Carnets de voyage de l’Aica Sud Caraïbes n° 6, Paris en juin : le pont des arts, JR , le 104

Publié le 19 août 2016 par Aicasc @aica_sc

Deux semaines après la grosse crue de la Seine, on pouvait à nouveau se balader sur les quais mais les vestiges de la montée des eaux restaient bien visibles.

En allant vers le pont des Arts nous aperçûmes des très grandes silhouettes un peu effrayantes, pour la plupart en bronze, accompagnées de tout aussi grandes structures en inox poli. La dernière fois que j’avais vu des sculptures sur ce pont c’était en 1999 avec la mythique exposition d’Osmane Sow.  Ce juin 2016 ce n’était certes pas le même niveau, mais ça ne manquait pas d’intérêt. Une des statues en bronze tenait dans ses mains  et semblait prête à jeter à l’eau, une autre forme humaine orange (très orange) un peu pelucheuse . Daniel Hourdé, plasticien français était le responsable de cette étrange cohorte qui répondait au titre de la Passerelle enchantée.

La passerelle enchantée – sur le Pont des Arts 19 juin 2016, photo JS

La passerelle enchantée – sur le Pont des Arts 19 juin 2016, photo JS

Les statues en bronze de facture assez classique se mêlaient à des objets contemporains nettement plus pop. Les muscles visibles faisaient démonstration de maitrise du matériau et de l’anatomie. Il me semblait que l’équilibre de plusieurs sculptures était précaire, vu leur masse imposante, l’instabilité visible du mouvement et le manque flagrant d’appui au sol. Et pourtant ça tenait solidement débout.  Mickey et la bible coexistaient. Un imaginaire violent, nuancé par la présence d’improbables structures en inox coloré.

La passerelle enchantée – sur le Pont des Arts 19 juin 2016, photo JS

La passerelle enchantée – sur le Pont des Arts 19 juin 2016, photo JS

Du pont des arts nous avons marché jusqu’au Louvre, attirés par une annonce un peu racoleuse : «JR fait disparaitre la Pyramide du Louvre ».

JR, 33 ans en 2016 est la star française du street art mondial. Je suis son travail depuis qu’il était intervenu dans les rues du bidonville carioca Providencia en 2008-2009, expérience qu’il mena en différents endroits du monde et que le film Women are heroes a rendu célèbre en 2010. Depuis son premier séjour au Brésil, il a souvent collaboré avec les OsGemeos, dans la ville de São Paulo mais aussi très récemment (avril 2016)  dans le sous-sol du Palais de Tokyo pour une installation non-visitable mais visible depuis le 13 juillet via un écran géant dans le foyer du Musée (niveau 1).

JR travaille le plus souvent le collage photo, monumentale,  en réinsérant l’humain dans le paysage urbain. Depuis 2009 il développe le projet  Unframed  où il donne une nouvelle vie à des images d’archive en les positionnant  dans leur contexte architectural d’origine (comme dans son très poétique travail à l’île d’Ellis). Au Louvre il s’agissait d’effacer la présence de la Pyramide en collant sur une des parois une photo du bâtiment Sully derrière. Ce qui permettait de revenir sur l’état du Louvre avant la Pyramide tout en soulignant l’actualisation de l’endroit réussie par son architecte. Mais cette disparition par anamorphose, n’était possible qu’à partir d’un point précis : il fallait faire coïncider les lignes verticales et horizontales jusqu’à ce que réalité et décor n’en fassent qu’un.  L’artiste souhaitait provoquer une interaction entre  les passants, afin de trouver le point « G ».  Quand je suis venue, le point focal était facilement repérable grâce à l’immense queue que s’était formée à cet endroit. Les gens attendaient gentiment, les uns derrière les autres, leur tour d’arriver au point précis où ils pourraient prendre la photo de la pyramide disparue… J’avoue que j’ai fait comme tout le monde… L’artiste a clairement réussi son pari : il a « détourné l’énergie » pour utiliser ses mots, d’un des endroits le plus photographiés au monde, en obligeant les visiteurs à chercher un certain point de vue.

JR La Pyramide disparue

JR travaux en cours collage de la photo XXL sur les murs vitrées, photo web

J’ai fini la journée au cent quatre que je ne connaissais pas encore. Le lieu m’a d’emblée fait penser au SESC Pompéia à  Sao Paulo.  Les SESC ce sont les oeuvres sociales du commerce, créés un peu partout au Brésil depuis 1946. Quasiment tous à la fois centres de formation technique et centres culturels, où l’on peut pratiquer, exposer, voir, se former à, toute forme d’art : visuel, cinéma, théâtre, danse, etc. le SESC Pompéia, inauguré en 1982 à São Paulo est le plus important. En réaménageant  les installations d’une ancienne fabrique de tambours abandonnée, l’architecte Lina Bo Bardi, a permis aux activités familiales présentes déjà dans le site en friche de se perpétuer (l’espace entre les deux bâtiments de l’ancienne fabrique était devenu un lieu de promenade pour les familles pauvres du quartier), tout en créant un des centres d’art contemporain les plus importants au Brésil. Le Cent quatre a clairement la même ambition : la réoccupation d’une friche industrielle et la création d’un centre de production et diffusion de l’art contemporain.

Le Cent quatre a été mis en place sur le site des anciennes pompes funèbres municipales, construites en 1874, avec la structure commune aux bâtiments industriels de l’époque (verre, brique ,fonte et fer forgé). Les pompes funèbres ont été fermées définitivement en 1997, et les façades, toitures et l’entièreté des deux halles qui la formaient ont été inscrites au Patrimoine au titre des monuments historiques.  En 2003 la Mairie de Paris a lancé l’appel pour la réhabilitation du site et a entièrement financé le Cent quatre, inauguré en 2008. C’est un lieu de vie, avec commerces (une librairie et une boutique), trois points de restauration, une pépinière de start ups, un espace pour l’accueil des tout petits, et des ateliers et plateaux de  production, et de monstration dédiés à l’ensemble des arts actuels, avec une programmation à la fois exigeante et populaire. C’est aussi depuis le départ un lieu de résidences d’artistes, dont le but était de  rapprocher l’art d’ailleurs des habitants du quartier.

Le 104. Vue générale du festival de la jeune photographie européenne « Circulations 2016 ».

Du 26 mars au 26 juin 2016  une exposition occupait la majeure partie de l’espace central et quelques-unes des salles latérales : le 6ème Festival de la jeune photographie européenne « Circulation(s) 2016 ». Une initiative innovante visant à faire émerger des talents et créer un réseau de structures européennes. Des jeunes photographes de toute l’Europe croissent leurs regards, dans ce qui est devenu un véritable laboratoire de création photographique. Parrainée par Agnes B l’édition 2016 réunissait une exposition de 50 photographes, ainsi que des projections, des activités pédagogiques, des ateliers, des expositions hors murs  et une exposition dédiée au jeune public, la « little circulation », accrochée à hauteur d’enfant.

Depuis 2015 le public peut voter pour son photographe coup de cœur.  J’ai eu du mal à choisir. Mes préférés étaient  Sefanie Zofia Schulz, (Allemagne/Pologne), Mathieu Rouquigny  (France) et Jasper Bastian (Allemagne). Je vous laisse juge :

Pour la série Toleration/duldung Stefanie Zofia Schulz a documenté pendant un an la vie au Lebach, le plus grand centre de réfugiés d’Allemagne. Elle a capté avec tendresse le quotidien des habitants en particulier des enfants dont ce lieu est la maison depuis toujours. Il m’a semblé voir dans son regard une sorte de mélancolie, peut-être parce qu’elle née elle-même dans un centre de ce type, fille d’immigrés polonais en Allemagne avant la chute du mur.

Stefanie SCHULZ – Toleration /Duldung

Mathieu Roquigny a présenté Diary, journal intime, composé d’images des micro-événements quotidiens répétitifs (repas, douches, sommeil…) sous forme visuelle et sonore, avec une installation-mur d’anciennes TVs. Des milliers d’images formant divers diaporamas dont le rythme rejoignait celui du son.

Mathieu ROUQUIGNY – DIARY

Jasper Bastian a photographié A road not taken, celle que n’empruntent  plus les populations vivant sur la frontière lituanienne. Habitants qui ont du mal avec une identité lituanienne, imposée par l’Europe, ayant des liens étroits (historiques, culturels) avec leurs voisins biélorusses. Une barrière installée en 2004 est venue compliquer la relation entre familles et amis aujourd’hui institutionnellement séparés (interdiction de passer, visa nécessaire,…). Ses photos reflètent l’abandon et déclin des villages le long de la nouvelle frontière.

Jasper Bastian – A road not taken

Matilde dos Santos