Entre 1991 et 2010, la Somalie était l'un des endroits les moins viables sur terre.
La guerre civile ne faisait aucun gagnant et les conditions de vie étaient ignobles pour tous.
Samia y est née et y a grandi. Elle adore les sports et se documente principalement sur le préhistorique internet de l'endroit pour prendre des conseils sur son sport préféré qu'elle pratique aussi souvent qu'elle le peut: la course.
Elle s'entraîne d'abord dans un stade mais quand celui-ci est pris par la guerre civile à des fins politiques, elle est forcée de s'inventer des parcours dans les champs, au travers du bétail.
Pour son pays, elle se qualifie, à 17 ans, pour les Jeux Olympiques de Pékin en 2008. La Somalie y envoie deux athlètes: Abdninasir Said Ibrahim, qui portera le drapeau à la présentation des nations et qui courra le 5000 mètres. Et Samia, 17 ans, éberluée par la foule et l'accueille. Ça ne ressemble à rien de chez elle. Elle regarde leur ambassadrice/traductrice, seule autre représentante féminine de la Somalie à Pékin, mais qui n'est pas une entraîneure. Ils ne sont même pas 10 de la Somalie sur place.
Said Ibrahim terminera 12ème dans sa course au 5000 mètres. Dernier.
Samia ne passera pas non plus la première ronde des qualifications du 200 mètres. Dernière aussi.
Dès le départ, elle détonne. On présente les coureuses qui sont toutes en muscles et en regards de guerrier. Elle est la dernière présentée, mineure, frêle, excessivement habillée puisqu'issue d'un pays islamiste, et elle ressemble davantage à une élève de 6ème année qu'à une athlète.
Quand le signal de départ est donné, elle est déjà loin derrière et le restera jusqu'à la fin. À un point tel que lorsque la course est terminée pour toute les autres, la foule a le temps de remarquer qu'une coureuse traîne encore derrière et on lui fait une ovation pour l'encourager à terminer et lui accorder son support. On la retient parce que son pays est aussi dans les derniers au monde en terme d'influence et de succès, et que ce qu'elle accomplit, comme femme dans un pays qui les oppresse facilement, est remarquable malgré tout.
Samia est fascinée par son expérience et se promet de redoubler les efforts pour Londres en 2012.
Toutefois, de retour en Somalie, le pays est toujours en guerre. Et les islamistes n'ont pas dans leur coeur les athlètes. Ceux-ci devraient être au service de la guerre et ils voyagent. Ils peuvent servir d'agent de renseignement à l'étranger qui pourrait venir teinter le conflit interne. Et comme l'athlète est une femme, c'est pire bien entendu.
Samia doit se faire discrète. Elle est un symbole de détermination et une fierté locale, mais étouffé par la situation politique chaotique du moment.
Elle reçoit des menaces de mort et doit user de stratégies pour leurrer ceux qui lui veulent du mal.
Excédée par la guerre civile et déterminée à s'entraîner pour se rendre à Londres, à 19 ans, elle quitte pour l'Éthiopie en train. Elle se documente sur son sport sur Youtube faute de trouver un entraîneur. Elle est officiellement une ennemie des extrémistes en Somalie, Al-Shabaab. Elle traverse le Soudan, puis se rend en Libye. Là-bas, elle ne trouve toujours pas d'entraîneur.
Ce sera l'Europe ou rien.
Elle choisit de se rendre en Italie en bateau. Mais le bateau qui la transporte tombe en panne d'essence. Des gardes-côtes italiens viennent à leur rescousse mais Samia échoue à saisir la corde qu'on lui envoie pour passer de bateau en bateau et tombe à l'eau.
L'Europe ou rien.
Ce sera rien.
Pas même une vie de réfugiée.
Samia ne sait pas nager. Elle se noie.
Elle venait d'avoir 22 ans. C'était en 2013.
On ne l'apprend que des mois plus tard quand l'athlète masculin sur la photo plus haut la reconnaît.
Personne n'avait identifié son corps avant.
La Somalie reprend du mieux depuis 2012. Mais Samia n'avait pas pris de chance.
Enfin, oui...
La chance lui a plutôt manqué.
Les Olympiques de Rio cette année avaient pour la première fois une équipe de Réfugiés.
Samia aurait eût 25 ans.
Elle en aurait été membre c'est certain.
Les Olympiques de Rio se terminent aujourd'hui.