Né à Londres en 1936, David Mus est l’auteur de nombreux ouvrages : parmi eux, on peut citer celui consacré à l’œuvre de François Villon ; une étude, Le Sonneur de cloches (Villon, Shakespeare, Baudelaire, Mallarmé, Reverdy – et nous autres) (Champ Vallon, 1991), et plusieurs livres de poèmes dont les plus récents sont Débet Thierry Bouchard, 2000), L’histoire du feu (Ragage, 2005), Vers les murs cyclopéens (Ragage, 2008) et, en version bilingue, Pagine di giorni senza esito, Choix de jours sans suite (Empirìa, 2013).Par ailleurs, il a notamment traduit en anglais Dans la chaleur vacante d’André du Bouchet (Where Heat Looms, Sun & Moon, 1996) et en français des poèmes de Sarah Plimpton (revue Po&sie n°111, 2005) et de Marjorie Welish. Enfin, il est étroitement associé à la revue* (1).
Ce nouveau livre, dont les textes oscillent en apparence entre vers et prose, est composé de douze parties, chacune d’elles étant constituée de deux pages portant un titre entre parenthèses, celle de gauche retraçant un voyage maritime – de « (gagner le large) » à « (en mer) » onze fois répété – et celle lui faisant face ce qui peut apparaître comme les différentes escales à travers l’alternance d’ « (une terre) » et d’ « (autre terre) » avant de finir avec « (à terre) ». De chaque côté, les indications géographiques de la première série – « la mer du Nord » ; « Terre-Neuve » ; « Atlantique Nord » ; « le Cap Nord » – et celle, unique, de la deuxième, le « sol français » (en 11ème position), laissent supposer une traversée transatlantique d’Est en Ouest. Quant au navire emprunté par un voyageur qui n’est que rarement évoqué à la première personne du singulier, il s’agit très probablement d’un cargo puisqu’il est question de « remorqueur » et de « tonnes de marchandises », autrement dit d’une embarcation qui accorde au navigant[1] le temps pour être suffisamment attentif à ce qui l’entoure.
Or, sur terre comme sur mer, l’essentiel est là, dans ce « dehors » que le titre du livre désigne et qui n’est intériorisé qu’en passant de la vue à la vision, passage également illustré ici par les eaux-fortes de Julien Nègre qui accompagnent les textes. Démarche que l’on pourrait rapprocher de cette affirmation de Michel Deguy, « Le poème fait faire le tour d’une chose inconnue – dont il propose une vue. » (2), pour ce que l’écriture vient adjoindre au visible dans les moindres détails. Cela étant, si un lexique est déjà à la disposition de celui qui cherche à nommer son expérience au monde : « Aborder à terre, c’est côte, c’est mur, maison, toits / rouges ouvrant sur prés, sur, plus loin / collines / vocables que l’arrivant retrouve / à domicile. », David Mus n’en ignore pas les limites : « Reste, / du côté mis pied, main, maison / le restant, qui se refuse à se / renfermer / hermétiquement, buté, rechigne. » Ce reliquat irréductible rappelle que la parole et le réel ne sauraient entièrement coïncider et qu’il est donc nécessaire d’éprouver sans cesse « l’aptitude des mots à être aptes ». C’est bien à cette mise à l’épreuve que s’emploie l’auteur en mêlant divers angles d’attaque, y compris en recourant aux textes des autres écrivains (3), car il sait qu’un livre digne de ce nom doit faire feu de tout bois : « Dans les soutes aussi une cargaison de signes, de canevas, mis en scène, les rêves de l’armateur, la science du pilote, les soucis du subrécargue qui se lisent au manifeste, pour finir les fantasmes du passager, nullement superflus, certifiant la manœuvre. » Ce travail-là exige autant d’attention que d’énergie, ce dont David Mus est parfaitement conscient, lui qui n’hésite pas à évoquer, non sans humour, les risques du métier : « Et on ne dérange pas les mots du lieu commun, suite à une rencontre qui vous y oblige, sans risquer l’entorse globale et ses conséquences. »
Bruno Fern
1. La revue *
2. Revue Le Nouveau Recueil, n°67, 2003.
3. Mais généralement pas à son équipage souvent taillable et corvéable à merci, hélas.
David Mus, Dehors plutôt qu’ailleurs, collection partition, julien nègre éditeur (57-59 rue Ramey
75018), juin 2016, 15€