mon sang, d'Alfoncine Nyélenga Bouya

Publié le 22 août 2016 par Liss

Alfoncine Nyélénga Bouya est une grande dame des lettres, je veux dire que c'est une dame qui suit au plus près l'actualité littéraire, notamment africaine ; qui ne se permet aucune restriction quand il s'agit de découvrir des livres, et derrière eux leurs auteurs. C'est ainsi qu'elle en est arrivée à fréquenter ces auteurs, à tisser avec eux des liens plus ou moins solides, surtout lorsque certaines correspondances spirituelles, pour ne pas dire philosophiques, se font jour avec ces auteurs et attisent cette amitié, comme des braises ardentes qui maintiennent la chaleur alors même que, à la vue de la cendre morte, témoin d'une vie qui n'est plus, on pourrait penser que cette chaleur est éteinte. Alfoncine Nyélénga Bouya peut apporter de précieux témoignages sur des auteurs disparus aujourd'hui, tout comme sur ceux que nous avons encore la chance de cotoyer.

Cependant, a près être demeurée pendant de longues années un témoin attentif de la vie littéraire, la voici qui se lance sur la scène littéraire pour en devenir une des actrices. Et il faut dire que le premier "jeu" qu'elle offre au spectateur fait partie de ceux qui retiennent l'intérêt, car il révèle ce qu'elle porte dans ses entrailles et témoigne de sa fréquentation des lettres.

Makandal dans mon sang, d'Alfoncine Nyélenga Bouya

Ce qu'elle porte en elle, c'est la volonté de voir l'être humain relever la tête, sortir de la médiocrité dans laquelle on veut le maintenair ou dans laquelle il s'enfonce tout seul. Plus précisément, elle souhaite que l'homme noir puisse librement et fièrement porter l'étendard de ses origines, qu'il renoue avec son passé ou plutôt qu'il le connaisse, afin de pouvoir plus sereinement envisager l'avenir. Dans le recueil de nouvelles Makandal dans mon sang, qui vient d'être publié chez La Doxa Editeur Militant, tranparaît une veine panafricaine aussi bien que sociale. Le choix du titre en dit long déjà, comme l'illustration de couverture. En effet, des quatorze nouvelles qui constituent le recueil, c'est la dixième, "Makandal dans mon sang", qui est retenue comme titre pour le livre dans son ensemble. L'auteur indique clairement par là quels sont ses préoccupations les plus chères : elles tournent autour d'une afrodescendance qui se libère des lianes qui l'étouffent et l'empêchent de s'épanouir, à l'instar de ce héros de l'histoire de la lutte contre l'esclavage en Haïti, Makandal.

Dans cette nouvelle, la narratrice, en qui on pourrait reconnaître l'auteur, affronte sans sourciller sa supérieure hiérarchique, réputée pour écraser tous ceux qui ne se plient pas à ses volontés, plutôt à ses caprices. On a beau faire son travail consciencieusement, on peut se retrouver du jour au lendemain sur la liste des personnes qu'elle va se faire le plaisir de renvoyer. Alors que tout le monde tremble devant la patronne, la narratrice se livre avec cette dernière à un bras de fer dont elle sort victorieuse, tandis que la patronne est ébranlée de trouver en face d'elle une employée qui ose réclamer "plus de justice" pour tous les membres de l'entreprise. Il faut préciser que l'histoire se passe en Haïti, que la patronne est une femme blanche représentant ceux qui détiennent le pouvoir économique et que la narratrice, qui n'est pas native de l'île, a cependant fait sien le sort de tous ceux qui se battent pour survivre, mais dont les efforts sont piétinés par le capitalisme. La narratrice se revendique arrière-arrière-petite-fille de Makandal, c'est de lui qu'elle tire sa force : "Makandal, Makanda, Mukanda, Okanda, mon ancêtre dont le sang irrigue ma mémoire, mon esprit, ma vie !" (page 146)

Et pourtant on veut donner de ce héros une image péjorative : "le nègre empoisonneur", dit la patronne, et la narratrice, qui se décrit comme une "rebelle née", de protester : "Non, le nègre connaisseur !", "le nègre flamboyant !". Dans cette nouvelle comme dans bien d'autres, l'auteur tente de revaloriser l'héritage ancestral, de redonner du lustre à ce qu'on a voulu noircir, dénigrer, comme le vodou, qui a une importance symbolique dans ce recueil. Tout au long des siècles, on a voulu présenter la culture, les pratiques, les croyances, les coutumes des Noirs comme étant des choses à abhorrer, tandis que tout ce qui relevait des Blancs était forcément admirable. En décrivant le vodou comme la religion de ses ancêtres, l'auteur défend toutes ces valeurs tombées dans le discrédit, alors qu'elles représentent un héritage.

Mais il n'y a pas que cette thématique. L'auteure observe également, avec un oeil critique, ses contemporains, comme dans la nouvelle "Ceux de Lot Bo Dlo", dans laquelle elle pourfend ceux qui pensent que lorsqu'on rentre au pays pour les vacances, il faut taper dans l'oeil, faire croire que l'on mène en Europe une vie de pacha, alors que la réalité est tout autre. Bien que ce comportement ait été dénoncé par plusieurs auteurs, comme Daniel Biyaoula dans L'Impasse ou Fatou Diome dans Le Ventre de l'Atlantique, il est toujours aussi enraciné dans les moeurs, c'est pourquoi Alfoncine Nyélénga Bouya s'amuse à tourner ce genre de personnages en dérision.

D'autres nouvelles s'intéressent à la vie de couple, disons plutôt à la question féminine, qui constitue à mon sens la véritable toile la véritable toile de fond du recueil. Celui-ci présente plusieurs figures féminines : il y a celles qui sont fortes, courageuses, qui affrontent l'adversité et même la société, comme dans "Engondo et l'appel du fleuve" ; il y a celles qui osent, comme dans "L'Ekoba et le fruit de la liberté" ou comme dans "Makandal dans mon sang" ; il y a celles qui savent ce qu'elles veulent et qui sont décidées à obtenir gain de cause, comme dans la nouvelle "Danse avec le tambour". Mais il y a aussi celles qui, pourtant lucides sur leur situation, ne font que des voeux pieux au lieu d'agir, comme dans "Il n'y a pas d'argent sale". Il y a malheureusement celles qui se bercent d'illusions, qui se laissent facilement manipuler, mère comme épouse, comme on peut le voir dans "Pikidégwiy", autrement dit "piqûre d'aiguille".

Contrairement à la mère de Loketo, coureur de jupons invétéré, qui met son fils face à ses responsabilités, celle de piqûre d'aiguille se laisse endormir par les déclarations de son fils, tout comme elle continue de subir complaisamment les assauts de son irresponsable de mari. Loketo, c'est le personnage principal de la nouvelle "L'Assiette n'a pas changé", dans le recueil , d'Obambé Gakosso. Pas question pour cette mère clairvoyante et rigoureuse de subir les "piqûres", pour ne pas dire les blessures faites par les hommes. Dans la nouvelle d'Alfoncine Nyélénga Bouya au contraire, la mère est complètement aveugle. En réalité elle sait à quoi s'attendre avec son fils mais continue obstinément à se bercer d'illusions, jusqu'à sa mort. Heureusement, Sirénet, la compagne de "Piqûre d'aiguille", se départira de cette torpeur et décidera de donner un autre cours à sa vie.

Les femmes, la femme, aujourd'hui encore, ne représente que peu de choses par rapport à l'homme, ce ne sont que des "pierres", ainsi qu'elles sont désignées dansla nouvelle "Mousse de pierre". Mais si elles sont elles-mêmes les premières à véhiculer ce genre de pensées, les choses ne sont pas près de changer.

La pensée que l'auteur souhaite imprimer dans l'esprit du lecteur est sans doute celle que l'on peut lire dans la dernière nouvelle du recueil : "Je compris que mon destin dépendrait de mon courage, que mon courage dépendrait de mon amour pour la liberté". (page 228)

J'ai bien aimé la manière dont Alfoncine Nyélénga Bouya a construit ses nouvelles : elles apparaissent comme dépendant des pérégrinations de la pensée. A l'image de la nouvelle "Le Chemin de détour", le lecteur suit le cheminement de la pensée des personnages, qui prend parfois des détours inattendus. Tel fait évoque un souvenir qui transporte le personnage et le lecteur sous d'autres cieux, qui ressemblent pourtant, à s'y méprendre, à ceux sous lesquels il se trouve. On voyage donc beaucoup dans ce recueil, on visite des pays, notamment Haïti et le Congo, ainsi que leurs langues. Mais c'est aussi un voyage intérieur, car les personnages se cherchent, se confrontent à l'extrême, essaient d'avoir prise sur leur existenc, qui semble leur échapper et qui, pourtant, est entre leurs mains.

La nouvelle qui m'a le moins séduite est "Moi, l'homme qui fuyait mon ombre", mais elle est ''sauvée'' par sa chute. Parmi mes préférées, il y a "Le pousseur, le fou et les riches", Engondo et l'appel du fleuve", L'Ekoba et le fruit de la liberté" qui m'a fait penser à L'Or des femmes, de Mambou Aimée Gnali.

Makandal dans mon sang, d'Alfoncine Nyélenga Bouya

(Liss et Alfoncine Nyélénga Bouya, à la dédicace de l'anthologie Sirène des Sables, à Paris, en 2015)

Alfoncine Nyélénga Bouta, Makandal dans mon sang, préface de Marie-Léontine Tsibinda, Nouvelles, Editions La Doxa, Editeur Militant, 2016, 232 pages, 15 €.


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